mercredi, août 08, 2007

mercredi 8 août

Mon épicier est un type étonnant, à la limite de l’honnêteté, mais tellement courtois. Il y a quelques semaines, il avait placé une affichette, bien à la vue, au-dessus de sa caisse : «samedi prochain, fraises à moitié prix ! ». Comme j’adore les fraises, cette information ne pouvait échapper à mon attention. Mais après plusieurs samedis sans fraises, je me décidai à lui faire part de ma perplexité et, avec une pointe d’agacement, je lui demandai pourquoi les semaines passaient ainsi sans les fruits annoncés, mais toujours avec la même affichette promotionnelle. Pourquoi laissait-il en place celle-ci alors qu’il était incapable de répondre à l’attente et à la demande de ses clients, demande qu’il avait lui-même suscitée. Il m’expliqua alors avec une extrême courtoisie et un luxe de détails tous plus inutiles les uns que les autres que cette carence était due au comportement de ses fournisseurs. Ceux-ci refusaient en effet obstinément, chaque samedi matin, de lui fournir les fraises qu’il convoitait au prix qu’il offrait, très inférieur à celui du marché. Comme je lui faisais remarquer qu’en affichant son offre promotionnelle, il s’engageait et qu’il aurait dû s’assurer de son approvisionnement, il me rétorqua que j’avais raison (toujours sa courtoisie), mais qu’ainsi il attirait le client, qui une fois chez lui se laissait toujours tenter par d’autres fruits ou légumes. Bien plus, quelques temps après, je vis apparaître, à côté des affichettes promotionnelles, des affichettes proposant des fraises à un prix un peu supérieur au prix d’appel. Il s’agissait de fraises apportées par des clients à un prix supérieur au prix de promotion, mais inférieure au prix de la concurrence. Bizarre. Des fraises d’occasion en quelque sorte. Après des semaines et des semaines, la situation est inchangée. Bientôt il n’y aura plus de fraises sur le marché. C’est tellement gros que c’est amusant ; on se demande jusqu’à quand il continuera à maintenir son offre bidonnée. On fait des paris sur la durée de son cynisme (oui, mais tellement courtois…) : c’est devenu un jeu.
Je dois dire pourtant que ce comportement m’intrigue, même si je le trouve habile. Par exemple, proposer des frais à moitié prix le «samedi prochain » est imparable. Chaque samedi a en effet un samedi prochain. C’est la vieille stratégie du coiffeur promettant : «demain, on rase gratis ».
Je ne saurais dire pourquoi, mais ce comportement de mon épicier me parait à la limite de l’honnêteté, et cependant comment le lui reprocher alors qu’il sait si bien tourner ses phrases pour vous emberlificoter et qu’il manifeste un telle politesse, une si extrême courtoisie… Rien que pour le plaisir de sa rhétorique, je reviendrai dans sa boutique et, évidemment, j’y achèterai quelque fruits et légumes, même si je dois renoncer finalement aux fraises.
Bon… personne ne peut croire à la véracité de mon histoire. Je n’insisterai pas. On se dit que c’est inventé de toutes pièces. Eh bien, pas exactement. Disons que ce petit récit est inspiré directement d’une situation vraie et vérifiable.

Il y a plusieurs semaines, Alapage proposait le cd « Richard Galliano & Tangaria Quartet, live in Marciac 2006 », sortie prévue le 2.07., à un prix promotionnel clairement repérable par l’indication « OH ! le prix ». J’ai commandé ce cd et un autre le 10.07. alors qu’aucune rupture d’approvisionnement n’était indiquée. Depuis, j’attends…
A l’occasion de plusieurs appels téléphoniques et d’un courriel pour demander des explications ou avoir une idée des délais prévisibles d’attente, j’ai eu affaire à plusieurs interlocuteurs… d’une courtoisie au moins égale à celle de mon épicier. Je pense qu’Alapage ne recrute pas son personnel à moins de bacc. + 5 et, en tout cas, uniquement parmi des gens rompus aux ficelles de la rhétorique. On a beaucoup parlé… Mais tous mes interlocuteurs compatissants m’ont bien dit qu’ils n’avaient pas de réponse à me donner. Pour les uns, c’était évidemment la responsabilité des fournisseurs qui était en cause, pour d’autres c’était la politique d’Alapage, qui ne vise qu’à augmenter ses ventes (sic). Etonnant, non ! Quant au courriel, il répond à des questions que je ne me posais pas, mais ne répond pas à la seule que je me posais, à savoir : «si je comprends bien que tel ou tel disque puisse être proposé et ne pas être fourni pour diverses raisons, pourrait-on m’expliquer comment il se fait que cette rupture intervienne sur un produit promotionné ? ». A cette question, pas de réponse. J’ajoute que j’ai vu un jour s’afficher une proposition de cd en occasion, plus cher que l’original, ce qui en général dénote une situation de pénurie. Et cet après-midi même, l’offre apparaissait toujours avec la mention « en commande, disponible sous 3 jours environ ». Cet « environ », après 30 jours » est plein d’humour et de prudence. L’interlocuteur à qui je faisais part de cette information n’hésita pas une seconde à me donner acte de ma perspicacité et à expliquer la situation par les contradictions inhérentes au fonctionnement même d’Alapage. Il semblait même admiratif devant mon talent pour débusquer les contradictions de l’offre en question.
Comme dans le cas de mon épicier, je trouve ce comportement amusant : combien de temps encore avant qu’Alapage n’annule ma commande ?... et à la limite de la malhonnêteté. Mais ce n’est pas un désagrément, tant la conversation avec les répondants est délicieuse et plaisante. Si l’organisation est défaillante, recrutez des docteurs en rhétorique. C’est de toute évidence l’un des principes du management des ressources humaines chez Alapage. Merci de maintenir ainsi bien haut le flambeau des humanités classiques !

Un type d’entreprise apparaît ainsi, grâce au commerce par internet, les sociétés que j’appellerais SA2I : société anonyme à irresponsabilité illimitée…