vendredi, mars 31, 2006

samedi 1er avril

Dans mon imaginaire personnel, le 1er avril est vraiment le premier jour de l’an nouveau. Bien plus que le 1er janvier, il marque le début d’une nouvelle année, non point légale, mais biologique. La preuve : le 1er avril, il faut tondre la pelouse, sinon plus tard ce sera trop tard. L’herbe devenue trop haute s’accumulerait comme une bourre humide sous la tondeuse et rendrait toute progression impossible. Il faut donc se résoudre, la mort dans l’âme, à sacrifier les violettes et les fleurs de pissenlits.

C’est pourquoi, en ce jour inaugural, il ne faut pas écouter n’importe quoi. Le choix est crucial, il donne sa couleur à toute l’année à venir. Un moment de réflexion et d’hésitation est donc bien légitime. Après maints tâtonnements, je choisis d’écouter ce qui est à mon sens un disque d’anthologie :

- Paris Musette, volume 1, La Lichère 1990, La Lichère – Frémeaux et Associés 2001.

Du début à la fin, les titres sont superbes et superbement interprétés. La liste des interprètes est somptueuse. André Minvielle chante La Flambée montalbanaise et les paroles, quelque peu surréalistes, figurent dans le livret. De ce livret, j’extrais ces quelques lignes, que je trouve émouvantes et bien dans le ton du disque :

« Tout commença un lundi matin par une série de pasos : Didi Duprat conduisit l’accordéon de Denis Tuveri comme une cavalière, lui réinventant une Espagne telle que seul peut en imaginer un ancien gamin de Ménilmontant d’avant les congés payés. On comprit tout de suite que le bon génie du musette était dans le studio ».

On a bien compris que l’accordéon et l’imaginaire sont faits pour vivre ensemble. Comme le bon génie sort de la lampe d’Aladin, l’imaginaire sort de l’accordéon ! Il est temps de faire des vœux !

vendredi 31 mars

… pour une petite faim :

- une salade de doucette de Meillon,
- un cassoulet de porc Manech d’Oteiza,
- un pain au levain, à l’ancienne,
- une part de Russe d’Artiguarrède,
- un verre de Madiran, château Peyros 1996,
- café de Colombie, trois petites tasses,
- E la nave va

Tranquille ! Pas une note au-dessus des autres ! Cool ! Juste ce qu’il faut de mouvement : le minimum d’effort pour le maximum d’effet… Rien que du classique très classe : Bossa Nova Groove !

- "Bossa Três e Jo Basile", enregistré à New York en 1963, UBCD 311, 2002.

Ils sont quatre. Il faut les citer : Luis Carlos Vinhas, piano, Sebastian Neto, bass, Edison Machado, drums, Jo Basile, accordion. Ce qu’ils font, ils le font avec le plus grand sérieux, sans se prendre au sérieux. Une philosophie un tantinet ironique et teintée de dandysme !

La rencontre de la culture basque, d’un Russe et d’un vin du Béarn sur une nappe à carreaux avec la bossa nova brésilienne comme environnement sonore. L’improbable n’est jamais sûr !



Sur le coup de 17 heures, petit détour par l’espace culturel de l’hypermarché Leclerc. En parcourant le rayon « jazz », je tombe nez à nez avec un disque dont l’image de couverture attire mon regard. Quatre musiciens, costume sombre de bonne coupe, chemise blanche, nœud papillon, cheveux poivre et sel bien coiffés. Une vraie élégance, y compris dans le clin d’œil. Je reconnais Didier Lockwood, Marcel Azzolla et Jean-Philippe Viret. Le quatrième m’est inconnu : Martin Taylor à la guitare. Un disque de Didier Lockwood pour fêter ses cinquante ans. Parmi les portraits des interprètes, je suis frappé par les mains et les doigts de Lockwood, d'Azzolla et de Viret ; par le regard de Lockwood et de Taylor, d'une part, d'Azzolla et Viret, d'autre part. Ces doigts et ces regards nous en apprennent déjà beaucoup sur la psychologie des membres du quartet et sur leurs rôles respectifs.

- "Waltz Club", Universal Music, 2006.

Didier Lockwood joue sur violon acoustique Bernard Germain, archets Yamaha et Gilles Duhaut ; système Schertler et Yamaha. Marcel Azzolla, comme d’habitude, assure sa partie. Discret, mais présent quand il faut, comme il faut. Sérieux et plein de sensibilité, il met sa marque sur plusieurs titres, comme ça, sans avoir l’air d’y toucher : Indifférence, La Ballade irlandaise, Balajo, Swing Valse… Il faudra y revenir, mais d’ores et déjà j’ai beaucoup apprécié l’homogénéité du quartet, la présence de son leader et les arrangements de Dimitri Naïditch…dont j’ai beaucoup aimé la Valse nostalgique, que je n’avais jamais entendue. Encore de belles choses à écouter. Didier Lockwood s’inscrit dans ce qu’il appelle un jazz à la française. Je trouve en l’occurrence l’expression tout à fait bien choisie. Tous les titres, tous des valses, sont en effet interprétés dans un esprit et un phrasé jazz, qui donnent au disque une unité remarquable. Un même esprit les anime. Variations sans fioritures. « Rien de trop », disait la sagesse des grecs anciens. Présence de l’Un et du Multiple.



En relisant ces quelques lignes, j’observe que le hasard de la rencontre entre Baselli et Azzolla met en évidence un point commun entre eux : l’économie de moyens. En cela ils se distinguent pour moi de ce jeu d’accordéonistes qui, à mes oreilles, produisent toujours trop de notes jusqu’à l’asphyxie. La virtuosité de pacotille du "toujours plus" versus la virtuosité classique du "rien de trop"…

jeudi, mars 30, 2006

jeudi 30 mars

Hier, mercredi, Françoise était invitée à intervenir dans un séminaire sur l’illettrisme à Artigues-près-Bordeaux. Travaux de 13h30 à 16h30. Nous sommes partis de Pau à 9h15 ; nous étions de retour à 20h30, juste à temps pour voir Lyon – Milan à la télévision, après un détour de 500 kilomètres. Vu l’état de la route Pau – Bordeaux, nous avons rejoint la voie rapide Bayonne – Bordeaux : des théories interminables de camions venus de tous les pays de l’Europe, des travaux de toutes sortes, un incident qui bloque la circulation sur plus de vingt kilomètres, les espaces immenses des Landes, alternances de pins et de terres grises. Systèmes d’irrigation comme d’immenses sauterelles. Au retour, le soleil se couche dans notre dos : la chaîne des Pyrénées, de la Côte basque au Pic du Midi de Bigorre est superbe. La neige a fondu, mais toutes les nuances de bleus et de verts se déploient des vallées aux sommets. Ciels multiples : bleus, violets, oranges...

Avant de quitter la banlieue de la rive droite de Bordeaux, banlieue improbable, lacis de rues en réfection, centres commerciaux, hangars, ronds-points, immeubles de bureaux de banques ou de compagnies d’assurances, instituts de formation, etc… le tout traversé par la rocade en direction de Paris, avant de quitter cette banlieue décolorée, venteuse et déprimante, nous faisons un détour par le centre ville. Bègles et ses maisons basses individuelles, les boulevards, la gare Saint-Jean, le cours de la Marne et les Capucins, la place de la Victoire plantée d’une sorte d’obélisque, l’école de la Magistrature, la place Gambetta, le Triangle, le Grand Théâtre, les quais et la coulée verte du tramway, la façade XVIIIe , le bruit des pneus sur les pavés de la place de la Bourse, la cathédrale saint Michel, le marché de Brienne, le flot des voitures qui s’engouffre dans la rocade longée par la Garonne… sortie vers Bayonne… Plein de souvenirs, pas de nostalgie.

Nous n’apprécions pas d’écouter de la musique en voiture pour au moins deux raisons : une raison esthétique et une raison morale. Raison esthétique : les conditions d’écoute sont médiocres. Bruits du moteur, bruits de l’air sur la carrosserie, attention mobilisée par la conduite. Raison morale : cette attention requise par la conduite fait que l’écoute est inégale, entrecoupée de moments où l’on ne peut plus faire attention à ce que l’on entend, et nous ressentons cela comme un manque de respect envers le compositeur et les interprètes. On s’en tient donc aux informations de Radio Trafic.

Mais, la nuit venue, on est un peu en manque de musique. Il faut y remédier. Pour faire contraste avec les sensations et l’agitation de la journée, nous choisissons quelque chose que je qualifierais volontiers de minimaliste :

- 3 Compositions by John Cage, Cheap Imitation (1969), Souvenir (1984), Dream (1948), Teodoro Anzellotti, Accordion, Winter & Winter, 2003.

En écoutant ces trois interprétations des oeuvres de John Cage, en m’accordant insensiblement à la durée installée par Anzellotti, une expression me vient à l’esprit :”... des limbes géométriques… ». Cela rend assez bien compte de l’impression que j’éprouve : rigueur et incertitude, ouverture et clôture, organisation et fluidité, tension et lâcher prise, etc… Coexistence de contraires. Et bien sûr, le son d’Anzellotti : l’accordéon au scalpel.

mardi, mars 28, 2006

mercredi 29 mars

Je viens de relire le numéro 112 (avril 2005) de Jazzman consacré à l’«Accordéon jazz, je t’aime, moi non plus ?». J’y reviens souvent, car je le trouve quasi inépuisable. A chaque lecture, je découvre en effet quelque chose qui m’avait échappé auparavant. On y trouve en particulier une interview très personnelle, riche d’informations et de perspectives, de Richard Galliano, un article sur l’accordéon : instrument et jeu sans frontières, article bien documenté et d’une grande densité, et une liste de cinquante accordéonistes de jazz avec des références discographiques.
Du coup, cela m’a donné l'envie de faire ma sélection personnelle d’accordéon jazz. Cette sélection a deux limites : mon fonds de disques et mes goûts actuels, qui évolueront ou changeront forcément avec le temps ou avec de nouvelles acquisitions. Pour l’instant, elle tient sur deux cds que j’ai grand plaisir à écouter en continu. Son organisation ne répond à aucun critère rationnel a priori (tendances, histoire, localisation, types de formation, etc…) ; elle résulte d’associations d’idées, tel titre me faisant penser à tel autre, qui à son tour… l’ensemble, en fin de compte, s’organisant comme un réseau ouvert.

- Sélection 1
- J.F. in French Touch, Galliano
- Miss Who ? in Trois temps pour bien faire, Azzolla
- La luna in Terra Madre, Biondini
- Les errances d’une valse (1 à 4) in Entre chien et loup, Mille
- Los ceibos de mi pueblo… in Senderos, Saluzzi
- J.F. in More Than Ever, Galliano
- Otro Adios in No Jazz, Berthoumieux
- Listening to Pat Martino in Ivry Port, Varis
- Bohemia after Dark in Ruby, My Dear, Galliano
- Tango Ballade in Round About Weill, Coscia
- Mister Richard in Sandunga, Sopa
- El Astor in Jazz, Berthoumieux
- Muerte de Juan Tango in Mosalini / Agri Quintet, Mosalini
- If in If, Saluzzi
- Olivia à la brune in Navigators, Salis
- Decafinata in Charms of the Night, Klucevsek

- Sélection 2
- Whisper Not in Ivry Port, Varis
- Ruby, My Dear in Ruby, My Dear, Galliano
- Spicy Voyage in New Montmartre, Beier
- Pensées Jazz in Sandunga, Sopa
- Mister Sandman in Come into my swing ! Beier
- Le trou normand in Vertige, Mallard
- Art for Art in Art for Art, Schlick
- I remember Clifford in Face to face, Galliano
- Gus & Gus in Gus Viseur à Bruxelles, Gus Viseur
- Dina in Sessions, Loeffler
- Danse 7 in Entre chien et loup, Mille
- Bianco e Nero in More Than Ever, Galliano
- 46éme avenue in de Clichy à Broadway, Gus Viseur
- A la mode in Accordion à la mode, Art Van Damme
- Valse hot in in A Perfect Match with Johnny Smith, Art Van Damme
- 20 Years Ago in The Rought Guide to A. Piazzolla, Piazzolla & Gerry Mulligan

Avec un petit effort, on doit pouvoir passer de trente-deux à quarante-huit (3 x 16)... Il suffit de seize propositions...

lundi, mars 27, 2006

mardi 28 mars

… écouté cet après-midi deux disques :

- "Artango, Métropole", Virgin Classics, 1997.
- "Artango, in Extremis", Ambroisie, 2003.

