dimanche, mars 19, 2006

dimanche 19 mars

Hier, à propos du disque de Maria Kalaniemi, « Ambra », je relevais son interprétation d’ Indifférence de Murena et Colombo. Comme je n’ai pas le goût des classements, ni des répertoires, comme je n’ai pas de compétences de documentaliste, je n’ai ni technique, ni outils pour retrouver à coup sûr tel titre, tel compositeur ou tel musicien… Il me reste le souvenir d’avoir noté telle interprétation pour telle ou telle raison, l’intuition que tel musicien a dû jouer tel titre, une sorte de flair qui vient de la familiarité avec mes disques… La démarche n’a rien de méthodique, à certains égards elle manque d’efficacité ou du moins de rationalité… mais elle provoque des rencontres inattendues, des bifurcations, des réapparitions de choses oubliées. Provoquer délibérément le fortuit, l’inattendu, l’imprévu, c’est aussi une méthode, qui en vaut bien d’autres.

C’est ainsi que par une démarche en grande partie aléatoire, j’ai rassemblé cette petite sélection d’interprétations d’ Indifférence, qui est un vrai bonheur pour aujourd’hui :

- Murena, Swing Accordion 2, Le swing à bretelles, Iris Music, 2003. 2 :31.
- Murena, Valse des pionniers in David Rivière, From Valse to Swing, Le Chant du Monde, 2004. Enregistrement de 1942
- O’Connor, Paris Musette 3, vent d’automne, La Lichère, 1997. 3 :25
- O’Connor, Vibrations, le son du musette, moderne cd1, ULM, 2004. 3 :28
- Sylvestre, Valses Caprices, Cinq planètes, 2004. 4 :19
- Portal / Galliano, Concerts, Dreyfus Jazz, 2004. 4 :00
- Bolovaris, Paris Musette 2, swing et manouche, La Lichère, 1993. 4 :30
- Rivière, From Valse to Swing, Le Chant du Monde, 2004. 3 :10
- Kalaniemi, Ambra, Amigo Musik AB, 2001. 2 :32

Je croyais bien les connaître, mais il y a toujours un moment où je suis surpris d’entendre tel ou tel passage que je n’avais pas perçu. Chaque interprétation est comme un coffret à double fond, à triple fond, à fonds multiples que l’on n’a jamais fini d’ouvrir et de découvrir.

Autre plaisir : non seulement, j’ai le plaisir de l’écoute, mais tous ces albums étalés côte à côte sont comme des enfants que j’aime tendrement et différemment, chacun pour sa personnalité et ses comportements. « Vibrations » et son accordéon au soufflet jaune d’or, « Concerts » avec le double portrait noir et bleu de Portal et Galliano aux sourires énigmatiques, « Paris Musette 3» et son couple de danseurs au bord de l’eau, « Ambra » avec Maria et Timo comme solarisés, « From valse to Swing » avec sa photographie tout en nuances de gris de Rivière juvénile et rêveur, « Paris Musette 2 » traversé par le mouvement d’un châle manouche, « Swing Accordion » et son accordéon au soufflet rouge, « Valses caprices » et ses guitares sur fond de marqueterie cubiste…

Autre effet latéral de ma méthode : je pensais que Michel Macias avait joué Indifférence dans « Caï Caï Caï ». Vérification faite, j’y trouve La Rabouine, la Godasse, la Flambée montalbanaise… et c’est reparti pour une nouvelle quête… Il y a des erreurs qu’il faut savoir ne pas éviter.

Comme je n’ai le goût ni des palmarès, ni des distributions des prix, contrairement à ce qui semble être de règle dans un certain monde de l’accordéon, je ne fais pas cette sélection dans le but d’établir un classement ; ce que je cherche, en écoutant ces différentes interprétations, c’est avant tout de pouvoir percevoir des différences. Il me semble en effet que percevoir, c’est toujours d’abord percevoir des différences ; plus on a l’occasion d’affiner ces différences, plus le monde se diversifie en nuances multiples, plus il est source de nouvelles sensations et donc de nouveaux plaisirs. Disant cela, je comprends pourquoi toute une production de disques d’accordéon ne m’intéresse pas. Du début à la fin, je n’y perçois qu’un flot indistinct de notes indifférenciées, qu’un vain exercice de virtuosité mécanique et sans âme. Je note que souvent cette impression, cette absence d’impression, devrais-je dire, correspond à la présence quasi permanente d’un sourire niais sur le visage de l’interprète. Le plaisir, oui ; la joie béate, non. Je retrouve en cela le problème que je me posais le jeudi 16 sur l’existence d’une ou de cultures de l’accordéon et je serais assez porté à penser qu’un clivage culturel pourrait bien traverser les productions de musiques d’accordéon : les unes donnent à écouter des différences, des interprétations ou des compositions singulières, les autres donnent à entendre des copies conformes, des clones… Les unes traduisent la recherche, le tâtonnement, la prise de risques, les autres sont appréciées parce qu’on y retrouve à l’identique ce que l’on a déjà mille fois entendu.

Il faudra que j’approfondisse un peu cette piste…