vendredi, février 09, 2007

mardi 13 février

En lisant attentivement la dernière livraison de la revue « Accordéon & accordéonistes », le numéro 61 de février 2007, je constate, comme dans chaque numéro, l’importance quantitative des mentions faites de concours et de prix, et conséquemment de jurys, dont certains sont qualifiés de prestigieux. Cette insistance me parait significative d’un certain fonctionnement du monde de l’accordéon et c’est tout à fait passionnant d’un point de vue sociologique. Je compte approfondir cette question, mais pour l’instant je m’en tiens à quelques réflexions :

- les concours, les prix et les jurys sont apparemment des éléments déterminants quant aux carrières d’accordéonistes et aux stratégies y afférentes ;
- par analogie avec le monde universitaire, monde de laboratoires et de jurys cooptés, je fais l’hypothèse que le monde de l’accordéon est constitué d’un certain nombre d’écuries, qu’il est donc essentiel pour les formateurs, professeurs ou responsables d’instituts de formation de se placer comme membres des jurys, car cette position permet de négocier des influences et des renvois d’ascenseurs, sur le mode du « donnant / donnant » : "je donne ma voix à ton poulain aujourd’hui, j’en attends ton appui demain… "
- cette analyse me conduit à penser qu’il y a une grande analogie entre ce monde de l’accordéon de concours et celui du patinage artistique : dosage diplomatique des jurys, influences occultes, échanges de services rendus, épreuves imposées et épreuves libres, etc… De même, il y a des analogies avec le monde des prix littéraires, où s’affrontent les éditeurs par auteurs interposés, mais dans ce dernier cas il n’y a que des premiers prix, pas de classement. On n’a pas de second prix du Goncourt ou du Fémina.
- en ce sens, les stratégies de carrière diffèrent aussi du monde des arts plastiques où les distinctions obtenues dans les salons n’ont pas la même signification et où, à l’instar du monde littéraire, il n’y a pas de classements aussi formels que pour l’accordéon. Dans le monde des plasticiens, la carrière se fait plutôt en entrant dans une écurie cotée, je veux dire une galerie. J’imagine que, dans le monde de l’accordéon, le bon cheval, c’est aussi celui ou celle qui sait ne pas se tromper de driver, d’entraineur, de coach.
- "Accordéon & accordéonistes" se charge d'ailleurs de bien diffuser urbi et orbi les résultats des concours où ont brillé les élèves de certains collaborateurs attitrés et présentés comme des professeurs prestigieux (comme certains jurys, dont ils font partie)
- je constate que le monde du bandonéon ne semble pas du tout fonctionner sur ce modèle. A approfondir...
- j’imagine les luttes plus ou moins voilées entre d’une part les écoles de formation entre elles et d’autre part les facteurs d’instruments entre eux. Je me souviens à ce sujet d’un courrier furieux adressé par monsieur Cavagnolo à la direction de la revue « Accordéon & accordéonistes » pour un compte-rendu pas assez laudatif des récompenses obtenues par l’un de ses poulains, avec retrait de son budget publicitaire. Retrait qui a duré quelques numéros. Je suppose qu’ensuite les intérêts financiers étaient tels qu’on a fini par s’arranger…
- il faudra un jour que je m’interroge sur l’incidence de cette filière de carrière sur le renouvellement des instrumentistes et sur les canons de la « bonne » interprétation. Si j’osais, je me demanderais ce qu’il en est du style d’accordéonistes à qui l’on a dit et redit: « plus tard tu exprimeras ta personnalité, mais passe ton Bach d’abord ! ».
- sans aller jusqu’à penser que le monde de l’accordéon est un « univers impitoyable », je suppose qu’il n’est pas totalement angélique ; je le vois plutôt comme un mixte d’inspiration, de travail et de stratégie. Suivant quel dosage ? Je ne connais pas assez le milieu pour en décider, mais j’imagine assez bien que tel ou tel, fatigué des jeux stratégiques, puisse se détourner de ce monde codé pour privilégier le travail au service de son inspiration et prendre ainsi le risque d’une rupture, voire d’un déchirement, par besoin d’authenticité. Si tel est le cas, cela mérite toute notre estime, car ce comportement met en question rien moins que la reconnaissance acquise et oblige à entreprendre tout un parcours vers une reconnaissance vécue comme authentique. La question cruciale de l’authenticité, ici comme en d’autres domaines, étant de savoir par qui l’on veut être reconnu.