mardi, février 12, 2008

mercredi 13 février - l'arbre et la grue

Pau, le centre comme la périphérie, se couvre d'ensembles immobiliers en lieu et place de friches, de champs à vaches, de vastes terrains plantés de maïs et bordés de mures, d'airials plantés d'arbres centenaires. C'est ainsi que les haies de ronces sont remplacées par des barrières de sécurité et les portails de bois vermoulus et rafistolés par des digicodes. Les immeubles se répartissent d'une part en ensembles de bureaux, principalement des banques et des assurances, d'autre part en résidences roses affublées de noms charmants comme "Les Jardins du Roy", "Les Résidences du Golf", "Le Bois Joli", "Les Terrasses du Parc", etc... Ce qui me frappe dans ce moment de mutation, c'est la coexistence de grues monumentales et d'arbres imposants. Coexistence de durée limitée puisque les grues, leur travail terminé, partiront vers d'autres chantiers tandis que les arbres dispenseront leur ombre apaisante aux mamans, aux nounous, aux enfants et aux athlètes du dimanche, si la pollution les laisse vivre.
Ce qui me frappe donc c'est le contraste entre deux manières de résister aux éléments, au vent en particulier, la manière des grues et celle des arbres. Quand on regarde les grues, on voit bien qu'il s'agit d'objets fabriqués par l'industrie des hommes ; on comprend bien que leur équilibre résulte de calculs, de dessins, de procédés de fabrication industrielle. Avant de les dresser vers le ciel, il a fallu les décrire sous forme de plans et leur construction a dû en respecter les consignes de la manière la plus rigoureuse. Du concept à sa trace écrite, de la trace écrite à la réalisation. A l'inverse, quand on regarde les arbres, on voit bien que leur équilibre résulte d'un jeu d'équilibres locaux, d'un jeu de compensations. Telle branche tire trop à droite, telle autre se forme comme une contre-force. C'est au fur et à mesure du temps que l'arbre prend forme. Forme mouvante, jamais définitivement fixée, au contraire de la grue. Autre contraste : la grue se montre telle qu'elle est, entièrement posée à la surface du sol alors que l'arbre cache à notre vue la moitié de sa réalité enfouie dans le sol. L'un est ancré par des racines invisibles, l'autre est fixée par de lourds blocs de béton.
Parfois, la forme des arbres et celle des grues se ressemblent dans leur mouvement pour monter vers le ciel.

Parfois, au contraire, leurs formes s'opposent : lignes géométriques d'un côté, ramifications biologiques de l'autre. Fragilité apparente d'une épure d'un côté, prolifération réticulaire de l'autre...


En passant chaque jour devant ces grues et ces arbres, dont la coexistence me parait symbolique de deux formes d'équilibre, je pense à la musique écrite et à la musique improvisée. Pour poser les partitions, la musique conceptualisée, des chevalets, lutrins ou autres pupitres, je ne sais comment dire, dont la forme n'est pas sans analogie avec les grues. Et donc la nécessité pour l'interprète d'être assis. D'autre part, la musique improvisée, le mouvement qui déplace les postures, l'équilibre imprévisible qui se construit au pas à pas, par une succession de déséquilibres réajustés continûment. Bien entendu, il n'est pas question de privilégier l'une ou l'autre de ces deux formes.