Dans le premier disque, "Métropole", il y a Fabrice Ravel-Chapuis, piano, Jacques Turpin, bandonéon, et un quatuor à cordes, Cyril Garac & Nicolas Krassik, violons, François Michaud, alto, Pierre Michaud, violoncelle.

Dans le second, "In Extremis", il y a Fabrice Ravel-Chapuis, piano, Jacques Turpin, bandonéon, Claire Dit Terzi, voix, Cyril Garac, violon, Patrick Sintès, contrebasse, Eric L’Heudé, percussions.

Le duo, piano – bandonéon, s’est associé à des partenaires différents et bien sûr les deux disques ont de ce fait des couleurs différentes, mais dans les deux cas on retrouve une certaine tension, qui donne son unité aux deux œuvres, qui sont comme les deux volets d’une même oeuvre. Il me semble qu’en effet on peut parler d’œuvre en ce sens qu’une même inspiration traverse les deux cds comme un fil rouge à partir duquel Artango tisse tout un jeu de variations. Comme une même idée, reprise et reprise encore pour en faire miroiter toutes les facettes ou pour en extraire toutes les significations possibles.

Le premier, comme l’indique son nom, "Métropole", explore des moments et des lieux urbains : Brumes matinales, Rendez-vous, Gare centrale, Underground, Passager. Mais on y trouve aussi Sur le fil, qui dit bien la recherche de l’équilibre sans cesse remis en jeu. On pense à l’expression « Sur le fil du rasoir ». Parmi les titres de ce disque, un pur joyau : Fleurs fanées d’Astor Piazzolla.

Le second, comme le suggère son nom, "In Extremis", évoque ce tout dernier instant avant un changement radical. Ce peut être l’instant qui précède la mort, ce peut-être aussi cet instant où, contre toute prévision raisonnable, le pire est évité. Evidemment, on retrouve ici l’idée de tension et même de tension à la limite.

Il y a dans ces deux disques une sorte d’attitude aristocratique, quelque chose d’austère, une certaine distance vis-à-vis du monde, une écriture pleine de références assumées et assimilées, sans forcer le trait. En ce sens, je parlerais volontiers de musique classique, non pas en tant que copie et redite d’œuvres reconnues comme classiques, mais en tant que musique destinée à faire référence et donc à devenir classique. Deux disques inscrits dans la tradition du tango, parce qu’ils la renouvellent.

lundi 27 mars

France 3. Dimanche 26 mars. 0h30 – 1h25. Bal sur la place. Concert enregistré à Saint-Lys (près de Toulouse) en juin 2005 et quelques autres séquences toulousaines…

Après avoir visionné ce documentaire, à la manière d’un inventaire à la Prévert, je me rappelle :

- un groupe musical essentiellement féminin, « Bombes 2 Bal », et son accordéoniste, Martine Lataste,
- l’émergence du forro occitan ;
- un accordéoniste brésilien du Nordeste, virtuose du diatonique, Heleno dos oito Baixos, qui joue sur un Hohner ;
- le quartier Arnaud Bernard, un bar « Le Brueghel », une pseudo épicerie de nuit et une association « Escambiar » ;
- un lieu où se rencontrent des occitans, des italiens et des brésiliens pour jouer ensemble ;
- une danse « la grouléjade », qui se danse en traînant les pieds dans des chaussures à demi-chaussées, des groules ;
- les « Fabulous Trobadours » et Claude Sicre ;
- un accordéon rouge, des danses en couples et en rondes, une ronde tribale toulousaine ;
- Rio loco et des improvisations ;
- le titre d’un disque d’Heleno dos oito Baixos : « musique pour femmes de ménage et chauffeurs de taxis », édité en 1984 ;
- l’habillement d’Heleno : chemise rouge, gilet noir sans manches, pantalon écossais ou chemisette jaune, jean ;
- « Le chat perché » dansé comme une scottish ;
- trois accordéonistes sur la place Arnaud Bernard avec leurs trois accordéons : un Maugein, un Hohner, celui d’Heleno, et un [Cava]gnol[o], qui a perdu une partie de ses lettres, celui de Martine Lataste ;
- une ronde animée de mouvements de flux et de reflux comme des vagues sur le sable ;
- la nécessité de se donner des contraintes rigoureuses pour prendre du plaisir à danser ensemble et à improviser sur une trame maîtrisée ;
- des ateliers de danses occitanes et brésiliennes où ceux qui enseignent sont d’abord attentifs aux réussites et aux difficultés de ceux qui apprennent ;
- une définition de ces danses comme une manière de rebondir ensemble : chalouper et rebondir ;
- une autre définition où il est question de se remuer ses fesses et ses idées, ce qui nous met loin du clivage radical de la philosophie classique entre le corps et l’esprit ;
- un samu musical qui est en quelque sorte un service d’urgence pour permettre aux gens de danser au pied levé ;
- une danse occitane qui m’évoque les tarentelles et les transes qu’elles provoquent chez les danseurs ;
- l’idée de bal omnibus, c’est-à-dire pour tous et par tous ;
- le label « danse avec ta grand-mère » et les indigènes du Lauragais ;
- ce proverbe africain : « un village où il n’y a pas de musiciens est un village où l’on ne peut pas rester »…

Ce documentaire suscite en moi d’emblée de la sympathie, mais je crois que j’aurais bien tort de m’en tenir à cette impression immédiate. En fait, ce qu’il nous montre, c’est une utopie en acte, quelque chose de véritablement révolutionnaire : des gens heureux d’être ensemble, de danser ensemble au son d’un accordéon (et de quelques autres instruments) et d’y prendre du plaisir sans se croire obligés de consommer des choses achetées à grands frais ou à crédit pour être sûrs d’exister. C’est en cela que la musique, et l’accordéon en particulier, sont révolutionnaires : on vient de voir en effet qu’il y a du plaisir possible hors du monde de la marchandise, du commerce et du marché. Et l’on voit aussi dans ce documentaire combien un enracinement culturel local se nourrit d’influences diverses et se combine harmonieusement avec une ouverture à d’autres musiques, d’autres rythmes, d’autres traditions. L’accordéon sera humaniste ou ne sera pas.

samedi, mars 25, 2006

dimanche 26 mars

Tous les camélias du quartier se sont couverts de fleurs roses ou rouges en même temps. Le prunier perd sa blancheur impeccable, ses fleurs tombent comme des flocons de neige et il se couvre d'une multitude de feuilles dont le vert tendre frissonne sous une brise à peine perceptible, chargée de parfums nouveaux. Les branches des bouleaux sont parsemées de bourgeons minuscules ; les glycines s'aggripent à leurs troncs blancs veinés de noir. Les charmes laissent tomber leurs dernières feuilles sèches et les premiers bouquets de feuilles nouvelles se déplient comme de petits feux d'artifice. La météo annonce plus de vingt-cinq degrés pour l'après-midi.

On a décidé de faire une piperade pour déjeuner. C’est un plat typique de la cuisine basque. Il faut compter environ 30 minutes de préparation (20 minutes de cuisine plus 10 minutes pour dresser la table) et 30 minutes de cuisson.

Pour nous accompagner, de la préparation à la dégustation de la piperade, plus le temps du dessert - des fraises Gariguettes au sucre - et d’un café de Colombie, il faut choisir un disque à la fois rustique, chaleureux et convivial. Voyons… voyons… Finalement, ce choix va de soi ; il s’impose avec évidence, d’autant plus que nous avons l’assurance d’un long temps d’écoute et donc de nous installer en toute tranquillité d’esprit dans le monde que nous raconte Raul Barboza. Nous choisissons en effet le coffret de 3 cds :

- "Raul Barboza, L’Anthologie", Frémeaux & Associés / Radio Canada, 1999
- cd 1 : Raul Barboza
- cd 2 : La Tierra sin Mal
- cd 3 : Live at Montmagny

Donc… pour 4 personnes, il faut 4 tranches de jambon de Bayonne, 4 œufs, 2 piments verts et un piment rouge, 2 à 3 tomates, 1 oignon, 2 gousses d’ail, de la croûte et de la mie de pain de campagne, de l’huile, du piment d’Espelette en poudre, du sel et du poivre.

On fend les piments pour enlever les côtes et les graines ; on les découpe en fines lanières. On ébouillante les tomates, on les pèle et les coupe en quatre. On pèle et on hache l’oignon et l’ail. On fait revenir l’oignon et l’ail dans l’huile, on ajoute les piments, on continue la cuisson pendant environ 5 minutes en remuant bien, puis on ajoute les tomates. On sale, on poivre, on fait cuire une vingtaine de minutes à découvert, dans une grande poêle, en remuant de temps en temps. On ajoute ensuite les lanières de jambon, les œufs battus en omelette et la mie de pain. On ajoute un trait de poudre de piment d’Espelette. On remue jusqu’à ce que les œufs soient pris et l’on sert tout de suite…

Avec ce plat local, il nous faut un vin de même origine. On ouvre un Iroulèguy rouge. Une nappe et des serviettes de linge basque en toile écrue, bordées de lignes bleues et rouges, des assiettes simplement blanches et le vin en carafe. En bout de table, il y a une place pour celui qui nous fait l’honneur d’être notre hôte et de rythmer notre repas : Raul Barboza.

samedi 25 mars

Je me souviens qu’enfant, en dernière année de l’école primaire, je tenais des cahiers où j’inscrivais méthodiquement les noms des peintres, des compositeurs, des footballeurs et des champions cyclistes que je trouvais, les uns dans des dictionnaires ou des encyclopédies, les autres dans des revues sportives, d’autres encore sur des vignettes à coller dans un album. Dix ans, c’est en effet l’âge des collections et des listes, l’âge où l’on croit qu’il est possible de connaître le monde en le nommant. Collection de timbres de tous les pays du monde, liste des noms de tous les animaux sauvages, liste des pays et de leurs capitales, liste des contes de Perrault, liste des monnaies, des pays producteurs de cacao ou de bananes ou de café, etc… etc… Bien entendu, je n’ai plus cette illusion encyclopédique, mais il me reste le goût de transcrire et même plus simplement de recopier les noms des objets, des œuvres ou des personnes que j’admire. Ce travail, quasi calligraphique, au moins par l’intention, est en quelque sorte une façon de « me les incorporer ».

C’est ainsi qu’en écoutant les disques de musiques des Balkans, dont je parlais hier, le désir m’est venu de noter non pas les titres qui me touchent particulièrement mais le nom des accordéonistes grâce auxquels j’ai la chance d’éprouver cette émotion. Ecrire leur nom avec toute l’attention possible, c’est aussi une manière de les écouter avec tout le respect que méritent leurs interprétations ou leurs compositions.


