mardi, avril 29, 2008

mercredi 30 avril - abstrait / concret

… lu ces quelques lignes de Kandinsky : « Depuis des siècles, la musique est par excellence l’art qui exprime la vie spirituelle de l’artiste. Ses moyens ne lui servent jamais, en dehors de quelques cas exceptionnels où elle s’est écartée de son véritable esprit, à reproduire la nature, mais à donner une vie propre aux sons musicaux. Pour l’artiste créateur qui veut et doit exprimer son univers intérieur, l’imitation, même réussie, des choses de la nature ne peut être un but en soi. Et il envie l’aisance, la facilité avec laquelle l’art le plus immatériel, la musique, y atteint. On comprend qu’il se tourne vers cet art et qu’il s’efforce, dans le sien, de découvrir des procédés similaires. De là, en peinture, l’actuelle recherche du rythme, de la construction abstraite, mathématique et aussi la valeur qu’on attribue aujourd’hui à la répétition des tons colorés, au dynamisme de la couleur. »

W. Kandinsky, « Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier ». Paris, Ed. Denoël-Gonthier, 1979, page 76.

En réfléchissant à cette analyse de Kandinsky et en écoutant, disons en arrière-fond, « Histoires de Jo », je suis frappé par sa justesse. En cet instant, par exemple, j’écoute « Flânerie parisienne » de Michèle Buirette, jouée par elle-même et Raouf Wahba à l’accordéon, Patrick Saussois à la guitare, Jean-Claude Béneteau à la contrebasse et Rudy Bonin à la batterie. Cette flânerie parisienne n’a évidemment pas pour but de me donner à voir une flânerie dans les rues de Paris. Il s’agit de donner forme aux sentiments, impressions, sensations, états d’âme éprouvés, ressentis, perçus au cours d’une flânerie de ce type, non de telle ou telle flânerie particulière ou singulière. En ce sens, on peut dire que cette composition est immédiatement un travail d’abstraction, puisqu’à partir d’une expérience vécue – telle flânerie à Paris – elle nous donne à sentir quelque chose de commun et de fondamental en toute flânerie, pas seulement à Paris, ici et maintenant. Il s’agit bien d’abstraction, puisqu’en un sens la composition met en forme une expérience singulière et ipso facto donne forme à toute une catégorie d’expériences du même type. Si j’osais, je dirais qu’il s’agit d’une abstraction concrète. Abstraction, car il s’agit non de reproduire ou d’imiter telle flânerie ; concrète, car elle s’adresse immédiatement à notre sensibilité. On retrouverait la même chose avec la peinture si mal nommée abstraite. La peinture dite abstraite en effet n’a pas pour but de reproduire ou d’imiter des réalités existantes, concrètes, pour en donner une représentation visible par un travail d’analyse et d’abstraction de la perception qu’on en a. Elle a, tout au contraire, pour but de faire exister des objets qui ne ressemblent à rien de connu, mais qui sont là et existent en tant que tels. Comme un arbre n’existe pas par ressemblance avec autre chose. Il existe. Point. En fait, si l’on veut bien y réfléchir deux secondes, on voit bien que la peinture dite abstraite signe en fait, historiquement, l’avènement d’une peinture concrète, qui fait exister des choses perceptibles et qui ne se contente pas de reproduire l’existant.

Quant à la musique, et en ce sens je retrouve la pensée de Kandinsky, c’est bien aussi un art créateur d’abstractions concrètes : tel sentiment, telle impression, émotion, perception particulières est l’occasion qui déclenche un travail de mise en forme (analyse, abstraction) dont le résultat est une composition (objet concret, irréductiblement individuel) qui à son tour est capable de donner forme à nos sentiments, impressions, etc… qui est capable, au sens propre, de nous in-former.

Bon, j’enregistre ces quelques lignes avant de les mettre sur mon blog. Le disque vient de s’arrêter. Je remets en écoute le titre 8, « Souviens-toi » de David Venitucci. Je ferme les yeux tout à ma perception, tout entier attentif à sa présence. Et, ça enchaine sur « Rebelle » de Jo Privat… Une sorte de flânerie, qui me rappelle toutes sortes d'images...