mercredi 11 juin - espace / temps
Il y a quelques jours, le 30 mai, à l’occasion du concert d’ouverture des « Scènes d’été » à Langon, j’ai été frappé par l’importance de l’espace dans ma perception des prestations de Michel Macias, du trio Amestoy et du trio Miyazaki. Je crois que mon attention a été alertée par les différences « géométriques » entre la disposition de Michel Macias en solo, celle du trio Amestoy, placé frontalement par rapport au public, et celle du trio Miyazaki comme les trois sommets d’un triangle avec les trois interprètes comme des repères verticaux par opposition aux kotos horizontaux. Michel Macias seul au milieu d’un cercle de lumière brutale. Le trio Amestoy qui se comprend sans avoir besoin de se regarder, chacun dans son monde. Le trio Miyazaki avec Bruno Maurice qui, en se déplaçant, anime le triangle des trois interprètes comme une sorte de pulsation. A la réflexion, c’est la succession en un temps court de ces trois dispositions qui, je le pense, a focalisé mon attention sur cette dimension spatiale du concert.
Du coup, une autre réflexion me vient à l’esprit. On considère naturellement la peinture comme un art de l’espace et la musique comme un art du temps. Cette conception est certes fondée, c’est pour ainsi dire une évidence, mais elle me parait un peu simple et la réalité est, je crois, un peu plus complexe. Quand je contemple une peinture en effet, sa place définit et oriente immédiatement l’espace où elle est accrochée. Sa surface sur le mur la définit en même temps qu’elle définit son environnement. Sa taille détermine le point de vue que je vais adopter pour la voir au mieux. Elle va déterminer aussi mes mouvements d’avant en arrière pour me donner une vision macro ou micro. Sa position conditionne aussi ma perception du volume de la salle d’exposition. Le nombre de tableaux accrochés alentour a aussi une influence certaine sur ma perception de celui que je suis en train d’observer hic et nunc. Mais ce n’est pas tout. La contemplation d’une peinture demande du temps et ce temps, c’est moi qui le détermine, comme je détermine le parcours de mon regard. Il me faut du temps pour construire ma perception à partir des éléments picturaux que me donne le peintre. Finalement, le peintre propose et c’est le spectateur qui dispose en réglant la durée et le parcours de sa contemplation. Autrement dit, la peinture est un art de l’espace et du temps, l’art d’un complexe espace/temps où aucune des deux dimensions de l’existence n’est séparable de l’autre, sinon par une analyse abstraite et artificielle, qui perd de vue le sens de l’expérience esthétique.
De la même manière, lorsque j’écoute un morceau de musique, la durée m’est donnée et même imposée. Il ne m’appartient pas, contrairement à la contemplation picturale, où je règle librement le mouvement de mon regard, de ralentir ou d’accélérer mon audition. Mais, tout au long de ce temps de l’exécution de l’œuvre, je ne suis pas simplement traversé par un flux de sensations auditives. Mon attention varie, se focalise sur différents éléments de la réalité. En un sens, on peut dire que je construis à ma manière, la durée qui me semble imposée. Comme pour la peinture, le compositeur et l’interprète proposent, mais in fine c’est l’auditeur qui dispose du pouvoir de donner sens à cette proposition. Or, l’expérience de Langon m’a fait prendre conscience de l’importance primordiale de l’espace et des conditions spatiales de l’audition dans ce travail de construction. Le son ne se déplace pas dans un univers abstrait, linéaire et unidimensionnel. Il se matérialise et se concrétise dans un espace réel : salle de concert, place de l’auditeur, nombre du public, disposition et postures des interprètes, jeux des lumières, qualités acoustiques du lieu, etc… J’ai souvenir de quelques moments de concerts où le bruit sec et répété d’un réflex suffisait à m’interdire toute audition satisfaisante et à m’empêcher de trouver le moindre plaisir à ce que j’entendais. Finalement, l’écoute d’un concert, c’est aussi un travail de neutralisation des parasites de l’environnement, un travail de mise entre parenthèses de l’espace réel. Le temps du concert ou plus simplement d’un morceau, c’est un temps que je ne contrôle pas quant à sa durée, mais c’est un temps où il m’appartient d’être à la fois là et ailleurs, ici et maintenant en tel lieu, mais aussi ailleurs dans un espace imaginaire construit à partir de mes sensations. Cette attitude de dédoublement, quasi schizophrène, si l’on veut, me semble être une des dimensions essentielles, au moins pour moi, de l’expérience esthétique des concerts. C’est pourquoi il me faut toujours un peu de temps pour revenir sur terre après un concert réussi. Finalement, comme la peinture, la musique est aussi un art du complexe espace/temps et seule une analyse abstraite peut réduire celle-ci à n’être qu’un art du temps.