- “Martin Lubenov Orkestar, Dui Droma / Two Roads, Roma Gypsy”.
- MARTIN LUBENOV.
- « Roberto de Brasov, Le swing des Carpates ».
- ROBERTO DE BRASOV
- « Ionica Minune - acordeon »
- IONICA MINUNE
- « Trifon Trifonov & Stanimaka, Bulgarian Wedding »
- STOYAN GRIGOROV
- « Trio Dobrogea, Musiques traditionnelles de Roumanie »
- GHEORGHE TUDORACHE
- « Chants Lautar de Bucarest, Panseluta Feraru »
- CONSTANTIN LACATUS
- « Taraf de Haïdouks, musique des Tziganes de Roumanie »
- MARIN « MARIUS » MANOLE
- « Taraf de Haïdouks, Honourable Brigands, Magic Horses and Evil Eye”
- NICULAE
- “Taraf de Haïdouks, Dumbala Dumba »
- IONITA
- « Mahala Raï Banda”
- MARIAN ENACHE

... auxquels j’ajoute :

- “Erik Marchand et les Balkaniks, Pruna”
- FLOREA « FLORICA » SANDU et VIOREL TAJKUNA

Il n’est pas question de les classer suivant l’ordre alphabétique ou suivant un critère quelconque. Il suffit qu’ils soient là dans l’ordre où je les ai écoutés et que, ayant écrit leurs noms, je puisse me les rappeler… à la manière dont Georges Pérec déclinait « Je me souviens ».

jeudi, mars 23, 2006

vendredi 24 mars


Je suis heureux comme un gosse ! Bien que je ne sois pas très habile en informatique, ni même en internet, et que j'ai conscience de manquer d'outils et de technique pour faire ce blog tel que je l'imagine ou tel que je l'imaginerais si je maîtrisais suffisamment la technologie, bien que la législation et les réglements m'empêchent de citer des extraits des titres, dont j'aurais voulu partager le plaisir qu'ils me procurent, malgré cela, pas à pas je m'approche de ce que je souhaite faire. Bref, le 14 mars, j'ai fait une photographie du trio Amestoy, Dulieux, Suarez avec mon mobile Nokia. C'est un bon appareil. La preuve : il me permet même parfois de téléphoner...
Après avoir transféré cette photo sur mon ordinateur, ce qui m'a obligé à quelques tâtonnements, j'ai le plaisir de pouvoir l'afficher. J'espère que ce n'est qu'un début...



L’écoute du Martin Lubenov Orkestar m'a donné envie d’explorer un peu le monde des Balkans, dont j’ai bien conscience que sa complexité n’est pas facilement accessible ni aisément compréhensible. Les peuples s’y mêlent à la faveur de mouvements migratoires et les musiques s’y croisent sans jamais se confondre vraiment. Comme ces grands fleuves qui se rejoignent et s’écoulent dans un même lit, mais sans que leurs eaux se mélangent véritablement. De loin, on croirait voir un tissu uni, mais de près on discerne nettement que ce qui parait uniforme résulte du tissage d’un nombre infini de fils. D’autre part, je pressens que cette musique, ces voix, cette sorte d’expressionnisme si caractéristique, que tout cela masque une profonde souffrance, un déchirement profond et quasi existentiel entre le désir de s’intégrer, d’être comme tout le monde, et le désir d’être différent, de ne pas être comme tout le monde. Il me semble que c’est ce dilemme irréductible qui donne sa tonalité et sa qualité esthétique à ce chant des Balkans.

Petit parcours à la manière de la progression en oblique du cavalier…

- Martin Lubenov Orkestar, Dui Droma / Two Roads, Roma Gypsy
- Roberto de Brasov, Le swing des Carpates
- Ionica Minune - acordeon -
- Trifon Trifonov & Stanimaka, Bulgarian Wedding
- Trio Dobrogea, Musiques traditionnelles de Roumanie
- Chants Lautar de Bucarest, Panseluta Feraru
- Taraf de Haïdouks, musique des Tziganes de Roumanie
- Taraf de Haïdouks, Honourable Brigands, Magic Horses and evil Eye
- Taraf de Haïdouks, Dumbala Dumba
- Mahala Raï Banda

Certes, je n’apprécie pas tout au même degré, mais dans chacun de ces disques il y a au moins deux ou trois titres que l’on peut dire bouleversants et qui laissent une trace sinon indélébile du moins profonde, comme les paroxysmes qui les ont inspirés.

jeudi 23 mars





Après une première écoute du Martin Lubenov Orkestar et du disque de Chamamé des frères Flores, j’ai lu avec attention les livrets de présentation qui les accompagnent. Dans les deux cas en effet, ce livret est fort bien fait et j’ai l’impression assez valorisante que les éditeurs me considèrent comme capable de trouver intérêt à situer culturellement, historiquement, sociologiquement les œuvres qu’ils me proposent. On est assez loin des emballages marketing et des couvertures rentre-dedans, du type « inclus bonus… collector… édition limitée, etc… ». De ce fait, j’ai vraiment l’impression d’avoir affaire à un objet culturel et pas seulement à un disque compact réduit à sa réalité de simple produit industriel.

Devant cet objet, je repense à la page du 4 décembre où je faisais allusion à ces deux notions de la réflexion esthétique empruntées à Roland Barthes : le studium et le punctum. Barthes s’interrogeant sur ce qui détermine son goût esthétique pour certaines œuvres artistiques relève l’existence de deux éléments : ce qu’il appelle le studium, l’intérêt intellectuel qu’on y porte, qui pourrait être assimilé au plaisir de la connaissance, et d’autre part le punctum, qui correspond à ce qui nous touche immédiatement et indépendamment de toute explication discursive.

Dans le cas présent justement j’éprouve ce plaisir complet à écouter la musique et à lire les informations qui, sans tenir lieu du plaisir de l’écoute, contribuent à lui donner de la profondeur et de la densité.

- “Martin Lubenov Orkestar, Dui Droma, Two Roads, Roma Gypsy”, Connecting Cultures, 2004.

Le livret, en français, anglais et espagnol, donne en une dizaine de pages dans chaque langue un aperçu des Roms en Bulgarie, des explications sur leur intégration sociale aux dépends de leur identité ethnique, sur l’anti- et le philo-tsiganisme, sur Martin Lubenov et la musique Rom en Bulgarie et enfin sur le Martin Lubenov Orkestar. Ce sont des pages politiquement engagées qui donnent beaucoup de signification à la musique, même si celle-ci suffit en tant que telle à nous émouvoir. Martin Lubenov est très présent, parfois discret, parfois pour un solo bref, mais toujours percutant. Les portraits des musiciens donnent une image de leur psychologie ; ils regardent l’objectif du photographe, y compris le chanteur aveugle Neno Iliev, et ce regard en dit beaucoup sur leur caractère.

Hier, j’étais sensible au chant et à la clarinette, outre l’accordéon ; au fur et à mesure des écoute et suivant les titres, d’autres instruments se manifestent : contrebasse, percussions, trompette, guitare, saxophone… On voit Lubenov avec un Weltmeister et, sur une autre image, avec un Scandalli. Plusieurs titres évoquent irrésistiblement le monde du tango. Autre phrasé mais le même cœur déchiré, les mêmes amours impossibles, qui laissent des blessures impossibles à cicatriser. On reste marqué par l’interprétation de Dui Droma. En tout cas, j’ai du mal à m’en détacher. Superbe, tout en nuances douloureuses. Je trouve qu’il y a du stoïcisme dans cette musique.


- “Argentine, Chamamé, Musique du Parana”, Rudy Flores, guitare, Nini Flores, accordéon, Ocora, 1994.


Dire que c’est un disque Ocora, c’est tout dire quant au respect de l’éditeur pour les amateurs de musique. Une dizaine de pages en français (idem en espagnol et en anglais) sur l’origine historique du chamamé, sur la musique de chamamé, sur les thèmes interprétés et sur les musiciens. Je ne saurais dire clairement pourquoi, mais je sens une proximité entre le chamamé et le tango. Comme si le chamamé se situait dans une thématique analogue à celle du tango, mais dans un registre moins tragique, disons plus léger.

Par exemple, ces paroles d’une chanson d’amour : Merceditas.

« Ainsi naquit notre amour
Avec illusion, passionnément,
Mais, je ne sais pourquoi,
La fleur se fana et s’en fut mourir…

En l’aimant comme un fou
J’en vins à comprendre
Ce qu’est aimer, ce qu’est souffrir,
En lui donnant mon cœur

Telle une plainte errante
Flottant dans la campagne,
Mon chant, un écho vague,
Se souvient de cet amour écoulé,
Merceditas demeure
L’enchantement qui vit
Dans mon chant nostalgique ».

Carlos Gardel n’est pas loin, mais ici ce n’est pas tragique. La passion y est moins convulsive, plus pudique… elle n’est pas moins profonde, si elle est plus pudique.

Ce disque a été enregistré en 1993 à Buenos-Aires. Rudi a 32 ans et Nini a 27 ans. En couverture, deux jeunes gens souriants, les cheveux courts et frisés. Un autre disque, dont j’ai fait mention il y a quelques semaines déjà, est sorti en 2004 sous le titre « Rudi et Nini Flores, Chamamé Musique de Corrientes, Ocora ». A l’intérieur, une photographie de Rudi, 42 ans et Nini 37 ans… dix ans de plus. Rudi, l’air grave, les cheveux courts, et Nini, l’air grave et « la boule à zéro ».

mercredi, mars 22, 2006

mercredi 22 mars

Réunion de travail à Tarbes : 10h – 13h, 14h – 17h… Avant de sortir la voiture du parking souterrain et de rentrer à Pau, petite visite à la boutique « Harmonia Mundi », évidemment. Nous constatons avec le responsable que peu de disques d’accordéon ont été édités ces derniers mois. Son catalogue annonce un disque de Gizavo pour le 21 avril ; c’est à peu près tout…

Le temps est couvert, de brusques coups de vent précédent des grains brefs et violents. Cela nous dissuade de sortir pour aller sous les bourrasques jusqu’à l’escalier du parking. On parcourt plusieurs rayons ; on découvre sur une table un certain nombre de livres relatifs à la musique, nous les feuilletons, nous en discutons. De fil en aiguille nous en venons à échanger quelques propos sur le surréalisme et sur son influence, sur la vie et l’œuvre de Breton, sur « Nadja », (ce n’est pas par hasard que notre fille se prénomme Nadja), sur Eluard et Aragon, Duchamp et Chirico et Ernst, sur la guerre de 14-18, origine apocalyptique du XXe siècle, sur la publicité, qui a pillé le surréalisme et la psychanalyse, sur la précarité des musiciens et sur le statut des intermittents, sur le comportement de certains profiteurs et sur le désarroi du plus grand nombre… bref, une conversation ordinaire sur tout et rien.

Mais on ne va pas partir comme ça… Il y a assez de ressources ici pour que nous y trouvions notre bonheur. Et en effet :

- Françoise jette son dévolu sur « Schumann, Concerto pour violoncelle et orchestre en la mineur op. 129 et Concerto pour piano et orchestre en la mineur op. 54, Orchestre des Champs Elysées, dir. Ph. Herreweghe », Harmonia Mundi, 2001.

Pour ma part, deux disques me font signe :

- “Martin Lubenov Orkestar, Dui Droma, Two Roads, Roma Gypsy”, Connecting Cultures, 2004.
- “Argentine, Chamamé, Musique du Parana”, Rudy Flores, guitare, Nini Flores, accordéon, Ocora, 1994.

Ils me font signe, d’une part parce que la couverture du disque du Martin Lubenov Orkestar représente en très gros plan un soufflet d’accordéon. Donc, il doit y avoir de l’accordéon. Bien entendu, je refuse l’invitation du responsable de la boutique, qui me propose de l’écouter. Je préfère cultiver la surprise. Ils me font signe d’autre part parce que j’ai écouté récemment un disque Ocora de Rudi et Nini Flores jouant le chamamé et que j’en ai gardé un excellent souvenir. Comme pour l’autre disque, pas question d’en écouter des extraits…

Au moment même où j’écris ces mots, j’écoute le Martin Lubenov Orkestar. J’y retrouve des échos de Roberto de Brasow ou de Minune, avec une douceur particulière et une présence envoûtante de la clarinette et du chant. Il faudra y revenir, mais c’est déjà la promesse de grands plaisirs.

Pour le chamamé, je me donne un peu de temps… ce soir peut-être…

mardi, mars 21, 2006

mardi 21 mars

Alors que, Françoise et moi, nous sommes en train de tailler les charmes qui isolent du jardin la terrasse dédiée au barbecue et aux grillades, un voisin sonne au portail. Il est âgé de plus de quatre-vingt cinq ans. Il a l’air déboussolé. Sa femme est hospitalisée depuis quelques jours après une mauvaise chute. A son admission aux urgences, elle est restée sans soins pendant huit heures dans un couloir ouvert à tous les vents. Son état semble se dégrader de jour en jour. Il nous dit à quel point le personnel soignant lui parait dévoué et compétent, mais il constate aussi avec quelque amertume que l’organisation du système est déficiente et que le manque de moyens humains est patent. Sa dignité nous émeut et nous l’invitons à partager avec nous du café et quelques gâteaux, de cette sorte de petits fours que l’on appelle des tuiles.

