mercredi 9 avril - de la communication
Françoise et moi, nous avions vingt-cinq ans en 68. Pas question ici de témoignage nostalgique ; pas question d’ajouter notre regard rétrospectif sur cette période aux innombrables pensées, réflexions et commentaires censées en donner le sens et en tirer les leçons, quarante ans après. Non, je m’en tiendrai à une seule observation, qui me parait illustrer un des aspects du changement entre 68 et aujourd’hui.
Avant 68, dans le monde scolaire – de l’école primaire aux universités -, l’enseignant avait pour mission de transmettre le savoir et éventuellement une éducation à ses élèves, qui avaient, pour leur part, le devoir d’être attentifs pour assimiler cette transmission. L’information circulait en un seul sens : de haut en bas. Il était acquis que la compréhension ne demandait qu’une écoute attentive. Il était acquis que l’explication ne demandait qu’un discours clair, bien articulé. La communication était alors bannie de l’espace scolaire. Elle ne pouvait signifier que la perturbation, le trouble, le hors-champ. Le maître s’adressait à l’élève – une abstraction, non un sujet psychologique multiple – et l’élève répondait quand il était interrogé et sommé de restituer partie du savoir dispensé par son maître. Tout échange entre élèves ne pouvait qu’être exclu. Perte de temps, vains bavardages, paroles hors de propos, etc…
L’esprit de 68 a introduit cette idée, révolutionnaire, que le savoir se transmet moins qu’il ne se construit par échanges, confrontations, débats d’idées. L’espace scolaire a alors pris une autre configuration : les rangs d’oignons ont été remplacés par des tables en cercle ou plutôt en carré. Quadrature du cercle. En tout cas, l’intention était claire : il fallait que tous les acteurs du jeu scolaire se voient et puissent s’adresser directement les uns aux autres. L’information devait circuler horizontalement et par des canaux multiples. Il ne m’appartient pas de porter ici un jugement de valeur sur ces deux régimes de communication. Mais j’ai observé, au cours de la décennie 90, que les classes ont retrouvé leur forme traditionnelle : tables individuelles ou doubles en rangs d’oignons. Les arguments techniques ou matérialistes ne manquaient pas pour justifier comme une nécessité ce retour aux sources. Aux fondements diraient certains.
Mais aujourd’hui, je discerne dans le champ social, et pas seulement scolaire, autre chose que cette opposition entre deux manières de concevoir la communication et la circulation de l’information. La communication, ce qu’il est de coutume d’appeler « la com » désigne un ensemble de techniques destinées à influencer l’opinion. Le sens de cette notion, prioritaire aujourd’hui, s’est développé dans le monde de la publicité, puis dans celui de la politique, qui apparaît de plus en pus comme dérivé du premier. La communication, au sens actuel, désigne non pas une perturbation dans la circulation de l’information, mais le régime normal de cette circulation. A ceci près que cette normalité est référée à la seule valeur d’efficacité à court terme et, en aucun cas, à une exigence de vérité ou de cohérence logique. Communiquer, c’est influencer. Point !
Pourtant, il existe un domaine où la communication a son sens plein d’échange, de partage et de participation. Je pense aux concerts. Aux concerts réussis. Tous ne le sont pas, mais quand ils le sont, alors on éprouve ce sentiment que quelque chose se passe, que quelque chose s’élabore avec l’ensemble des participants, je dirais même coopérants. Les rôles sont certes différents et même inégaux, mais de l’échange, ici et maintenant, nait un sentiment de compréhension non discursive, non verbale, non rationnelle. Quelque chose qui ressemble au sens originel du mot « communication ». Il s’agit de vérité, non pas au sens logique avec son exigence de cohérence formelle ni au sens de la rigueur expérimentale avec ses exigences de preuve, mais d’authenticité, au sens d’expression vraie, sans masque ni hypocrisie.
