lundi, mai 28, 2007

mardi 29 mai

Dans le premier paragraphe de la page d’hier, j’écrivais que je m’efforçais en général de ne pas trop me renseigner sur les disques avant de les découvrir en les écoutant. J’ajoutais : «Il n’en reste pas moins qu’avant toute écoute, j’ai bien conscience d’avoir des a priori » et un peu plus loin : «Un des problèmes, peut-être le problème majeur [de toute écoute], étant d’être capable de ne pas « plaquer » ce que l’on sait sur ce que l’on perçoit, alors même que toute perception présuppose un certain savoir préalable ou sinon un savoir au sens propre, du moins des hypothèses et des attentes ».

Cette question me parait en effet de la plus grande importance. C’est la question de savoir comment se forme un jugement de goût, un jugement esthétique, à l’écoute d’un morceau ou d’un album. Je crois qu’il serait naïf de croire qu’il s’agit simplement d’être réceptif au plan sensoriel. Quoi que l’on puisse croire, on est nécessairement sous l’influence des conditions qui nous ont conduits, ici et maintenant, à déposer tel disque dans notre lecteur. J’évoquais parmi ces conditions la critique lue dans une revue ou entendue à la radio ou à la télévision, avec évidemment le coefficient de confiance que je lui accorde, le conseil d’un ami, le hasard d’une rencontre plus ou moins fortuite sur un rayon dans un magasin de la grande distribution, et encore laquelle : Fnac, Leclerc… car ces deux réseaux, ce n’est pas la même chose, et c’est encore différent d’une boutique Harmonia Mundi. C’est encore autre chose si j’ai fait mon choix sur un site internet, et lequel, etc…

Bref, toute écoute est sinon déterminée du moins conditionnée par de multiples données situationnelles. Il est illusoire et il serait naïf de croire que l’on peut s’en affranchir en les ignorant. Du coup, pour être réceptif et se forger un jugement personnel, il faut être capable d’identifier et d’analyser tous ses a priori pour les neutraliser en les mettant à distance ou entre parenthèses. Et ça, c’est un sacré boulot ! La preuve, comme je l’évoquais en fin du premier paragraphe, c’est le nombre de jugements que l’on peut entendre à propos de disques ou à l’issue de concerts, qui sous l’apparence de jugements spontanés ne sont jamais que le discours d’un savoir « plaqué » sur des sensations, au point de les étouffer et de rendre leur expression impossible. Combien de gens qui croient traduire leurs sensations alors même qu’ils ne font que réciter ce qu’ils ont lu ou entendu dans les discours d’autrui ? Combien de gens qui croient apprécier personnellement ce qu’ils savent qu’ils doivent apprécier, par exemple pour paraître cultivés ? La sociologie de la culture a bien montré comment une grande partie du public de la musique classique, aujourd’hui, « apprécie » en priorité et tout naturellement « ce que l’on doit apprécier » d’après les critiques, les analystes ou les spécialistes qui font autorité en la matière.

Cette question me parait essentielle car elle ne pose rien moins que la question de la formation du jugement esthétique personnel, de son évolution, et à terme la question de la formation d’une culture personnelle… par exemple dans le domaine de l’accordéon.

2 Comments:

Blogger Sylvie Jamet said...

Bonjour Michel...

ça fait longtemps que je ne t'avais pas posté quelque commentaire, mais ne t'inquiète pas je suis toujours la très intéressante actualité de ton blog accordéonaute...