Il accepte notre invitation comme un répit dans l’inquiétude qui le tenaille. Il nous apprend que cet après-midi le kinésithérapeute doit essayer de faire marcher sa femme et il ajoute, avec beaucoup de pudeur, que ce sera un test. « Si ça se passe mal, dit-il, elle ne marchera peut-être plus jamais ».

Nous entrons dans le séjour, dont nous avions laissé toutes les fenêtres ouvertes, pour pouvoir entendre « Ciudad Triste », le disque de Juan-José Mosalini et son grand orchestre de tango. A cet instant, la voix de Reynaldo Anselmi emplit la pièce. Accompagné du piano d’Osvaldo Calo, des cordes et des bandonéons, il chante Sur (3 :54) d’Anibal Troilo et Homero Manzi.

Comme nous nous apprêtons à couper le son, il nous demande quel est ce disque et manifeste un tel intérêt que nous laissons le morceau aller jusqu’à son terme. En quelques mots, il nous apprend que cette musique le touche car, à un moment de sa vie, avec sa femme, ils étaient passionnés de tango et il y a maintenant des années qu’il n’a plus écouté cette musique. L’occasion ne s’est plus présentée. Les circonstances de la vie… Réminiscences : c’est une période de sa vie qui remonte de sa mémoire en fragments émouvants. On sent bien qu’il est heureux de se les remémorer et c’est ainsi qu’en fin de compte tout le disque accompagne ses évocations.

De même qu’ Ambra est associé à la chute de la première dent de lait de Charlotte, de même le grand orchestre de Mosalini est désormais associé à ce moment où un vieux monsieur, au soir de sa vie, comme on dit, trouve dans les accents du tango les ressources pour oublier son angoisse et trouver dans les souvenirs du passé la force de vivre plus sereinement le présent. C’est d’autant plus étrange que le tango n’est pas précisément une musique gaie. Tout se passe comme si sa gravité, son sérieux et sa solennité donnaient du prix à la vie.

Après son départ, j’ai écouté deux compositions d’Astor Piazzolla dans le disque « Mosalini – Gieco en concert (aller – retour), bandonéon et flûte » :

- Pedro y Pedro (bandonéon solo),
- Night Club (flûte et bandonéon).

J’avais choisi ces deux titres pour les comparer à deux autres interprétations :

- la version de Pedro y Pedro, pour accordéon solo, donnée par Galliano dans « Ballet Tango »,
- la version live de Night Club donnée lors du festival international de Guitare de Liège en 1985 avec Marc Grauwels à la flûte in « Adios Nonino », Le chant du monde, 2005. Il s’agit de l’un des quatre titres d’Histoire du Tango (Bordel 1900, Café 1930, Night Club 1960 et Concert 1990) joués pour ce festival.

Je me sens encore très loin de savoir les apprécier, la perception de leurs différences, bien qu’effective, manque encore de pertinence, c’est pourquoi je m’en tiens pour l’instant à une impression globale qui tient en quelques mots : écriture, classicisme, rigueur, précision, contraintes créatrices… Apollon plutôt que Dionysos, la mise en forme géométrique plutôt que la fluidité de l’énergie vitale… Chantier en cours…

Dans le disque de Mosalini et Gieco, il y a un livret très complet, sans pédantisme mais très informatif. Il présente, sur sept pages en trois volets, la musique et les compositeurs, le bandonéon, les musiciens. J’y ai appris par exemple que la rencontre du bandonéon et du tango est due au hasard, à l’initiative d’un brésilien métis vers 1870 et d’un marin allemand vers 1900. J’y ai appris que le bandonéon, d’origine allemande et polonaise, a d’abord été joué dans les milieux aisés avant de se répandre en milieux populaires. J’ai été étonné de trouver, comme une sorte de pivot du disque, une sonate de Francesco Maria Veracini (Florence 1690 – Florence 1768). J’y ai appris aussi quelles étaient les trajectoires d’Enzo Greco et de Juan-José Mosalini. J’ai trouvé intéressant enfin de voir que la tradition du tango est enracinée en France et qu’elle s’y perpétue au plus haut niveau d’exigence… Toutes choses que j’ai le projet d’approfondir.

lundi, mars 20, 2006

lundi 20 mars printemps

Juan-José Mosalini… voila un compositeur, arrangeur, chef d’orchestre, interprète qui m’impressionne et me fascine. Il m’impressionne par la rigueur et par l’ampleur de sa musique ; il me fascine parce que je trouve cette musique difficile, exigeante, parfois aride, mais en même temps je sens bien qu’en la comprenant mieux je m’ouvrirais des horizons qui me sont encore étrangers.

J’ai un souvenir très précis du moment et du lieu où je l’ai rencontré. Un jour, à la Fnac, un disque attire mon regard :

- « Michel Portal, Musiques de cinémas déjouées avec des amis jazzmen », Label bleu, 1995.
Le concept, comme on dit aujourd’hui, m’intéresse. A l’intérieur, un titre m’attire :

- Docteur Petiot (4 :45), arrangements Leonardo Sanchez, Juan-José Mosalini et son grand orchestre de tango, Michel Portal, clarinette basse.

Commentaire de Michel Portal : « Sur le tango, il faut absolument cette assurance, cette détermination, ça ne rigole pas. L’orchestre est si fortement constitué que l’on peut se glisser dedans, insérer une impro de clarinette basse ». Tout est dit et j’en reste fortement marqué. Détermination ; rigueur ; grand orchestre ; le tango, ça ne rigole pas.

Après avoir écouté Docteur Petiot, je veux en savoir un peu plus sur Mosalini… Petit aller-retour jusqu’à Tarbes, boutique « Harmonia Mundi ». Paradoxalement, alors que je voulais explorer la piste « grand orchestre », après discussion avec le responsable du magasin, mon choix s’arrête sur deux disques où Mosalini joue en duo et en quintet.

- « Mosalini-Gieco en concert (aller-retour) », récital du baroque européen à la musique du Rio de la Plata, Label bleu Indigo, 2001. Enregistrement du concert du 26 avril 1994.

Ce disque, flûte et bandonéon, m’intéresse, mais son écoute est difficile pour moi et je sens bien que mon manque de culture musicale m’interdit encore d’en tirer tout le plaisir qu’il recèle.

- « Mosalini / Agri Quintet », Label bleu, 1996.

Je sens bien qu’il y a là un style et une virtuosité de haut vol. A l’occasion, je vérifie cette idée que les plus fidèles à une tradition sont les créateurs qui, nourris d’une culture sans failles, prennent le risque d’innover. Mais je reste encore impressionné par cette culture et par cette virtuosité des membres du quintet : Mosalini, bandonéon, Antonio Agri, violon, Osvaldo Calo, piano, Leonardo Sanchez, guitare, Roberto Tormo, contrebasse.

Au gré de mes humeurs, j’y reviens parfois, toujours avec ce même sentiment que quelque chose m’échappe…

Un autre jour, en parcourant les rayons de la Fnac, la couverture d’un disque me fait signe :

- « Bordoneo Y 900 », Juan-José Mosalini et son grand orchestre de Tango, Label bleu Indigo, 1994.

Je retrouve, à son écoute, la justesse du commentaire de Michel Portal, et j’entre de mieux en mieux dans le son de l’orchestre, car son architecture me plait maintenant. J’imagine assez bien que la solennité de cet orchestre l’inscrit dans la tradition des grands orchestres typiques de Buenos-Aires.

Mercredi 15 mars, après un détour inutile par Virgin, nous allons voir les ressources de la boutique « Harmonia Mundi » de Toulouse, à deux pas du Capitole… Je cherche « quelque chose qui soit de l’accordéon ou du bandonéon ». On parle du disque d’Astor Piazzolla, « Adios Nonino, Hommage à Liège », Le Chant du Monde, 2005. De fil en aiguille, le responsable en vient à nous conseiller le disque suivant :

- « Conciertos para Bandoneon Y Guitarra » , Juan-José Mosalini, Leonardo Sanchez, l’ENSEMBLE, orchestre de basse-normandie, direction Dominique Debart, Label bleu Indigo Tango, 1998.

Je ne sais pourquoi, mais d’emblée j’apprécie tout particulièrement trois titres :

- Bordoneo y 900 d’Osvaldo Ruggero
- Milonga del Angel de Piazzolla
- Tango in Hommage à Liège de Piazzolla

Le vendredi 17, après avoir fait des courses alimentaires à l’hypermarché Leclerc, petit détour par l’espace culturel, « Le Parvis ». Je flâne… Rayon « Argentine »… Comme par hasard - hasard objectif diraient les surréalistes ! - un disque marqué à prix réduit est là, qui m’attend :

- « Ciudad Triste », Juan-José Mosalini et son grand orchestre de Tango, Label bleu Indigo, 2001.

Sans savoir pourquoi, à moins de faire l’hypothèse d’un apprentissage inconscient, j’apprécie tout particulièrement plusieurs titres avec l’impression, si je puis dire, de m’y reconnaître… de retrouver immédiatement quelque chose qui m’est devenu familier :

- Seleccion de Tangos de Julio de Caro
- Ciudad Triste
- Balada para mi Muerte
- Seleccion de Milongas
- Patio moi
- Romance de Barrio
- Tres Minutos con la Realidad


Il reste à laisser décanter ces impressions pendant quelque temps et à reprendre la dégustation à son origine. A propos de dégustation, je vois en effet une analogie entre cet apprentissage et celui du vin. Au début, il est fréquent d’être désorienté par une première écoute ou un premier contact avec un vin inconnu, mais avec du temps et de la constance on finit par découvrir des mondes de plaisirs insoupçonnés par une sorte d’apprentissage culturel par imprégnation. Quelque chose a changé dans notre perception du monde. Quand ? Comment ? On n’en sait rien. Reste cette évidence esthétique : on a changé et donc appris quelque chose…

Bon ! C’est pas tout ça… On a une petite faim, il faut penser à casser une croûte. Direction : « Au petit bouchon », un coin sympathique et assez goûteux tenu par des Lyonnais immigrés dans le Sud-Ouest. Tables de bistrot, marbre blanc veiné de gris, pieds contournés peints en noir, chaises recouvertes de cuir rouge, miroirs dans des cadres bordeaux, murs granités blancs, couvert impeccable ; la nappe et les serviettes sentent le linge fraîchement repassé…

- neuf fines de claires avec un verre de Jurançon sec,
- une entrecôte (250 gr) marchand de vin avec son accompagnement de légumes du marché,
- une assiette de fromages du pays,
- une glace cardamome,
- un café du Costa-Rica,
- un verre de Madiran, domaine Berthoumieu (on ne sort pas des références à l’accordéon)…

Sans être au régime, il faut savoir rester sobre et frugal, tendance Slow Food ! L’accordéon sera épicurien ou ne sera pas !

dimanche, mars 19, 2006

dimanche 19 mars

Hier, à propos du disque de Maria Kalaniemi, « Ambra », je relevais son interprétation d’ Indifférence de Murena et Colombo. Comme je n’ai pas le goût des classements, ni des répertoires, comme je n’ai pas de compétences de documentaliste, je n’ai ni technique, ni outils pour retrouver à coup sûr tel titre, tel compositeur ou tel musicien… Il me reste le souvenir d’avoir noté telle interprétation pour telle ou telle raison, l’intuition que tel musicien a dû jouer tel titre, une sorte de flair qui vient de la familiarité avec mes disques… La démarche n’a rien de méthodique, à certains égards elle manque d’efficacité ou du moins de rationalité… mais elle provoque des rencontres inattendues, des bifurcations, des réapparitions de choses oubliées. Provoquer délibérément le fortuit, l’inattendu, l’imprévu, c’est aussi une méthode, qui en vaut bien d’autres.

