mardi, août 29, 2006

dimanche 27 août



...écouté ce matin « Gus Viseur à Bruxelles » dans la collection « Les As du Musette ». La couverture est signée Crumb 1999. Je reconnais bien le visage de Gus Viseur tel que j’ai pu le voir sur quelques photographies, mais en fait c’est bien le dessin de Crumb qui reste comme image dans mon esprit. Je note aussi que sur l’accordéon dessiné par Crumb on lit « Crosio ». Je pense à l’instrument d’Armand Lassagne.
Ce disque m’intéresse à un double titre : d’une part, par ce qu’il me permet d’apprendre, d’autre part par sa qualité affective. J’apprends en effet par le livret de présentation que Gus Viseur est né à Lessines, en Belgique, le 15 mai 1915, d’un père mouleur de pierre et de sa mère, ménagère. J’apprends aussi que les titres de ce cd ont été enregistrés au cours de trois sessions : 5 mai 1943, 18 janvier 1946 et 7/9 juin 1942. Il s’agit de 78 tours qui ont été pressés dans de « la cire de guerre », mélange de matières diverses étant donné la pénurie inhérente aux circonstances. Dire que, même neufs, ils « grattaient » est peu dire. On retrouve bien cette « qualité » aujourd’hui encore. Qualité évidemment rarissime dans les productions actuelles.

Mais d’autres éléments me touchent directement. D’abord le fac–similé d’une affiche où l’on peut lire ceci : « Grand Gala de Jazz et de Music Hall, Le Roi de l’Accordéon moderne, la grande attraction du jazz français, Gus Viseur et son formidable quintette swing ». Sur la même affiche, on lit aussi la présence de Gus Deloof ; plus exactement « Du jazz pur avec Gus Deloof… ». Le Roi de l’Accordéon Moderne ! Et, en effet, j’écoute ce disque comme une rupture radicale avec l’esprit musette.

Mais une autre chose me trouble, à quoi je n’avais jamais donné une telle attention : deux des trois sessions qui composent ce cd ont été enregistrées en 1942 et en 1943. Or il se trouve que je suis né moi-même en 1943 et que je me suis toujours demandé, sans arriver jamais à une réponse satisfaisante, comment on pouvait « faire des enfants » au cours de ces années-là, disons en pleine guerre. De même, comment, où, pour quel public pouvait-on jouer du jazz à l’accordéon durant cette période ? Faut-il voir dans ces deux faits l’expression d’une force vitale irrépressible ? Faut-il y voir la manifestation de compromis ? Perpétuer l’espèce malgré tout ! La musique malgré tout ! Ces questions, je l’avoue, me troublent. Celles-ci en particulier : qui écoutait alors Gus Viseur, le roi de l’accordéon moderne ? Quelles étaient la position et les conditions de vie sociale et économique de ses auditeurs ? Quels lieux accueillaient des musiciens tels que lui ? Qui achetait ses disques (la présentation parle de séries de 10000 avec étiquette or, dans les années 40, ce qui me laisse perplexe) ?

Ente ce que j’apprends et ce qui me touche, je retrouve la grille de lecture de Roland Barthes, auquel je me suis plusieurs fois référé, à savoir que le plaisir que j’éprouve vient de la conjonction immédiate d’éléments qui combinent du «studium » et du « punctum ». Je comprends mieux mon attachement à ce disque et à Gus Viseur, sans pour autant me l’expliquer clairement. Mais il ne faut pas vouloir tout clarifier.