dimanche, janvier 28, 2007

lundi 29 janvier

Hier, je m’interrogeais sur l’une des significations possibles de la figure énigmatique qui illustre le recto et le verso de « Luz Negra ». J’y voyais le symbole d’un dépassement, sinon des contraires ou des opposés, du moins des différences.

A son tour, ce titre, « Luz Negra », qui m’a paru d’emblée poétique, étrange et bien sûr culturellement situé (pourquoi pas « Lumière noire » ?), me semble énigmatique.

Dans la page de présentation de l’album, Richard Galliano évoque chaque titre comme un moment d’un voyage jusqu’à l’enregistrement, en 2006, dans des studios de Sao-Paulo. Il parle de découverte de nouveaux pays aux climats, aux rythmes et aux lumières différents. Mais, pas question de lumière noire. Il est vrai que les poètes n’ont pas à faire l’explication de texte de leurs intentions, ni l’obligation de les traduire en discours prosaïques.

Mais rien ne nous interdit à nous, auditeurs, d’essayer de donner du sens à cette énigme du titre. Comme on le sait, la lumière noire, ce sont les rayons ultra-violets que laisse passer un filtre disposé sur un néon. Or, notre œil ne perçoit pas les ultra-violets, donc ils sont invisibles. En fait, on les voit sous forme de lumière blanche restituée par les objets que cette lumière noire éclaire, au-delà de nos capacités perceptives. La lumière noire, c’est donc la transformation des ultra-violets invisibles en objets blancs visibles.

Peu importe finalement l’explication théorique du phénomène et ses applications techniques (comme dans les discothèques ou le contrôle des billes de banque), c’est la dimension poétique et suggestive qui m’intéresse. On retrouve en effet dans cette notion l’idée de dépassement des contraires : visible / invisible. Contrairement à ce que voudrait penser une conception cartésienne du monde : une chose est visible ou invisible, la lumière noire nous introduit dans un monde ou il y a des phénomènes qui sont à la fois invisibles et visibles. « Indifférence » ou la « Flambée montalbanaise », c’est de la valse musette, et sans cesser d’être de la valse musette, c’est en même temps « vénézuélien », « brésilien », « latino-jazz ». Il ne s’agit pas de choisir sur le mode dichotomique : « c’est l’un ou c’est l’autre ». On est bien dans le monde dialectique : « c’est l’un et l’autre ». Dépassement des paradoxes, créativité artistique, mais aussi, au plan moral, on dirait aujourd’hui éthique, une belle attitude d’ouverture et de tolérance. Comme quoi, la recherche de la beauté dans la création de « Luz Negra » a bien, en tant que telle, une valeur morale.

Mais, cette notion de lumière noire me suggère une autre idée : dans ce phénomène, on ne voit pas la source lumineuse, on ne voit que l’effet indirect de l’énergie qu’elle diffuse. N’en serait-il pas de même ici ? La source créatrice, l’origine de l’album nous échappera à tout jamais, car elle n’est pas perceptible, ni peut-être même compréhensible. Par contre, en l’écoutant on en perçoit les effets sous forme d’un plaisir indéfiniment renouvelé. « Luz Negra » voudrait nous dire alors qu’il ne faut pas vouloir accéder au mystère de la création artistique et que c’est déjà bien de savoir en percevoir et admirer les traces… C'est beau, savoir en saisir la beauté, c'est bien ! L'éthique est bien incluse dans l'esthétique.