C’est ainsi que par une démarche en grande partie aléatoire, j’ai rassemblé cette petite sélection d’interprétations d’ Indifférence, qui est un vrai bonheur pour aujourd’hui :

- Murena, Swing Accordion 2, Le swing à bretelles, Iris Music, 2003. 2 :31.
- Murena, Valse des pionniers in David Rivière, From Valse to Swing, Le Chant du Monde, 2004. Enregistrement de 1942
- O’Connor, Paris Musette 3, vent d’automne, La Lichère, 1997. 3 :25
- O’Connor, Vibrations, le son du musette, moderne cd1, ULM, 2004. 3 :28
- Sylvestre, Valses Caprices, Cinq planètes, 2004. 4 :19
- Portal / Galliano, Concerts, Dreyfus Jazz, 2004. 4 :00
- Bolovaris, Paris Musette 2, swing et manouche, La Lichère, 1993. 4 :30
- Rivière, From Valse to Swing, Le Chant du Monde, 2004. 3 :10
- Kalaniemi, Ambra, Amigo Musik AB, 2001. 2 :32

Je croyais bien les connaître, mais il y a toujours un moment où je suis surpris d’entendre tel ou tel passage que je n’avais pas perçu. Chaque interprétation est comme un coffret à double fond, à triple fond, à fonds multiples que l’on n’a jamais fini d’ouvrir et de découvrir.

Autre plaisir : non seulement, j’ai le plaisir de l’écoute, mais tous ces albums étalés côte à côte sont comme des enfants que j’aime tendrement et différemment, chacun pour sa personnalité et ses comportements. « Vibrations » et son accordéon au soufflet jaune d’or, « Concerts » avec le double portrait noir et bleu de Portal et Galliano aux sourires énigmatiques, « Paris Musette 3» et son couple de danseurs au bord de l’eau, « Ambra » avec Maria et Timo comme solarisés, « From valse to Swing » avec sa photographie tout en nuances de gris de Rivière juvénile et rêveur, « Paris Musette 2 » traversé par le mouvement d’un châle manouche, « Swing Accordion » et son accordéon au soufflet rouge, « Valses caprices » et ses guitares sur fond de marqueterie cubiste…

Autre effet latéral de ma méthode : je pensais que Michel Macias avait joué Indifférence dans « Caï Caï Caï ». Vérification faite, j’y trouve La Rabouine, la Godasse, la Flambée montalbanaise… et c’est reparti pour une nouvelle quête… Il y a des erreurs qu’il faut savoir ne pas éviter.

Comme je n’ai le goût ni des palmarès, ni des distributions des prix, contrairement à ce qui semble être de règle dans un certain monde de l’accordéon, je ne fais pas cette sélection dans le but d’établir un classement ; ce que je cherche, en écoutant ces différentes interprétations, c’est avant tout de pouvoir percevoir des différences. Il me semble en effet que percevoir, c’est toujours d’abord percevoir des différences ; plus on a l’occasion d’affiner ces différences, plus le monde se diversifie en nuances multiples, plus il est source de nouvelles sensations et donc de nouveaux plaisirs. Disant cela, je comprends pourquoi toute une production de disques d’accordéon ne m’intéresse pas. Du début à la fin, je n’y perçois qu’un flot indistinct de notes indifférenciées, qu’un vain exercice de virtuosité mécanique et sans âme. Je note que souvent cette impression, cette absence d’impression, devrais-je dire, correspond à la présence quasi permanente d’un sourire niais sur le visage de l’interprète. Le plaisir, oui ; la joie béate, non. Je retrouve en cela le problème que je me posais le jeudi 16 sur l’existence d’une ou de cultures de l’accordéon et je serais assez porté à penser qu’un clivage culturel pourrait bien traverser les productions de musiques d’accordéon : les unes donnent à écouter des différences, des interprétations ou des compositions singulières, les autres donnent à entendre des copies conformes, des clones… Les unes traduisent la recherche, le tâtonnement, la prise de risques, les autres sont appréciées parce qu’on y retrouve à l’identique ce que l’on a déjà mille fois entendu.

Il faudra que j’approfondisse un peu cette piste…

samedi, mars 18, 2006

samedi 18 mars

Petite précision : le 10 mars, j’évoquais la prestation du New York Trio dans le cadre du « Festival Accordéon Summit ». Je dois préciser que le batteur était Clarence Penn, comme dans le disque, mais que James Genus, à la contrebasse, était à la place de Larry Grenadier.


… 9h, téléphone !
- Allo, oui…
- Bonjour…
- C’est toi, Charlotte ?
- Oui… Tu sais quoi ?
- ???
- Ma dent est tombée cette nuit !
- Ah ! mais alors la souris va passer cette nuit… Mets bien ta dent sous l’oreiller ce soir…

Pour comprendre cet échange, prière de se reporter au samedi 11 mars.


Le problème, c’est de choisir, comme ça, sans trop réfléchir, en se laissant guider par l’impulsion, c’est de choisir le disque qui va accompagner cette grande nouvelle !

Voyons… voyons…

Ce sera "Ambra" !

J’avais eu l’occasion de parler de ce disque les 16 et 17 février. Un mois déjà. Duo : piano et accordéon. Maria Kalaniemi : un son qui n’appartient qu’à elle, des titres en finnois absolument imprononçables. Qu’on en juge : Indifférence se prononce Välinpitämättömyyttä. Ce sont Murena et Colombo qui seraient surpris. Du coup, Soir de Paris, traduit par Pariisin itoja, ça parait évident. C’est Ferrari qui serait presque déçu.

Comme un plaisir ne vient jamais seul, il faut voir la photographie intérieure : un décor de bistrot des années 50 ; formica ici, formica là… formica partout. Maria Kalaniemi et Timo Alakotila, attablés face-à-face dans le bistro désert, viennent de boire un café… Timo Alakotila, de profil, regarde quelque part le mur d’en face ; Maria Kalaniemi, menton appuyé sur la main droite, regarde l’objectif droit dans les yeux. A droite, un piano ; devant le piano, sur un siège de pianiste, l’accordéon. Il suffit de le voir pour entendre le son inimitable que Maria va lui faire chanter.

- Ambra, Maria Kalaniemi, accordéon, Timo Alakotila, piano, 2001, Amigo Musik AB

Sur deux titres, s’ajoutent respectivement une contrebasse, puis la contrebasse et un quartet de cordes…

Voila ! A partir de maintenant, Ambra est associé à la première dent de Charlotte ! Plus tard, tu verras Chacha, le tango ou la valse à la mode finlandaise, c’est quelque chose ! Murena, Colombo et Ferrari chez les Lapons, tu parles d’un dépaysement…

vendredi, mars 17, 2006

vendredi 17 mars

… dans le jardin, les plantes sont, pour ainsi dire, devenues folles : le prunier est comme couvert de neige, les crocus se redressent en rangs serrés comme de petits soldats, les camélias vont bientôt laisser exploser leurs fleurs rouges, les jacinthes roses, bleues et blanches semblent se multiplier de jour en jour, les cerisiers du japon ressuscitent et les violettes se répandent dans le gazon en taches inégales.

Depuis quelques jours déjà, j’avais envie d’écouter trois disques, dont la tonalité me paraissait proche, et surtout de croiser certains titres qui, en première impression, me semblaient se faire écho. Il s’agit de trois albums où l’accordéon est joué par Jean-Louis Matinier :

- Les pas du chat noir, Anouar Brahem, oud, François Couturier, piano, Jean-Louis Matinier, accordéon, 2002, Ecm
- Le voyage de Sahar, Anouar Brahem, oud, François Couturier, piano, Jean-Louis Matinier, accordéon, 2006, Ecm
- Confluences, Jean-Louis Matinier, accordion, Bobby Rangel, flute, Nelson Veras, acoustic guitar, Renaud Garcia-Fons, acoustic bass, 2003, Enja

Ces trois disques nous ouvrent un monde de méditation, de rêveries, de rêves éveillés, d’associations d’idées et d’attention flottante ; un monde où les réflexions s’enchaînent par glissements imperceptibles ; un monde, sans éclats de voix, fait de murmures et de confidences intimes, susurrées derrière le masque de la pudeur. Je trouve que Matinier excelle dans ce registre. Son accordéon esquisse à la perfection des pensées de rêveries incertaines, qui vont, viennent, se déploient puis s’estompent avant de disparaître en laissant une impression insistante comme un parfum épicé. La rencontre improbable d’un oud, d’un piano et d’un accordéon apparaît à l’expérience comme une évidence et nous introduit dans un monde de sons encore inouïs. Un léger glissement et s’ouvre un autre monde aussi étrange : accordéon, flûte, guitare et la contrebasse de Garcia-Fons.

Au fur et à mesure des croisements, j’ai le sentiment que ces trois disques fonctionnent en quelque sorte comme un réseau où chaque titre est relié à tous les autres, comme les nœuds d’une toile d’araignée. Pour aujourd’hui, je m’en tiendrai au réseau suivant :

- Le voyage de Sahar : Sur le fleuve, Le voyage de Sahar, Vague, La chambre, Zarabanda ;
- Le pas du chat noir : De tout ton cœur, Leila au pays du carrousel, Pique-nique à Nagpur, L’arbre qui voit ;
- Confluences : Soleil rouge, Plainitude, Confluences.

Mais j’ai l’intuition que d’autres réseaux, latents, n’attendent que l’occasion de se manifester. Sans compter d’autres liens à découvrir. Je pense par exemple à Sanlucar dans le disque « Fuera », Renaud Garcia-Fons et Jean-Louis Matinier, 1999, Enja, ou encore à Alborea dans le disque du même nom, interprété par Matinier, Garcia-Fons, Yves Torchinsky, double bass, Jacques Mahieux, drums, Enja 1995. Bref, beaucoup de promesses de plaisirs à venir…

… de l’autre côté du jardin, il y a des jardins andalous, des fleuves lents qui se perdent dans des deltas de plus en plus ramifiés, plus loin encore des parcours désertiques parsemés d’oasis, des crépuscules roses, mauves et oranges, bref un temps et un espace incommensurables avec les nôtres, que mesurent la géométrie et le chronomètre.

jeudi, mars 16, 2006

jeudi 16 mars

Un jour… j’aimerais approfondir un projet quelque peu théorique qui m’a traversé l’esprit et que l’on peut exposer en quelques mots dans ses grandes lignes. Il tient en quelques questions : existe-t-il une culture de l’accordéon, au sens sociologique du terme ? Et si elle existe, peut-on parler d’une culture au singulier ou doit-on parler de cultures au pluriel ? Et si l’on en parle au pluriel, ces différentes formes de culture ont-elles un noyau commun identifiable, une sorte d’identité commune qui se diversifie, ou sont-elles entre elles radicalement différentes, comme des mondes hétérogènes et étanches entre eux ? Le goût pour l’accordéon est-il localisable dans telle ou telle zone du champ social ou se trouve-t-il distribué dans la totalité de ce champ ? En d’autres termes est-il associé à des « classes sociales » ou réparti de manière plus ou moins aléatoire dans l’ensemble de celles-ci, sur la totalité de « l’échelle sociale » ? Bref, qui aime l’accordéon, le pratiquer ou l’écouter ?

Par culture, j’entends un ensemble de représentations, d’idées et d’opinions partagées par tous ceux qui apprécient l’accordéon (ou le bandonéon), qui ont plaisir soit à le pratiquer, soit à l’écouter.

