lundi, septembre 04, 2006

mardi 5 septembre

Je reviens sur le dossier réalisé par Françoise Jallot dans le numéro 56 (septembre 2006) de la revue « Accordéon & accordéonistes ». Ce dossier s’étend sur les pages 36 à 41. Il a pour sujet « New-York et le Jazz ». En fait, le titre est plus large que le sujet traité qui correspond à un « petit tour d’horizon auprès de musiciens accordéonistes sur la musique, le jazz et leur ville ». Je trouve ce dossier fort bien fait, d’une part en ce qui concerne les données informatives, je pense par exemple à la liste d’une quinzaine de clubs à New-York où l’on peut écouter du jazz et surtout de l’accordéon-jazz, d’autre part eu égard à la question de la définition du jazz abordée à l’occasion de toutes les interviewes. J’ajoute que ce dossier est complété par quatre critiques de disques correspondant à des musiciens interviewés et présentés. Ces critiques se trouvent pages 58 et 59 ; elles donnent envie d’écouter ces disques à la fois à cause de leur argumentaire et de l’enthousiasme communicatif de Françoise Jallot.

En observant les accordéonistes photographiés dans ce dossier, je note que la grande majorité sinon tous jouent sur des accordéons – piano. On a l’impression de voir les enfants et petits-enfants d’Art Van Damme. Dans la famille des accordéonistes, il y a là une espèce particulière qui s’est développée aux Etats-Unis. Cette spécificité saute aux yeux et, si j’ose dire, aussi aux oreilles.

Mais ce dossier a pour moi un autre intérêt. Depuis longtemps déjà j’essaie de relever ce qu’est le jazz pour « les praticiens » à travers leurs propos ordinaires et spontanés. Par praticiens, j’entends les musiciens, en particulier les accordéonistes, qui se situent par rapport au jazz, et non des théoriciens en musicologie, qui ont contribué à élaborer le concept de jazz. Par propos ordinaires et spontanés, j’entends ceux que l’on peut recueillir dans une interview et non des textes écrits et construits dans une visée de conceptualisation. En l’occurrence, la définition sous forme d’idées claires et distinctes m’intéresse peu ; ce que je cherche, c’est la définition en acte, la définition telle qu’elle est vécue par ceux qui se réclament du jazz ou se situent par rapport au jazz… à ce qui pour eux est du jazz.

Je relève donc dans ce dossier les éléments suivants :

- le jazz, pour plusieurs des accordéonistes interviewés, se confond très vite avec du free-jazz et de la musique contemporaine, qui sont présentés comme indissociables de l’improvisation.
- Will Holshouser, qui joue avec David Krakauer et qui a fondé un trio : accordéon, trompette et contrebasse, dit qu’il participe aussi au groupe Musette Explosion… Rien que le nom donne envie de savoir ce que c’est ! Et si en plus on sait qu’ils jouent « avec leurs arrangements très swing quelques pièces de Tony Murena »… on a vraiment envie qu’ils sortent leur disque annoncé. C’est sans doute une facette du jazz qui mérite toute notre attention.
- Le jazz, dit un ancien, Angelo Di Pippo, n’a jamais payé et c’est pourquoi il n’a jamais été facile d’en entendre. Aujourd’hui, ajoute-t-il, c’est pire… mais en France, et selon lui c’est une chance, on a Galliano. Cette référence permet de se faire une idée de ce qu’est le jazz. En l’occurrence, ce que joue Galliano en fait partie ; c’est une indication précieuse.
- Plusieurs interviewés disent emprunter des éléments au jazz, mais sans prétendre être jazzman, ni revendiquer cette qualité. Jouer du jazz, ce n’est pas ipso facto être jazzman. Andrea Parkins, par exemple, dit très clairement : « le jazz ne représente qu’une petite partie de moi »… En quoi elle est à l’opposé de Victor Prieto disant : « le jazz, c’est impossible de le définir. La seule chose que je peux exprimer au sujet de cette musique exceptionnelle, c’est qu’elle est en moi. Elle est tout pour moi ». Jouer du jazz, c’est donc pour les uns jouer une certaine musique parmi d’autres, alors que pour d’autres le jazz se confond avec une conception de l’existence, une manière de vivre, qui ne se morcelle pas.
- Je mets cette considération en rapport avec cette autre idée que le jazz est impossible à définir. « Je ne peux pas dire ce que le jazz est ou n’est pas » dit encore Victor Prieto. Il ajoute : « Mais la seule chose que je sais, c’est qu’il représente ce que j’aime, des mélanges culturels et des rythmes, des échanges de feeling et d’improvisations ».
- Le jazz est d’origine américaine, sur fond de culture noire, mais il est une musique de mélanges incessants (influences espagnoles, celtes, françaises, cubaines, brésiliennes, gipsy, klezmer, de la musique contemporaine de recherche, etc…) ; c’est une musique évolutive, qui se tient sans cesse aux limites et aux frontières d’autre chose… qui est encore du jazz, puisque d’une certaine façon le jazz se confond avec l’expérience des limites de l’improvisation.
- Bon… si la définition du jazz n’est ni univoque, ni simple, ni transparente, du moins ces quelques jalons m’auront permis de tourner autour.
- Un dernier mot de Victor Prieto qui, s'il tient à remercier Galliano, Marocco et Van Damme pour avoir su faire évoluer l'accordéon, ajoute que, selon lui, l'accordéon est capable de jouer tant de styles différents qu'il peut s'adapter à tout. "Tout dépend de l'instrumentiste qui, à lui seul, a le pouvoir d'entrainer son instrument vers des horizons encore inconnus". L'accordéon est jazz quand il explore des horizons inconnus. Assez jolie formule.