Les grand esprits se rencontrent dit-on!!!
Et bien c'est étrange car ton article mets justement des mots sur une situation étrange que je perçois depuis que je me suis acheté il y a 2 ou 3 semaines le CD "Vague à Lames" de Jean-Marc Fabiano, que j'écoute en boucle depuis.
Très étrange situation :
J'arrive chez Harmonia mundi, la vendeuse, exceptionnelle, qui connaît tout de Bach, de Mozart ou de l'accordéon me montre ce CD d'accordéon que je n'ai pas encore. Je craque : il faut dire que je connaîs déjà Jean-Marc Fabiano pour avoir entendu son accordéon sur un CD de piccolo de Jean-Louis Beaumadier, dans l'unique titre de ce CD comportant l'accordéon, un étonnant trio de Jean-Marc Fabiano avec les deux piccolos Jean-Louis Beaumadier et Patrick Gallois : "Les Pierrots Babillards" de Henri Gagnaire. Superbe, style musique des kiosque à musique. C'est gai, vif, rafraîchissant. Je l'avais diffusé lors d'une émission de radio l'an dernier (voir l'article :
http://sylviejamet.over-blog.com/article-4004802.html ).
Bref je sors du magasin avec le CD, je commence à le déballer dans la rue déjà, dans le tram je me précipite dans la lecture du livret qui accompagne le CD, je dévore l'interview de Jean-Marc Fabiano par Jean-Pierre Moreau qui figure dans ce livret. Jean-Marc Fabiano y parle de passion pour la mer, de vague à l’âme, de l’envie de mettre ce vague à l’âme et sa passion de la musique dans ce CD, de faire côtoyer des styles les plus divers. Il parle de pédagogie et de gestuelle aussi. De bout en bout de l’interview, j’adore son discours. C’est tout ce que j’aime trouver chez un accordéoniste.
J’arrive chez moi, je mets le CD dans le lecteur et j’attends, avec, comme tu l'expliques si bien dans ton article, mes attentes propres à ma culture personnelle concernant la musique et l’accordéon. Et chose curieuse : Il me semble être « déçue », ce que j’entends ne me « satisfait » pas, mais c’est tout-à-fait étrange : je ne sais m’expliquer pourquoi. C’est comme si ce que j’entends n’était pas le disque promis par la pochette (je veux dire promis au sens de « attendu par les propres attentes compte tenu de ma culture : c’est étrange car d’ailleurs je connais certains des titres, des musiques de bach, de Franck Angélis, exceptionnel compositeur pour accordéon classique, …, tous dans des styles que j'apprécie énormément), et pourtant ça m’intrigue car le sentiment de bonheur à la lecture de l’interview ne s’efface pas et le sentiment d’avoir ainsi découvert un accordéoniste qui compte dans le monde de l’acccordéon non plus ne s’en va pas malgré mon apparente inaptitude à rentrer dans son interprétation…
Là où tout ça est très étrange, c’est la suite de cette découverte :
Mes interrogations s’en sont allées car une semaine plus tard j'ai réalisé que finalement depuis une semaine le CD tournait quasi en boucle chez moi : certes j’avais bien parfois écouté quelque CD de sonates de piano de Mozart, mais immanquablement j’avais replacé le CD de Jean-Marc Fabiano dans le lecteur, par une incroyable atttirance vers ce monde de vague à l’âme que dépeint si parfaitement, si naturellement le son CD « Vague à Lame ». C'est comme si j'étais prise par une lame de fond, irrémédiable, une belle lame de fond.
Ça fait 3 semaines que le CD tourne en boucle, et je ne sais toujours pourquoi j’ai eu au départ cette difficulté à rentrer dans ce monde-là. Peut-être que je n'étais pas prête à cette émotion-là à ce moment-là.
Ce CD est Magnifique.
Je me dis que c’est la diversité de styles juxtaposés qui crée la perception du vague à l’âme. Mais est-ce cela…
Bien évidemment toute expérience musicale est personnelle et tout autre auditeur aura d’autres perceptions à l’écoute de ce CD.
Mais immanquablement l’auditeur y trouvera du bonheur.
"Vague à Lame" de Jean-Marc Fabiano.
Harmonia mundi.
Alors merci Michel de ton article qui analyse si bien cette situation de l'attente et de la culture musicale. Amis internaute, ne calquez pas votre sens critique sur l'opinion des autres, suivez vos propres chemins d'écoute !

Bien accordéonautement,
Sylvie Jamet la blogueuse
http://sylviejamet.over-blog.com

8:40 PM  
Blogger Sylvie Jamet said...

et bien ça c'est du commentaire ! Longtemps que n'avais fait un si long commentaire chez toi n'est-ce pas ?

Sylvie

8:42 PM  

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