En fait, une culture, ainsi définie, se manifeste par quatre grandes caractéristiques, qui réunissent en communauté un certain nombre de personnes et qui sont considérées comme devant être transmises à ceux qui voudraient en devenir membres :

- des valeurs (ce qui est bien ou non ; convenable ou non ; ce qu’il faut faire ou ne pas faire ; des règles de comportements). On peut penser ici à une esthétique de l’accordéon, celle-ci pouvant se confondre avec une véritable éthique, une manière de concevoir le monde et le sens qu’on veut lui donner ;
- des rites (qui célèbrent des événements marquants ou qui créent l’événement et le perpétuent). Ici on pense évidemment à des festivals célèbres ;
- des symboles (matériels et verbaux, des objets ou des lieux chargés de signification et des paroles ou des manières de dire les choses ; un ensemble de choses ou un langage codés). Ici, on pense aux accordéons de telle ou telle marque et de tel ou tel virtuose (le Maugein de Duleu, par exemple ; le Victoria de Galliano), à des lieux comme le Balajo, etc…
- des mythes (des histoires enracinées dans des faits réels, mais enjolivés de génération en génération ; des personnes devenues des figures mythiques, des pères fondateurs ou des génies qui marquent leur époque et la dépassent). Ici, on pense à Gus Viseur, à Jo Privat, à Azzolla, à Art Van Damme, à Piazzolla, à Galliano, etc…

Pour un tel questionnement, la revue « Accordéon et accordéonistes » est assurément une mine à exploiter. Une première lecture inciterait à penser que le monde de l’accordéon se décline en réalité dans plusieurs cultures plus ou moins étrangères les unes aux autres. Mais c’est une hypothèse à examiner… A l’inverse, on trouverait aussi des exemples de cohabitation de choix a priori incompatibles entre eux, cet éclectisme s’inscrivant dans un mouvement général de mixité des cultures et de disparition des frontières entre les formes de culture légitime et d’autres marginales ou émergentes. A suivre…

D’ici là, vous qui lisez ce blog, si vous avez quelques idées sur la question, n’hésitez pas à me les communiquer. Si vous avez des choses à dire sur les valeurs, les rites, les symboles et les mythes de l’accordéon (ou du bandonéon)… je suis entièrement à votre écoute.

mercredi, mars 15, 2006

mercredi 15 mars

Ce matin, avant de retourner à Pau, quelques courses à faire dans le quartier du Capitole. Chemin faisant, nous passons devant le magasin Virgin. J’ai une véritable infirmité, car je n’y ai jamais trouvé ce que je cherchais malgré plusieurs tentatives infructueuses. Essayons encore une fois. En fait, je cherche « de l’accordéon… ou du bandonéon ». Une fois de plus mon bonheur ne s’y trouve pas. En revanche, je suis gêné et agacé par l’omniprésence des malabars du service de sécurité. Je ne sais pas si l’air est climatisé, mais pour moi il est assez vite irrespirable.

Du coup, en quelques pas, nous nous réfugions dans la boutique « Harmonia Mundi ». Quelques mots échangés avec le responsable à propos du « Festival Accordéon Summit », dont il nous donne un programme complet que nous n’avions pas su nous procurer. Excusez du peu : Galliano, Contet, DJ Rom, Collectif Eole, Dulieux, Suarez, Amestoy, Perrone, Scheyder, Nano, Macias… En plus, souvent, plusieurs prestations pour chacun d’entre eux.

Rien dans le rayon accordéon que nous n’ayons déjà… Du côté du bandonéon, il nous recommande un disque de Juan-José Mosalini… Comme d’habitude dans cette boutique ou dans son homologue à Tarbes, nous achetons de confiance.

Arrivés à Pau, vite ! une première écoute… Comme d’habitude avec la musique composée, arrangée ou jouée par Juan-José Mosalini, on est devant des œuvres très écrites. Un premier regard, en diagonale, révèle un livret de grande qualité, que je qualifierais volontiers de didactique. Le plaisir esthétique se double du plaisir d’apprendre… et donc de mieux comprendre l’origine du plaisir que j’éprouve à l’écoute de ce disque.

- Juan-José Mosalini, bandonéon, Leonardo Sanchez, guitare, avec l’Ensemble, orchestre de basse-normandie, direction Dominique Debart, Conciertos para Bandoneon y Guitarra, J.-J. Mosalini, A. Piazzolla, O. Ruggero, Label bleu Indigo, collection Indigo Tango 1998.

mardi 14 mars

D’abord, une petite précision : la première partie du concert de Richard Galliano « New York Trio », le vendredi 10 mars, salle Nougaro, à Toulouse, était assurée par Thierry Gonzalez au piano et Alain Marque à l’accordéon. Il fallait les citer, car on espère bien les retrouver d’ici peu.

Aujourd’hui, salle Nougaro, de 21h10 à 22h40, « création pour trois accordéons ». Comme le dit Jean-Luc Amestoy :

- « A l’accordéon, Didier Dulieux,
- à l’accordéon, Jean-Luc Amestoy et…
- à l’accordéon, Lionel Suarez. »

Dulieux joue sur Victoria, Amestoy sur Mengascini (je crois) et Suarez sur Piermaria. Dulieux et Suarez jouent en noir et blanc sur des accordéons à boutons ; Amestoy joue sur un accordéon à touches piano avec un magnifique soufflet rouge vif.

Tous les trois ont préparé ce concert depuis six mois. Chacun a apporté un tiers du répertoire. Certaines compositions sont originales, dont une, un solo de Suarez, « qui n’a pas encore de nom ». Dulieux prendra aussi un solo. Amestoy, sans être en retrait, se comporte comme un grand frère attentif et bienveillant. On sent de toute évidence que cette prestation a été travaillée en profondeur et Françoise et moi nous sommes particulièrement sensibles à la qualité des ajustements entre les trois. Dulieux fait sonner son accordéon comme un orgue, Suarez déploie une musicalité extraordinaire et, comme toujours, Amestoy parcourt son clavier avec un toucher inimitable. Il faut voir ses doigts fins et puissants effleurer les touches noires et blanches pour en tirer cette sorte d’acidité suave qui n’appartient qu’à lui. A certains moments, ces trois-là nous paraissent un peu fous ; ils nous font penser à Motion Trio, surtout quand Dulieux se déchaîne…

Dans leur posture, une chose me frappe comme une évidence : ces trois-là sont de la famille ou de la tribu des accordéonistes introvertis, dialoguant d’abord avec leur instrument et en cela respectant le public bien mieux que ne le font certains bateleurs plus soucieux de racolage et de succès faciles que d’exigence artistique. Il faut voir comment ils se regardent l’un l’autre : on a le sentiment qu’à travers le profond respect mutuel qu’ils se portent, ils apprennent encore et toujours. Comme le dit à peu près Amestoy : « nos routes se croisent, ce n’est pas si fréquent de croiser des collègues, il faut en profiter ! »

Les titres qui s’enchaînent sans temps mort nous racontent chaque fois une histoire différente et complexe. En même temps, l’unité de l’ensemble est évidente. Ce n’est pas de la musique facile ; le mot composition a ici tout son sens. « Sous le ciel de Paris » nous enchante, de même que cette histoire d’un petit toro chanté par Nougaro.

Après un second rappel, retour du trio, qui reprend ses instruments. Amestoy prend le micro : « Vous êtes trop gentils… on n’a rien préparé d’autre… on va recommencer au début… »

Après le concert, on s’attarde un peu, le temps de boire un verre de vin ou une bière, et le temps d’apercevoir Cataix et Didier Labbé, de voir Suarez donner un autographe à une dame qui « le suit partout » dans le Sud-Ouest, et de croiser Amestoy devant la porte en grande discussion avec quelques personnes… Il est 23 heures et le temps est à peine frais. On aimerait bien que ces trois-là sortent un disque… J’aimerais bien que la couverture restitue la lumière qui, tombant crue des cintres, sculptait en quelque sorte leurs visages, les yeux clos, tout à leur création.

lundi, mars 13, 2006

lundi 13 mars

Du dernier numéro de la revue « Accordéon & accordéonistes », n° 51 de mars 2006, je retiens particulièrement deux articles :

- en « Tête d’affiche », Marc Perrone, le maestro du diato ou encore le magicien musicien,
- en « Portrait », Jean-François Baëz, il joue comme il est.


L’article consacré à Marc Perrone a pour cause occasionnelle la promotion de son disque « Son éphémère passion », paru en 2004. Mais de manière plus essentielle, je le lis comme la présentation des facettes de ce que j’appellerais sa philosophie en acte. Par philosophie en acte, j’entends une philosophie incarnée dans des comportements et des œuvres, par différence, sinon par opposition, avec une philosophie en paroles ou en discours. Parmi ces différentes facettes, je retiens celles-ci :

- le musicien engagé et militant dans le diatonique… Peut-être un vieux complexe non liquidé, qui a poussé Perrone a produire une œuvre qui nous enchante pour prouver d’abord à lui-même la dignité de l’accordéon diatonique ;
- l’amitié, que l’on retrouve dans le témoignage de Lubat et dans la liste des noms de ses complices : Marie-Odile Chantran ; Paco El Lobo ; André Minvielle ; Jacques Di Donato ; Arthur H…
- l’humour, qui se manifeste dans le choix du titre de son album : « son éphémère passion » dont les initiales sont les mêmes que sclérose en plaque ;
- la vie malgré tout et l’énergie inépuisable du souffle vital, qu’il s’agisse de la voix ou du soufflet de l’accordéon ;
- le fou de cinéma et de musiques de films, qui sont encore une forme d’engagement politique, dont on trouve l’une des racines dans les « Fêtes de l’Huma »…

Cet article annonce aussi un album de photos à venir. Citons le photographe : Raphaël Rinaldi, qui nous livre deux photographies superbes en noir et blanc. Format carré. On y perd l’effet de réalité concrète de la couleur, mais on y gagne en profondeur et en intériorité. Difficile, après les avoir vus, d’oublier d’une part le portrait de Marc Perrone, l’œil et la moustache amusés, avec son Castagnari comme en équilibre, d’autre part son portrait avec Marie-Odile Chantran, leurs regards, leurs sourires et leurs mains enlacés. Deux photos où l’on saisit bien que dans une œuvre d’art il n’est pas possible de séparer le fond de la forme.


L’article consacré à Jean-François Baëz à l’occasion de son album « Nikita » nos parle de son père, de son fils, de ses voyages internationaux, de Louis Sclavis et de Guy Klucevsek, de bien d’autres rencontres, dont celle d’un jongleur, d’un instrument et d’une sonorité personnelle. Ici ou là, on croise le groupe Police, Bill Evans et Keith Jarrett, Gus Viseur et Marcel Azzolla ou Tony Murena… Tout ça, tout ce parcours expérientiel, se cristallise dans « Nikita ». On sent bien, en l’écoutant, qu’il fallait que ça sorte, comme on dit.

Sans oublier évidemment Pascal Berne à la contrebasse et Jean-Charles Richard au saxophone.

dimanche, mars 12, 2006

dimanche 12 mars

En ce dimanche toulousain, incertain quant à la météo et où nous attendons avec impatience un prochain concert dans le cadre du Festival Accordéon Summit, peu de temps à consacrer à l’accordéon. Camille et Charlotte ont entrepris un voyage imaginaire avec tous leurs bébés et la maison, qui résonne de leurs exclamations, ressemble bientôt à un bateau dans la tempête.

Avant de m’installer devant la télévision, comme sur une île déserte, pour regarder la retransmission de France – Angleterre de rugby, je jette à tout hasard un coup d’œil sur internet et sur mon blog. Et là, surprise heureuse… un commentaire associé à la page de vendredi. Autre surprise, ce commentaire est signé de Sylvie Jamet, dont j’admire beaucoup le blog consacré à l’accordéon et à bien d’autres choses musicales encore. Je le consulte souvent et je suis chaque fois épaté par la quantité et la précision des informations. On est loin de mon butinage erratique. Mais ce n’est pas tout : ce commentaire est lui-même d’une extrême gentillesse ; c’est un grand plaisir, d’autant plus qu’il est inattendu. Du coup, je ne me prive pas, à mon tour, de faire savoir à Sylvie Jamet tout le bien que je pense de son entreprise.

Je dois à Sylvie Jamet et à son blog la connaissance du disque suivant :

- « Travessa da Espera, danças ocultas, accordéons diatoniques », sélection (1995 & 1998) fabriquée et vendue sous licence Emi-Valentim de Carvalho, 2002. 53 :41.

… et je ne regrette certes pas de lui avoir fait confiance. Le 5 janvier, je crois, j’écrivais ceci :

8h00… la dame de colissimo nous sort du lit. Deux disques d’Alapage :

- Traversa da Espera, Danças ocultas. Disque commandé à partir d’une critique enthousiaste lue sur un blog remarquable dédié à l’accordéon ;
- Tango Futur, Paris – Buenos Aires


Il me reste donc à faire une dernière chose, que j’aurais dû faire à ce moment-là : donner l’adresse du blog de Sylvie Jamet… pour les amateurs d’accordéon qui ne le connaîtraient pas encore… mais ils doivent être fort peu nombreux.