La différence entre les deux arts pourrait être que l’un « active » ce complexe par l’ entrée « espace » alors que l’autre privilégie l’entrée « temps », mais les deux permettent, chacun à sa façon, de faire l’expérience d’une présence / absence, source de plaisirs, présence à l’œuvre proposée, mais absence aussi en ce que cette proposition ouvre sur un autre espace et un autre temps, imaginaires.
Peinture, musique : espace / temps ; présence / absence. Il faudra réfléchir un peu à cette relation : "/", conjonction - disjonction et à la manière dont elle fonctionne dans l'un et l'autre cas.
Du coup, une autre réflexion me vient à l’esprit. On considère naturellement la peinture comme un art de l’espace et la musique comme un art du temps. Cette conception est certes fondée, c’est pour ainsi dire une évidence, mais elle me parait un peu simple et la réalité est, je crois, un peu plus complexe. Quand je contemple une peinture en effet, sa place définit et oriente immédiatement l’espace où elle est accrochée. Sa surface sur le mur la définit en même temps qu’elle définit son environnement. Sa taille détermine le point de vue que je vais adopter pour la voir au mieux. Elle va déterminer aussi mes mouvements d’avant en arrière pour me donner une vision macro ou micro. Sa position conditionne aussi ma perception du volume de la salle d’exposition. Le nombre de tableaux accrochés alentour a aussi une influence certaine sur ma perception de celui que je suis en train d’observer hic et nunc. Mais ce n’est pas tout. La contemplation d’une peinture demande du temps et ce temps, c’est moi qui le détermine, comme je détermine le parcours de mon regard. Il me faut du temps pour construire ma perception à partir des éléments picturaux que me donne le peintre. Finalement, le peintre propose et c’est le spectateur qui dispose en réglant la durée et le parcours de sa contemplation. Autrement dit, la peinture est un art de l’espace et du temps, l’art d’un complexe espace/temps où aucune des deux dimensions de l’existence n’est séparable de l’autre, sinon par une analyse abstraite et artificielle, qui perd de vue le sens de l’expérience esthétique.
De la même manière, lorsque j’écoute un morceau de musique, la durée m’est donnée et même imposée. Il ne m’appartient pas, contrairement à la contemplation picturale, où je règle librement le mouvement de mon regard, de ralentir ou d’accélérer mon audition. Mais, tout au long de ce temps de l’exécution de l’œuvre, je ne suis pas simplement traversé par un flux de sensations auditives. Mon attention varie, se focalise sur différents éléments de la réalité. En un sens, on peut dire que je construis à ma manière, la durée qui me semble imposée. Comme pour la peinture, le compositeur et l’interprète proposent, mais in fine c’est l’auditeur qui dispose du pouvoir de donner sens à cette proposition. Or, l’expérience de Langon m’a fait prendre conscience de l’importance primordiale de l’espace et des conditions spatiales de l’audition dans ce travail de construction. Le son ne se déplace pas dans un univers abstrait, linéaire et unidimensionnel. Il se matérialise et se concrétise dans un espace réel : salle de concert, place de l’auditeur, nombre du public, disposition et postures des interprètes, jeux des lumières, qualités acoustiques du lieu, etc… J’ai souvenir de quelques moments de concerts où le bruit sec et répété d’un réflex suffisait à m’interdire toute audition satisfaisante et à m’empêcher de trouver le moindre plaisir à ce que j’entendais. Finalement, l’écoute d’un concert, c’est aussi un travail de neutralisation des parasites de l’environnement, un travail de mise entre parenthèses de l’espace réel. Le temps du concert ou plus simplement d’un morceau, c’est un temps que je ne contrôle pas quant à sa durée, mais c’est un temps où il m’appartient d’être à la fois là et ailleurs, ici et maintenant en tel lieu, mais aussi ailleurs dans un espace imaginaire construit à partir de mes sensations. Cette attitude de dédoublement, quasi schizophrène, si l’on veut, me semble être une des dimensions essentielles, au moins pour moi, de l’expérience esthétique des concerts. C’est pourquoi il me faut toujours un peu de temps pour revenir sur terre après un concert réussi. Finalement, comme la peinture, la musique est aussi un art du complexe espace/temps et seule une analyse abstraite peut réduire celle-ci à n’être qu’un art du temps.
La différence entre les deux arts pourrait être que l’un « active » ce complexe par l’ entrée « espace » alors que l’autre privilégie l’entrée « temps », mais les deux permettent, chacun à sa façon, de faire l’expérience d’une présence / absence, source de plaisirs, présence à l’œuvre proposée, mais absence aussi en ce que cette proposition ouvre sur un autre espace et un autre temps, imaginaires.
Peinture, musique : espace / temps ; présence / absence. Il faudra réfléchir un peu à cette relation : "/", conjonction - disjonction et à la manière dont elle fonctionne dans l'un et l'autre cas.
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