mercredi, décembre 06, 2006

jeudi 7 décembre

Il y a longtemps, presqu’un demi-siècle – c’est fou ! – j’avais plaisir à recopier les textes, poétiques en particulier, que j’admirais. Cette copie manuscrite était pour moi une façon de me les approprier, voire de me les incorporer. Oui, c’est ça, de me les incorporer. Appropriation est une notion trop abstraite ; il s’agissait bien d’incorporation avec tout ce que processus implique de corporel. Ce travail manuscrit était pour moi, j’en ai conscience aujourd’hui, une façon de m’incorporer le sens et l’émotion indissolublement mêlés dans le travail d’écriture, au sens graphique du terme. Je retrouve aujourd’hui ce même désir et le plaisir de recopier simplement et scrupuleusement la liste des titres de « Memories » et de ses interprètes.

Memories

Arboris 1
Lucifer’s memories
Mise à mort
Boa cyclus
Lui
Daemonies

Toccata alizarine
Variantes on Cheyenne song
Life spark
Lost Coast memories - part. 1
Lost Coast memories – part 2
Lost Coast memories – part 3


Patrick Busseuil

Mika Väyrynen
Philippe Bourlois
Thierry Accard
Dragan Vasijevic
Max Bonnay
Angel-Luis Castano

Jean – Marc Marroni
Angel Luis Castano
Niko Kumpuvaara
Claudio Jacomucci
Anthony Millet
Cao Xiao-Qing


L’écriture et la lecture de cette liste me font penser au travail de mémoire de Pérec : la liste, en tant que telle, au-delà de la simple énumération, est déjà un poème par son pouvoir d’évocation. Mais puisque je parlais de travail d’incorporation, de travail du corps, en écoutant « Memories », j’ai pris conscience aussi de l’importance primordiale de la posture dans l’écoute, dans le travail d’écoute. J’ai fait en effet cette expérience – au sens d’expérience vécue et intuitive, non au sens de dispositif expérimental – qu’il m’était impossible d’écouter les pièces de cet album autrement que bien calé dans un fauteuil ou un canapé, un casque sur les oreilles et les yeux mi-clos… et les pieds appuyés sur le bord de mon bureau ou d’une table basse. Avec, à portée de main, une feuille où fixer immédiatement mes impressions, idées, sentiments, sensations, etc… Encore un travail manuscrit. C’est la seule posture qui me « coupe » assez du monde pour me permettre d’entrer dans le monde de « Memories ». On est bien loin de la coupure radicale entre le corps et l’esprit de la philosophie classique. L’émotion esthétique, c’est justement l’expérience radicale de l’impossibilité de dissocier le psychologique, le spirituel, et le physiologique, le corporel. Sans doute, la posture ne suffit pas à déterminer l’expérience esthétique et à susciter, à elle seule, le plaisir esthétique, mais je pense qu’elle en est une condition sine qua non. Peut-être finalement que toute œuvre, plastique, musicale, implique que le sujet qui la reçoit, qui la lit, sache adopter la posture adéquate pour en tirer le plaisir qu’elle recèle. Pourquoi ne pas imaginer un compositeur donnant à ses auditeurs un commentaire, des conseils, voire des préconisations sur la posture à adopter pour apprécier pleinement son œuvre ?