- http://sylviejamet.over-blog.com/

… vous ne regretterez pas de m’avoir fait confiance…

samedi 11 mars

21 h. Théâtre Sorano à Toulouse. Françoise et moi, nous faisons l’essai d’amener Charlotte (6 ans en avril) à une représentation du Bourgeois Gentilhomme. Durée prévue : 3 heures. C’est un essai, car nous nous demandons, non sans quelque inquiétude, comment Charlotte va découvrir d’un seul coup la langue de Molière, une mise en scène et un jeu d’acteurs résolument modernes. A minuit, nous avons le bonheur de voir le plaisir de Charlotte, qui a compris beaucoup plus de choses que nous ne l’imaginions, qui a apprécié les toilettes à l’entracte et qui a découvert des jus de fruits à la pomme, à l’ananas et à la fraise. La représentation théâtrale, c’est aussi son environnement.

La musique, originale, est loin de celle de Lulli ; les personnages sont tous en noir et blanc, vêtements et maquillage ; le décor est sombre, le plateau couvert de quelques centimètres d’eau où pataugent les comédiens, au grand dam des spectateurs du premier rang ; Le Bourgeois Gentilhomme est traité comme une sorte de Don Quichotte, émouvant et ridicule à la fois…

Dans cet univers en noir et blanc, à gauche de la scène, discret mais visible… un accordéon à touches piano accompagne en direct le texte et les mouvements des acteurs. Et c’est une vraie réussite ! De la pénombre un rythme se déploie en même temps que l’on aperçoit sa ligne de touches noires et blanches, et les pulsations du soufflet traversées d’éclairs de lumière quand le projecteur frappe de plein fouet les parties métalliques.

Pendant tout le trajet aller et retour, pendant toute la représentation, Charlotte craignait et espérait à la fois que sa première dent tomberait. Ce n’est pas encore pour aujourd’hui. Affaire à suivre… la souris ne va pas tarder à passer…

samedi, mars 11, 2006

vendredi 10 mars

21 h- 23h30. Festival Accordéon Summit, salle Nougaro, à Toulouse. Richard Galliano, New York Trio.

Nous avons quatre billets, pour Nadja, Sébastien, Françoise et moi. Placement libre : nous sommes devant l’entrée à 20h20. Peu après 20h30, la salle ouvre ses portes. Nous entrons. Nous choisissons de nous installer au troisième rang de face. Sur la scène, un piano et une chaise nous intriguent.

En première partie, un duo imprévu : un pianiste et un accordéoniste. La chaise est pour lui : il joue de l’accordéon assis. Il a une casquette blanche sur la tête ; il est aveugle. Quatre titres : le premier de Petrucciani, puis deux compositions du pianiste, puis un tango joué avec distance et humour… Accueil chaleureux du public. On aimerait pouvoir les écouter à nouveau. Les organisateurs ont eu une heureuse idée en les invitant.

Concert du New York Trio : très professionnel. L’organisation est sans failles, ni incertitudes. Encore moins des hésitations. L’ensemble tourne comme un mécanisme d’horlogerie suisse. Présence de Galliano dans son habituelle tenue noire. Homogénéité des membres du trio. Présence, au sens où tout s’organise autour de Richard Galliano ; homogénéité, au sens où le trio donne le sentiment d’être une personne à part entière. Non 1+1+1, mais 3 en 1. Le batteur est tout en toucher et en finesse ; le contrebassiste me fait penser à Charlie Mingus. Immense, le regard lointain, il accompagne son jeu de doigts d’une sorte de récitatif marmonné : voix audible seulement par intermittences, comme un fil rouge derrière la formidable puissance des vibrations de la contrebasse.

Après le rappel, le trio joue la Gnossienne n°1, que j’attendais. Je trouve en effet que l’on y saisit bien la spécificité de l’interprétation de Galliano, disons de son esprit.

Au salut final, la fatigue marque son visage, même si elle n’efface pas un sourire de satisfaction et de complicité avec les deux autres musiciens.

Pendant le concert, parfois il laisse tomber son bras droit le long de son corps et agite fugitivement sa main pour en expulser les crispations ; à un moment, où le contrebassiste se lance dans un solo, il pose son instrument, fait quelques pas en arrière, dans la pénombre, et esquisse un mouvement d’étirement des bras. A plusieurs reprises, il dépose son instrument à terre quelques instants et applique ses mains dans son dos à hauteur de la taille. Cette fatigue ajoute encore de l’émotion au concert et dit bien quel est le prix de la perfection.

Ses mouvements des pieds : parfois, il marque la cadence et esquisse comme des pas de danse, d’autres fois, ses pieds sont comme incrustés dans le sol et donnent ainsi un formidable équilibre aux mouvements du haut de son corps, de ses épaules et de sa tête. On pense au centaure : mi-homme, mi-cheval. Galliano, mi-homme, mi-accordéon. Jamais sans doute l’expression « faire corps » avec son instrument n’a paru aussi vraie.

jeudi, mars 09, 2006

jeudi 9 mars

… écouté et regardé encore et encore le Dvd « Piazzola Forever », y compris en bonus des moments d’interview de Richard Galliano, où il rappelle son attachement à Astor Piazzolla et l’essentiel de l’enseignement qu’il en retient : la pulsation. Je note qu’à l’occasion d’une répétition, il est assis pour jouer de son instrument. C’est la première fois que je le vois dans cette posture. Je suis frappé par ses propos, lorsqu’il dit qu’en jouant il imagine un danseur évoluant devant lui et que cela l’aide à construire sa musique. Cela m’aidera aussi à l’écouter.

Au fur et à mesure de ces écoutes et visionnements, une expression me vient à l’esprit : « le monde tango »… Non pas « le monde du tango », mais « le monde tango ». Le « monde du tango », c’est en effet cette culture urbaine construite autour du tango, localisée à Buenos-Aires, dans les cafés, qui se manifeste dans une sorte d’exacerbation des sentiments et par les couleurs de la passion : le rouge, le noir ou le violet… Ce que j’appelle « le monde tango », c’est tout autre chose, c’est une vision du monde, une manière de le percevoir et de l’appréhender. Ce n’est pas un monde particulier, c’est le monde perçu suivant un certain rythme et en quelque sorte organisé suivant les pulsations du tango. C’est le monde perçu à travers le filtre du tango. C'est le monde perçu comme un tango...

mercredi, mars 08, 2006

mercredi 8 mars

Hier, mardi, en fin d’après-midi, je gare ma voiture dans le parking souterrain du Centre Bosquet, à Pau. Il est 16h45. J’ai rendez-vous chez le coiffeur à 17h. C’est l’occasion de faire un petit détour par le rayon musique de le Fnac. J’ai l’intuition que je vais trouver quelque chose d’intéressant… Dès que j’arrive dans le rayon, un Dvd attire mon regard :

- Richard Galliano, Piazzolla Forever, Septet en concert, Dreyfus Jazz, The Art of Jazz, 2006.

Quelques précisions techniques : C’est une production Dreyfus Jazz et Oléo Films. On trouve dans la pochette deux Dvd aux normes Pal et Ntsc ; format 16/9 ; son 4.0 ; durée : 2h50. Enregistrement en direct le 8 juin 2005 au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris. Le Dvd comprend 21 titres et trois bonus : Tango pour Astor, Le fumeur de cigare et Discography.

Plusieurs différences notables entre la composition de ce Dvd et le Cd du même nom :

- Le Cd comprend douze titres, le Dvd en comprend vingt-et-un. On trouve en effet dans celui-ci des titres comme La valse à Margaux, Tango pour Claude ou encore Oblivion, absents de celui-la. On y trouve aussi deux versions de Michelangelo 70. L’ordre est différent : Otono porteno et Invierno porteno au début du Cd ; Verano porteno et Primavera portena en début de Dvd.
- Le septet aussi est un peu différent : on retrouve bien Phillips-Varjadebian, violon solo, Apap, viola, Logerot, contrebasse, Sellin, piano. En revanche, Surel assure le second violon, Demarquette, le violoncelle.
- A noter, La valse à Margaux donnée en duo par Richard Galliano et Sébastien Surel. Superbe ! Une complicité admirable que la caméra montre à la perfection.
- Ce qui m’amène à dire un mot de la prise de vue. Aux antipodes des réalisations de certaines émissions musicales données par la télévision, où les réalisateurs s’ingénient à proposer des images éclatées sur un fond de couleurs criardes et incertaines, ici la caméra est au service des musiciens et du spectateur. On a le sentiment d’une réalisation soucieuse de mettre en valeur les musiciens en s’efforçant d’effacer tout effet de style gratuit. Le décor, les couleurs, les échelles de plans, tout est choisi avec le maximum de pertinence. Le décor : une scène en plan général, vue d’en haut, mais aussi le public dans un univers clos et chaleureux ; les couleurs : noirs, or, rouge… évidemment ; les échelles de plans : l’ensemble du septet, mais aussi des gros plans sur les mains, les doigts, le regard des interprètes. Regard de Phillips-Varjabedian, de Surel, de Galliano et regards croisés entre eux.


… 18 heures. En rentrant à la maison, petit détour par l’Espace Culturel Leclerc où j’ai l’habitude de trouver « Accordéon et accordéonistes ». Trois numéros. J’y retrouve un article sur Marc Perrone ; page 7, une publicité pour le Dvd ; page 56, une critique de ce même Dvd, que je vais lire avec attention… et, sur la même page 6, à côté de la publicité pour le Dvd, trois lignes mentionnant l’existence de ce blog. Merci à la rédaction !

… 2 h 30. Il est temps d’aller se coucher. Depuis 21h30, le Dvd tourne et tourne encore… Ecoute de l’ensemble, écoute de quelques titres choisis un à un, impossible de s’en détacher. Qu’il soit en position de leader ou en accompagnement, on sent bien que Galliano est à chaque instant au service de la musique de Piazzolla, et cela rejaillit sur le comportement de chacun des membres du septet. Il me semble que l’on peut à bon droit parler de musique classique, au sens où en la matière elle fait référence. Il n’est plus possible ensuite de jouer les mêmes titres sans s’y référer.

Il y a des jours comme ça, pleins de petits bonheurs…

mardi, mars 07, 2006

mardi 7 mars

- “Ruby, My Dear. Richard Galliano, New York Trio, with Larry Grenadier & Clarence Penn”. Dreyfus Jazz, 2005. Enregistrement public le 1er janvier 2004 à Orvieto.

Autant “New York Tango” est présenté dans des couleurs chaudes : rouge, orange, jaune, autant « New York Trio » joue sur des couleurs froides : gris et vert. Une tenue estivale, chemise imprimée pour Richard Galliano, sur l’un ; veste confortable et écharpe sur l’autre. Guitare, drums et contrebasse pour l’un ; drums et contrebasse pour l’autre. Les vibrations sont devenues intimistes. On pense à l’atmosphère d’un club de jazz new-yorkais. Demi-teintes et compréhension à demi-notes, comme d’autres, dit-on, se comprennent à demi-mots…

A l’écoute de ce disque, ce qui me frappe, c’est l’extraordinaire unité qui s’en dégage et la continuité de ton de titre en titre, alors même que les compositeurs semblent appartenir de prime abord à des mondes différents : Thelonious Monk, Carlos Almaran Eleta, Oscar Pettiford, Erik Satie et bien sûr Richard Galliano. De Ruby, My Dear à Gnossienne n°1 en passant par Historia de un Amor ou Bohemia after Dark… avant de retrouver Spleen ou Waltz for Nicky !

Je commence à mieux comprendre ce que signifie l’esprit jazz. Je commence à mieux comprendre en quoi consiste le travail de traduction et d’interprétation qu’il opère. En fait, c’est bien d’une vision du monde qu’il s’agit. Je saisis mieux aussi, me semble-t-il, qu’il s’agit d’une prise de risque permanente.

lundi, mars 06, 2006

lundi 6 mars

Dans l’ordre chronologique de ma collection, très incomplète, voici maintenant « Concerts »

- "Michel Portal – Richard Galliano, Concerts", Dreyfus Jazz, 2004.

