jeudi, mars 06, 2008

vendredi 7 mars - à propos de mémoire

J'ai observé que les media, relayant les discours d'hommes politiques ou les messages de groupes de pression, évoquent souvent la question de la mémoire, notamment par le biais de la notion de devoir de mémoire, voire de repentance. Je trouve qu'on en fait un peu trop, mais là n'est pas l'essentiel. Je trouve aussi que la mémoire, qui en l'occurrence n'est autre que l'histoire à proprement parler, est souvent assimilée purement et simplement à l'évocation sans critique de faits et d'événements dramatiques dans le registre de l'émotion. Je ne suis pas sûr que traitée ainsi l'histoire soit mieux enseignée et que la culture de l'émotion soit de nature à former des esprits critiques et vigilants. Je me méfie en effet un peu de l'émotion et du recours aux images pieuses comme fondement de l'éducation des citoyens et des futurs citoyens.

Passons...

Mais cette propension à mettre de l'histoire partout et à rappeler sans cesse l'ardente obligation d'un devoir de mémoire, qui m'irrite un peu, je l'avoue, à un autre défaut : celui de ne pas prendre en considération que la mémoire implique l'oubli. Sans oubli, pas de mémoire. Trop de mémoire empêche le travail de la mémoire, travail qui ne peut être que sélectif. Je pense ici à une nouvelle de Borges, dans laquelle il imagine un homme qui n'oublie rien de sa vie et qui est sans cesse empêché de vivre par l'afflux incontrôlé de souvenirs de son passé. Finalement, pour essayer de survivre, il doit se réfugier dans une pièce obscure pour éviter toute sensation qui se transformerait en souvenir. La mémoire ou la vie. L'oubli et la vie.

Et justement, j'en viens au plaisir que j'éprouve à écouter de l'accordéon. Plaisir fondé sur des sensations immédiates certes, plaisir fondé aussi en partie sur des rapprochements entre tel morceau et tel autre, entre tel jeu et tel autre, entre telle interprétation et telle autre, mais plaisir fondé aussi sur la redécouverte de titres oubliés. Fort heureusement oubliés. Quel ennui si je me rappelais tous les morceaux que j'ai entendus.

Cet après-midi, en classant quelques disques, j'ai retrouvé "Arthur Street" d'Angelo Di Pippo. Je n'en avais plus aucun souvenir. Ce fut un enchantement de l'écouter comme une première fois. Et peu à peu des sensations me sont revenues à l'esprit. Mais je me réjouis de cette découverte qu'une mémoire trop fidèle m'aurait interdit d'éprouver.

Devoir de mémoire ? Peut-être ! Devoir d'oublier ? Certainement, sauf à vouloir se comporter comme une boule de neige, qui s'alourdit à chaque circonvolution.