mercredi 26 mars - les gens de peu
Je viens de relire quelques chapitres d’un ouvrage de Pierre Sansot, « Les gens de peu ». Pierre Sansot est un sociologue qui fonde son travail théorique sur des descriptions précises, pleines de finesse et d’originalité. Ce sont ces descriptions qui m’intéressent. Parmi ses ouvrages, on trouve « Poétique de la ville », « Jardins publics », « Les vieux ça ne devrait jamais devenir vieux », etc… Ces titres donnent déjà une idée de ses objets d’études, qu’en l’occurrence on devrait appeler plutôt sujets d’études, tant son effort d’empathie est manifeste dans les pages qu’il nous livre.
« Les gens de peu » est un ouvrage de 1991, réédité en 2002 dans la collection « Quadrige », PUF, Sociologie d’aujourd’hui. 223 pages ; 9,50 euros TTC.
Il est composé de 16 chapitres augmentés d’une postface. Quelques titres : « La chanson des rues », « Les bonheurs domestiques : la ménagère », « Les petits bricoleurs », « Les scènes de ménage », « Le football des trottoirs ». Le chapitre 1 s’intitule « Gens de peu, hommes quelconques, vies ordinaires » et la postface « Le pliant ». Mais aujourd’hui, c’est le chapitre « Les bals du 14 juillet » qui m’intéresse.
Parlant des fêtes populaires, Pierre Sansot écrit : « Dans toutes ces fêtes populaires, l’accordéon était à l’honneur : pour les valses, pour les pasos dobles mais aussi, ce qui ne va pas de soi, pour les rumbas, les danses sud-américaines, les tangos, où il aurait dû céder sa place au bandonéon. En quoi était-il l’instrument populaire par excellence ? Monumental, chromatique, il collait au corps de celui qui en usait. Il enroulait les épaules de ses bretelles, il exigeait que la poitrine, que la tête soient de la partie, l’accompagnent pour hâter sa respiration. L’accordéoniste en tirait gloire. Il prenait souvent le devant de la scène tandis que le reste de l’orchestre demeurait plus discret (il lui arrivait de s’effacer devant le batteur).
[… ] Il s’opposait, d’une manière plus ou moins explicite, au piano, ou plutôt à un certain usage du piano, celui qui apparaissait comme l’élément indispensable d’une bonne éducation, qui reposait sur de longues et ennuyeuses études, qui désirait manifester l’existence de goûts supérieurs. De l’accordéon, on pouvait en jouer dans une cuisine tandis que les parents rassemblés achevaient leur repas dans le rire et l’alcool. Le piano méritait un salon, des voilages, la sagesse et le silence ».
Plus loin, il oppose musette / guinguette et thés dansants / casino. Et ces oppositions, comme celle qui met face à face l’accordéon et le piano, donnent lieu à des descriptions qui, sans jamais se perdre et nous égarer dans les détails, nous donnent à voir et à comprendre la vie des gens.
Pourtant, un fait, que j’ai vécu récemment, m’amène à revenir sur cette opposition, qui parait aller de soi, entre l’accordéon – le piano du pauvre – et le piano – piano de salon, piano de concert. Avant le début du concert « Mare Nostrum » à la salle Gaveau, j’étais assis à côté de trois hommes, jeunes, trente cinq / quarante ans, habillés avec soin et recherche, un soupçon de sophistication dans l’accord chemise / cravate, rasés au plus près, manucurés et parfumés. En attendant… comme Godot… ils lisaient un journal financier de langue anglo-saxonne. Sur l’exemplaire de mon voisin, on pouvait déchiffrer, barrant le titre du journal, un petit bandeau portant quelques indications : le numéro d’abonnement, le titre de l’abonné : manager d’investissements d’un établissement d’assurances international, son nom et son prénom, l’adresse : un immeuble de la Défense. Normalement, ils auraient dû jouer du piano. Normalement, oui, mais en fait, peu avant que les lumières s’éteignent, celui des trois qui était assis au milieu a commencé à dire aux deux autres qu’il avait un accordéon de même marque que Galliano puis, pour répondre à leurs questions, à leur expliquer la technologie de l’instrument. Ils semblaient intéressés par ces précisions. J’ai observé, au cours du concert, que leurs applaudissements ont gagné en chaleur au fur et à mesure des morceaux. Pas au point de les pousser à se lever, comme l’ont fait certains d’entre nous après le deuxième rappel. Evolution du comportement, oui, mutation, non. Bon, bien sûr, celui qui jouait de l’accordéon ne jouait pas sur n’importe quel instrument. Le même que Galliano, c’est déjà un signe d’appartenance de classe. Mais, ce fait ne m’a pas paru anodin. Des cadres supérieurs de la finance qui assistent à un concert d’accordéon (de trompette et… de piano. L’honneur est sauf !), l’un d’entre eux qui manie le bousin, si ce n’est pas une révolution culturelle, comment faut-il appeler cela ? Certains se demandent s’il existe des traces de Mai 68 dans notre société, en 2008. Je dis « oui ! La preuve… »
« Les gens de peu » est un ouvrage de 1991, réédité en 2002 dans la collection « Quadrige », PUF, Sociologie d’aujourd’hui. 223 pages ; 9,50 euros TTC.