Ce disque figure au plus haut dans mes préférés, pour ses qualités intrinsèques certes, mais aussi parce qu’il résulte d’un enregistrement public. Ou plus exactement de trois enregistrements en public. Déjà les noms suffisent à me faire rêver :

- 5 mai 2003 au Théâtre des Arcimboldi à Milan,
- 19 août 2001 au festival de jazz Middelheim à Anvers
- 29 octobre 1998 dans les studios de la radio NDR à Hambourg

Je note d’ailleurs que beaucoup de disques de Richard Galliano ont été enregistrés en direct. Je pense en particulier à « New Musette », « Blues sur Seine », « Blow Up », « Piazzolla Forever » et donc aussi aux « Concerts ». Outre le grain sonore spécifique de ce type d’enregistrement, je suis très sensible à cet instant où, après un court moment en suspens, le public se libère dans ses applaudissements. Cette séquence : dernières notes, vide où le temps est suspendu, explosion d’applaudissements et d’expressions de joie, cette séquence me ravit. La musique vivante avec sa prise de risques est alors palpable, dense et fragile à la fois, et l’on perçoit bien que le public se sent partie prenante et solidaire de cette prise de risques. Un moment est vécu ensemble. Paradoxalement en écoutant le disque où cette vie a été enregistrée et en quelque sorte figée, j’ai l’impression d’y participer.

dimanche, mars 05, 2006

dimanche 5 mars

En 2003, Richard Galliano produit, sous label Dreyfus Jazz, « Piazzolla Forever » avec son septet. Enregistrement en public au Jazz Festival Willisau, le 29 août 2002.
Richard Galliano joue de l’accordéon et du bandonéon Victoria. Il est entouré d’un violon solo, d’un second violon, d’un violon alto, d’un violoncelle, d’une contrebasse et d’un piano. S’ajoutent en invités un violon et un violoncelle.

Ce disque est consacré entièrement à des compositions d’Astor Piazzolla. En cela, il ressemble à « Ballet Tango ». En revanche, dans ce dernier, Richard Galliano était le seul interprète, chose rendue possible par la technique des studios d’enregistrement. Ici, il est entouré de cordes et enregistré en direct.

Entre le « Ballet Tango » de 1992 et le « Piazzolla Forever » enregistré en 2002, il y a « Passatori » enregistré pendant l’automne 1998. Je ne peux m’empêcher de voir là une sorte de parcours dialectique. De Piazzolla en solo à Piazzolla en septet, en passant par la rencontre des solistes de l’orchestre de Toscane… Autrement dit, peut-être que « Piazzolla Forever » existe parce qu’à un moment de son parcours Richard Galliano a nourri son admiration pour Piazzolla, admiration manifeste dans « Ballet Tango », de ce qu’il avait vécu et appris en jouant avec les cordes de Toscane.

A noter, au milieu des titres de « Piazzolla Forever », une improvisation en solo sur Libertango (6 :24). Une introduction qui construit l’attente du public. Suspense. Libertango : Surprise ! Développement. On imagine l’attention et la tension des auditeurs présents. Suspense. Puissance et créativité. L’équilibre sur le fil du rasoir. Galliano construit la fascination. Dernière note : le public, qui sort d’un long moment en apnée, explose, comme étonné de son propre plaisir ! A écouter après Libertango (6 :53) de « Blow Up » et juste avant la version (8 :12) de « Concerts ». Triptyque. Un moment rare de plaisir !

Si l’on n’est pas rassasié, on peut toujours écouter aussi Laura et Astor… Un pur cristal de 3 :23. Mais finalement on pourrait dire la même chose à propos des autres titres… Peut-être aussi et surtout parce que l’intensité et la chaleur du direct leur donne un couleur émotive particulière.

samedi, mars 04, 2006

samedi 4 mars

En 2001, pour les cinquante ans de Richard Galliano, les disques Dreyfus Jazz sortent « Gallianissimo ! the best of Richard Galliano ». Il s’agit de quinze titres extraits d’albums précédents : « New York Tango », « Laurita », « Viaggio », « French Touch », « Passatori », « Spleen » et « Blow Up ». En plus, une version originale d’ Invierno Porteno enregistrée en direct, le 21 octobre à l’Abbaye de l’Epau, au Mans.

Le choix, de New York Tango à Oblivion, de Waltz for Nicky à La valse à Margaux ou de Spleen à Tango pour Claude, etc… etc…, me satisfait tout à fait et je retrouve à l’écoute de ces morceaux la vérité de la pensée d’Edgar Morin, que j’ai déjà citée : « Il y a plus dans le tout que dans la somme des parties », plus dans la mise en réseau de ces titres que dans leur écoute individuelle.

Nonobstant cette satisfaction et mon adhésion à ce best of, j’ai eu envie de faire ma propre sélection. Après mures réflexions et hésitations, je m’en tiens à la liste suivante, qui recoupe d’ailleurs en partie celle du best of :

- New York Tango* de l’album du même nom,
- Milonga del Angel de « Laurita »
- Waltz for Nicky* de “Viaggio”
- Passarinho de “French Touch
- Invierno Porteno* de “Gallianissimo
- Libertango de “Blow Up
- Sertao de “New York Tango
- La Valse à Margaux* de “Passatori
- Blues sur Seine, nom éponyme de l’album
- Giselle* de « Laurita »
- Viaggio* de l’album du même nom
- Tea for Toots de « Spleen »
- Tango pour Claude* de “Viaggio
- Adios Nonino de « Ballet Tango »
- Beritzwaltz de « Coloriage »

Les sept titres marqués d’une * figurent dans l’album « Gallianissimo !».

Tangos, valses, rythmes brésiliens, blues… En tout cas, j’y vois une image fidèle de l’œuvre que Richard Galliano construit disque après disque ; et j’aime bien l’idée d’avoir introduit « Ballet Tango » et « Blues sur Seine » dans cette sélection.

vendredi, mars 03, 2006

vendredi 3 mars

« Face to Face »… Un duo entre Eddy Louiss et Richard Galliano.

Il y avait déjà eu « Blues sur Seine » avec Capon, « Blow Up » avec Portal… Plus tard, il y aura « Concerts » toujours avec Portal. Parmi les titres de « French Touch », on avait aussi noté deux duos, d’une part avec Jenny-Clark, d’autre part avec Humair. Chaque fois la rencontre est singulière.

Ici, l’accordéon (Victoria) ou le bandonéon (AA) dialoguent avec un orgue Hammond. Evidemment, la sonorité qui en résulte est bien spécifique et à nulle autre semblable. D’autant plus qu’elle se croise avec une dominante de couleurs brésiliennes : Cavaquinho, Vinicius de Moraes, Baden Powell. Parmi les différents titres, deux ont comme un air de nostalgie : Sous le ciel de Paris et Avec le temps. Je n’ai reconnu qu’un titre déjà présent sur des disques précédents : Laurita, ce qui ajoute à la spécificité de ce disque.

- « Face to Face », Eddy Louiss, Richard Galliano, Dreyfus Jazz, 2001.

A l’intérieur du livret, Louiss et Galliano dans la posture de deux personnages hilares, tout à leur complicité, et un clin d’oeil : on les voit se photographier réciproquement. Une complicité en miroir ?

jeudi, mars 02, 2006

jeudi 2 mars

Nous avons vu que « French Touch » a été enregistré en mai et juin 1998. En novembre de la même année, Richard Galliano enregistre « Passatori » avec les solistes de l’orchestre de Toscane. Retour vers les origines italiennes ? Rupture avec l’esprit jazz ?

Retour, sinon vers les origines géographiques, du moins vers l’enfance. « Dans mon enfance, dit Richard Galliano, j’ai rêvé d’être concertiste. Seulement, ayant choisi très tôt l’accordéon et plus tard le bandonéon comme instruments principaux, le problème du répertoire s’est vite posé à moi ». Problème résolu par la rencontre avec Piazzolla, qui lui donne l’exemple d’une démarche, finalement classique, qui part de la musique populaire pour en faire une musique « précise, orchestrée, pensée… écrite ». Outre Piazzolla, à bien des égards son maître en la matière, Richard Galliano se classe dans une famille où l’on trouve Bela Bartok, Manuel de Falla, Villa-Lobos … et plus loin Bach, Beethoven ou Mozart.
Ce disque ne comprend que deux compositeurs : Piazzolla, le père spirituel en musique, et Galliano lui-même, le fils prodige. Sans doute que papa Galliano lui aussi est quelque part présent. On comprend bien qu’il s’agit d’un projet enraciné dans l’inconscient, donc vital.

Mais évidemment une telle ambition suppose de trouver l’orchestre adéquat. Richard Galliano nous dit : « Dès la première note jouée avec I solisti dell’orchestra della Toscana j’ai tout de suite senti que ça fonctionnait. Le swing et l’émotion étaient au rendez-vous ». On a du même coup la réponse à la question sur une éventuelle rupture avec l’esprit jazz. Notons que l’orchestre est italien : ici les racines géographiques. Un même fil rouge relie la recherche d’un « french touch », la présence du swing et de l’émotion, une source d’inspiration originelle et la rigueur d’une musique écrite.

Deux choses encore :

- Sur l’une des photographies intérieures, Richard Galliano semble regarder très loin ses rêves prendre forme : il a pour l’occasion des lunettes finement cerclées d’intellectuel…
- Les sous-titres sont « concerto pour accordéon soliste et orchestre à cordes ; aria pour accordéon et orchestre à cordes ; andante… ; valse… ; habanera… ; concerto pour bandonéon… ».

Compositions pour « french touch » et orchestre à cordes… Décidément, il s’agit bien d’un parcours dialectique.

- « Passatori », Richard Galliano & I Solisti dell’Orchestra della Toscana, Dreyfus Jazz, 1999.

Aujourd’hui, je suis particulièrement touché par La Valse à Margaux et par le rythme, presque impalpable, comme un frémissement de lumière à l’horizon, d’Habanerando, habanera pour bandonéon, harpe, piano et orchestre à cordes.

mercredi, mars 01, 2006

mercredi 1 mars

« French Touch », ce titre sonne comme la devise musicale de Richard Galliano. En écoutant en effet les disques précédents, on pouvait pressentir que ce « french touch » était comme une sorte de fil rouge, d’abord latent, puis de plus en plus manifeste ; une sorte de direction s’explicitant au fur et à mesure des rencontres, des influences, des compositions et des interprétations.

- « French Touch », Disques Dreyfus, 1998.

Je trouve ce disque étonnant par la présence constante d’un son, d’une couleur sonore qui le signe, alors même que les formations sont à géométrie variable, que les rythmes sont variés, que l’enregistrement a eu lieu sur deux sessions et que les sources d’inspiration sont d’origines diverses. En ce sens, le « french touch » a une fonction de transmutation. L’image de l’alchimie me parait en effet assez juste : tout ce qui passe sous les doigts de Richard Galliano se transforme en « french touch », une forme spécifique de jazz.

Ce disque a été réalisé sur deux sessions : la première avec Jenny-Clark, Humair et Portal, les 8, 9 et 10 mai 1998 ; la deuxième avec Ceccarelli, Vignolo et Ecay, le 8 juin 1998. Parfois, il s’agit de duos (Sanguine avec Jenny-Clark ; Passarinho avec Humair), d’autres fois de trios (Augusta avec Jenny-Clark et Humair ; You Must Believe in Spring avec Ceccarelli et Vignolo), d’autres fois encore de quartets (J.F. avec Jenny-Clark, Humair et Portal ; Bébé ou Sanfona avec Ceccarelli, Vignolo et Ecay ).

Le texte de présentation parle de musette « parigot-rital », de tango, de rythmes brésiliens, de valse manouche… Pendant le titre éponyme du disque « A French Touch », on entend des échos de Gus Viseur, me semble-t-il. On entend aussi déjà les échos à venir du New York Trio… « French Touch » est bien un moment crucial dans le parcours que Richard Galliano nous fait découvrir.

Aujourd’hui, j’ai une affection particulière pour trois titres :

- Sanguine, duo avec Jenny-Clark, contrebasse,
- Passarinho, duo avec Humair, batterie
- A French Touch, trio ave Jenny-Clark et Humair.