mercredi, février 27, 2008

mercredi 27 février - "casse-toi, pauvre con !"

Mon intention n'est pas de commenter cette parole proférée par le premier personnage de l'Etat, comme on dit. Non que je n'ai pas d'opinion, mais parce que je ne vois pas l'intérêt de la publier. Ce qui me frappe dans cette apostrophe, dans cette réaction, dans cette insulte, ce n'est pas le propos lui-même, c'est la manière dont il s'inscrit dans un monde que je qualifierais de saturé. Un monde plein, sans surprise, sans espaces. Car il s'agit bien d'espaces en effet, et d'espaces saturés.



Espace saturé d'abord, celui des journalistes qui entouraient le président de la république visitant le salon de l'agriculture. Trop de monde, trop de regards, trop d'objectifs et de micros. Un espace panoptique, une machine à traduire tout comportement en images. Un monde de traque et de chasse au scoop. Un monde de connivences et de complicités pour alimenter la machine à produire de l'apparence.



Espace saturé ensuite, celui de la diffusion de la vidéo d'amateur, vidéo de mateur, sur internet. Des milliers de messages, en boucles ; pour saturer l'écran, des morceaux de messages passés en boucles sont eux-mêmes montés en boucles. Espace en abime. L'image de l'image de l'image... Un jeu de miroirs sans objets ni sujets : des simulacres, des reflets de simulacres. Le monde de la caverne platonicienne. Un mur d'images.



Espace saturé enfin, celui des commentaires, exégèses et autres gloses. Commentaires déjà élaborées, tout préparés suivant les clivages politiques. Pas de marge de liberté, pas de propos personnels. La langue de bois comme une caricature. Je dois dire que la rencontre d'un costume trois pièces et de la langue de bois dans un studio de télévision a toujours été chez moi un déclencheur de rires irrépressibles. Je ne saurais donc m'en plaindre. L'hypocrisie à l'état pur. On se rappelle que l'hypo-crite, c'est bien celui qui avance sous le masque. Politicien masqué. Truisme. Un monde d'images de masques. Quand on croit tenir enfin la réalité, on a affaire à un masque.



Ce monde saturé manque d'espaces de respiration, de comportements vrais et de confrontations dialectiques. C'est le règne du plein, du déjà-là, du déjà-pensé, du prêt-à-penser. Un monde immobile comme une lave refroidie. Qui voit de la lave longtemps après son refroidissement ne peut imaginer celle-ci, à son origine, vivante, tumultueuse et éclatante de couleurs vives. Tout est plein, saturé, immobile et surtout prévisible. Il y a de la mort là-dedans.



Au bout d'un moment, lassé par la vision de ces documents clonés, de ces commentaires clonés, de ces personnages clonés, de ce monde saturé de discours de justification et de discours de dénonciation, je coupe le son, je coupe l'image et je choisis un disque d'accordéon.



Et je me dis, outre le plaisir que me procure la musique de cet instrument, que justement son monde n'est pas saturé. Même si certains concerts attirent une foule nombreuse, le public reste à taille humaine, ce ne sont pas des masses houleuse, trop pleines, où l'on perd toute identité dans le mouvement hypnotique de vagues irrésistibles. On peut voir et écouter de l'accordéon sur internet, mais ce n'est pas un raz-de-marée. On peut lire des chroniques et des critiques de disques, mais on est loin des livres ou du cinéma avec ces clivages trop prévisibles entre journalistes spécialisés.



C'est pour cela aussi que j'aime l'accordéon. Pour revenir au titre de cette page, je trouve, qu'il s'agisse du public des concerts ou des échanges d'idées que je puis avoir certains accordéonistes ou certains amateurs d'accordéon, que c'est un monde plutôt moyen, ni jeune con, ni vieux con... Un monde ouvert, plein de surprises à venir, vivant quoi... Un monde qui cherche et qui se cherche, donc qui se transforme, apprend, tâtonne et évolue. Un monde qui change et qui de ce fait garde toute sa force d'étonnement.