Il est composé de 16 chapitres augmentés d’une postface. Quelques titres : « La chanson des rues », « Les bonheurs domestiques : la ménagère », « Les petits bricoleurs », « Les scènes de ménage », « Le football des trottoirs ». Le chapitre 1 s’intitule « Gens de peu, hommes quelconques, vies ordinaires » et la postface « Le pliant ». Mais aujourd’hui, c’est le chapitre « Les bals du 14 juillet » qui m’intéresse.
Parlant des fêtes populaires, Pierre Sansot écrit : « Dans toutes ces fêtes populaires, l’accordéon était à l’honneur : pour les valses, pour les pasos dobles mais aussi, ce qui ne va pas de soi, pour les rumbas, les danses sud-américaines, les tangos, où il aurait dû céder sa place au bandonéon. En quoi était-il l’instrument populaire par excellence ? Monumental, chromatique, il collait au corps de celui qui en usait. Il enroulait les épaules de ses bretelles, il exigeait que la poitrine, que la tête soient de la partie, l’accompagnent pour hâter sa respiration. L’accordéoniste en tirait gloire. Il prenait souvent le devant de la scène tandis que le reste de l’orchestre demeurait plus discret (il lui arrivait de s’effacer devant le batteur).
[… ] Il s’opposait, d’une manière plus ou moins explicite, au piano, ou plutôt à un certain usage du piano, celui qui apparaissait comme l’élément indispensable d’une bonne éducation, qui reposait sur de longues et ennuyeuses études, qui désirait manifester l’existence de goûts supérieurs. De l’accordéon, on pouvait en jouer dans une cuisine tandis que les parents rassemblés achevaient leur repas dans le rire et l’alcool. Le piano méritait un salon, des voilages, la sagesse et le silence ».
Plus loin, il oppose musette / guinguette et thés dansants / casino. Et ces oppositions, comme celle qui met face à face l’accordéon et le piano, donnent lieu à des descriptions qui, sans jamais se perdre et nous égarer dans les détails, nous donnent à voir et à comprendre la vie des gens.
Pourtant, un fait, que j’ai vécu récemment, m’amène à revenir sur cette opposition, qui parait aller de soi, entre l’accordéon – le piano du pauvre – et le piano – piano de salon, piano de concert. Avant le début du concert « Mare Nostrum » à la salle Gaveau, j’étais assis à côté de trois hommes, jeunes, trente cinq / quarante ans, habillés avec soin et recherche, un soupçon de sophistication dans l’accord chemise / cravate, rasés au plus près, manucurés et parfumés. En attendant… comme Godot… ils lisaient un journal financier de langue anglo-saxonne. Sur l’exemplaire de mon voisin, on pouvait déchiffrer, barrant le titre du journal, un petit bandeau portant quelques indications : le numéro d’abonnement, le titre de l’abonné : manager d’investissements d’un établissement d’assurances international, son nom et son prénom, l’adresse : un immeuble de la Défense. Normalement, ils auraient dû jouer du piano. Normalement, oui, mais en fait, peu avant que les lumières s’éteignent, celui des trois qui était assis au milieu a commencé à dire aux deux autres qu’il avait un accordéon de même marque que Galliano puis, pour répondre à leurs questions, à leur expliquer la technologie de l’instrument. Ils semblaient intéressés par ces précisions. J’ai observé, au cours du concert, que leurs applaudissements ont gagné en chaleur au fur et à mesure des morceaux. Pas au point de les pousser à se lever, comme l’ont fait certains d’entre nous après le deuxième rappel. Evolution du comportement, oui, mutation, non. Bon, bien sûr, celui qui jouait de l’accordéon ne jouait pas sur n’importe quel instrument. Le même que Galliano, c’est déjà un signe d’appartenance de classe. Mais, ce fait ne m’a pas paru anodin. Des cadres supérieurs de la finance qui assistent à un concert d’accordéon (de trompette et… de piano. L’honneur est sauf !), l’un d’entre eux qui manie le bousin, si ce n’est pas une révolution culturelle, comment faut-il appeler cela ? Certains se demandent s’il existe des traces de Mai 68 dans notre société, en 2008. Je dis « oui ! La preuve… »
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