C’est pour cela que j’aime tant l’accordéon : Galliano, Amestoy, Macias, De Ezcurra, Mille, Rivas, Barboza et tant d’autres pour qui communiquer sa passion, le temps d’un concert, est indissociable de la passion de communiquer au sens de construire ensemble une relation qui aurait pu ne jamais avoir lieu, mais qui ayant eu lieu, apparaît d’évidence comme nécessaire.
Avant 68, dans le monde scolaire – de l’école primaire aux universités -, l’enseignant avait pour mission de transmettre le savoir et éventuellement une éducation à ses élèves, qui avaient, pour leur part, le devoir d’être attentifs pour assimiler cette transmission. L’information circulait en un seul sens : de haut en bas. Il était acquis que la compréhension ne demandait qu’une écoute attentive. Il était acquis que l’explication ne demandait qu’un discours clair, bien articulé. La communication était alors bannie de l’espace scolaire. Elle ne pouvait signifier que la perturbation, le trouble, le hors-champ. Le maître s’adressait à l’élève – une abstraction, non un sujet psychologique multiple – et l’élève répondait quand il était interrogé et sommé de restituer partie du savoir dispensé par son maître. Tout échange entre élèves ne pouvait qu’être exclu. Perte de temps, vains bavardages, paroles hors de propos, etc…
L’esprit de 68 a introduit cette idée, révolutionnaire, que le savoir se transmet moins qu’il ne se construit par échanges, confrontations, débats d’idées. L’espace scolaire a alors pris une autre configuration : les rangs d’oignons ont été remplacés par des tables en cercle ou plutôt en carré. Quadrature du cercle. En tout cas, l’intention était claire : il fallait que tous les acteurs du jeu scolaire se voient et puissent s’adresser directement les uns aux autres. L’information devait circuler horizontalement et par des canaux multiples. Il ne m’appartient pas de porter ici un jugement de valeur sur ces deux régimes de communication. Mais j’ai observé, au cours de la décennie 90, que les classes ont retrouvé leur forme traditionnelle : tables individuelles ou doubles en rangs d’oignons. Les arguments techniques ou matérialistes ne manquaient pas pour justifier comme une nécessité ce retour aux sources. Aux fondements diraient certains.
Mais aujourd’hui, je discerne dans le champ social, et pas seulement scolaire, autre chose que cette opposition entre deux manières de concevoir la communication et la circulation de l’information. La communication, ce qu’il est de coutume d’appeler « la com » désigne un ensemble de techniques destinées à influencer l’opinion. Le sens de cette notion, prioritaire aujourd’hui, s’est développé dans le monde de la publicité, puis dans celui de la politique, qui apparaît de plus en pus comme dérivé du premier. La communication, au sens actuel, désigne non pas une perturbation dans la circulation de l’information, mais le régime normal de cette circulation. A ceci près que cette normalité est référée à la seule valeur d’efficacité à court terme et, en aucun cas, à une exigence de vérité ou de cohérence logique. Communiquer, c’est influencer. Point !
Pourtant, il existe un domaine où la communication a son sens plein d’échange, de partage et de participation. Je pense aux concerts. Aux concerts réussis. Tous ne le sont pas, mais quand ils le sont, alors on éprouve ce sentiment que quelque chose se passe, que quelque chose s’élabore avec l’ensemble des participants, je dirais même coopérants. Les rôles sont certes différents et même inégaux, mais de l’échange, ici et maintenant, nait un sentiment de compréhension non discursive, non verbale, non rationnelle. Quelque chose qui ressemble au sens originel du mot « communication ». Il s’agit de vérité, non pas au sens logique avec son exigence de cohérence formelle ni au sens de la rigueur expérimentale avec ses exigences de preuve, mais d’authenticité, au sens d’expression vraie, sans masque ni hypocrisie.
C’est pour cela que j’aime tant l’accordéon : Galliano, Amestoy, Macias, De Ezcurra, Mille, Rivas, Barboza et tant d’autres pour qui communiquer sa passion, le temps d’un concert, est indissociable de la passion de communiquer au sens de construire ensemble une relation qui aurait pu ne jamais avoir lieu, mais qui ayant eu lieu, apparaît d’évidence comme nécessaire.
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