dimanche, avril 23, 2006

dimanche 23 avril

J’écrivais hier que l’écoute de Perrone et de Gizavo me suggérait l’idée que le bonheur n’est pas hors de portée.

Cette idée, qui m’est venue spontanément à l’esprit, je ne l’ai pas construite par un raisonnement, cette idée donc me suggère à son tour deux réflexions.

Parmi les accordéonistes que j’apprécie, il n’y en a que quelques uns que j’associe à cette idée de bonheur, les autres me donnent seulement des moments de plaisir, ce qui est déjà beaucoup. Mais entre les deux, plaisir et bonheur, il n’y a pas seulement une différence de degrés ; il y a une différence de nature. C’est ainsi que, sans vouloir être exhaustif, ni établir de palmarès, je classe dans la catégorie du bonheur, outre Perrone et Gizavo, des artistes comme Galliano, Daniel Colin, Gus Viseur, Jo Privat, Piazzolla et quelques autres… Bien entendu, il ne s’agit pas de l’ensemble de leur œuvre, composition ou interprétation, mais seulement de quelques titres. Quant à la catégorie du plaisir, j’y classe des artistes, que j’estime beaucoup, pour lesquels même j’ai de l’admiration, mais qui me donnent des sensations moins complètes, moins intenses, disons moins complexes. Le plus souvent le plaisir tient à une caractéristique de l’œuvre : inventivité, virtuosité, rigueur, surprise, richesse mélodique, etc… Je pense par exemple à Mosalini, à Motion Trio, à Artango, au Quatuor Caliente, à A. Lassagne, etc… Comme dans le premier cas, il s’agit toujours d’œuvres particulières.

La frontière entre ces deux classes est ténue, elle n’est ni étanche, ni définitive. Elle tient à un je-ne-sais-quoi irréductible à toute explicitation discursive. Il s’impose par son évidence, c’est tout ! Mais ce je-ne-sais-quoi est un critère indubitable, précisément parce qu’il ne relève pas d’une argumentation.

Autre réflexion : cette expérience du bonheur, que je fais par l’intermédiaire de certains accordéonistes, est évidemment toujours d’une durée limitée. En général, la durée d’un morceau comme une météorite incandescente dans un ciel d’été. C’est chaque fois l’expérience d’un moment rare, intense et fragile. Ce sentiment de fragilité est, me semble-t-il, inhérent à l’expérience du bonheur : ça ne tient qu’à un fil. J’ajoute que cette fragilité, inhérente à l’œuvre que j’écoute en tant que telle, est liée aussi aux conditions de l’écoute. Le contexte est essentiel. La sonnerie d’un téléphone, le bruit d’une tondeuse à gazon, le passage d’une voiture dans la rue peuvent suffire à briser net la bulle. Plus tard, je pourrai me rappeler ces moments ou les oublier. Peu importe finalement, même si le souvenirs de moments de bonheur est lui-même un moment heureux. L’essentiel, c’est d’avoir fait l’expérience de moments de bonheur, expérience que rien jamais ne pourra annuler. En ce sens, par l’intermédiaire de ces accordéonistes du bonheur, j’ai conscience de faire une expérience de l’éternité. Ce qui a été vécu comme un moment de bonheur, ici et maintenant, est inscrit dans mon existence ad vitam aeternam… On comprend dès lors la passion qui me pousse chaque jour à écouter des accordéonistes, comme ceux que j’ai cités, ne relève pas d’un désir anodin. L’accordéon sera éternel ou ne sera pas !
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