dimanche 29 juin - partition et logique floue
Parmi les courriels que je découvre ce matin, un message de Sylvie Jamet, en réaction aux réflexions que j'avais notées mercredi sous le titre "logique floue". Bien sûr, j'en fais mon miel. Mais, du coup, je me dis que je ne vais pas garder égoïstement pour moi seul toutes ces idées. Ci-dessous donc, brut de décoffrage le message de Sylvie.
… lu ton article (mercredi 25 juin – logique floue).
Pour moi, la partition est une nécessité pour se rappeler une musique, la transmettre à des musiciens, pour la stocker avec des codes compris par les musiciens.
Mais la partition n'est qu'une image de ce qui est mesurable (tempo quand il est indiqué : "60 à la noire", c'est exactement une noire par seconde, donc une précision, des hauteurs, des reprises, ...).
A cela s'ajoutent des indications d'émotion et de sensibilité, annotées. Là on tombe dans l'imprécis (ce qu'émet le compositeur, ce que comprend le lecteur, ce qu'il choisit comme option, ce qu'il réussit ou pas à faire passer dans son interprétation).
A cela s'ajoute ce qui n'est même pas retranscrit sur la partition, qui a une fausse image de "représentation graphique réelle de la musique" : la musique par elle-même. La musique, c'est autre chose, des sons, dans l'espace, et pour commencer un phénomène physique qui fait que le son se crée physique, occupe la pièce, résonne dans les cœurs, revient au musicien qui lui-même est acteur/spectateur/auditeur. La musique c'est aussi une émotion, un discours, un échange.
Tout ça n'est pas dans le papier.
D'où le problème lorsqu'on dit à un élève de jouer une musique qu'il lit sur une partition : il faut qu'il fasse appel en lui à un phénomène de création/imagination/conceptualisation/transformation physique pour transformer ce papier linéaire en cette chose qu'est la musique, dans le temps, l'espace (alors que même le musicien le plus averti est bien à mal s'il veut donner une définition de la musique : comment rendre cette musique , conceptualiser, lui donner vie physiquement, alors qu'on ne sait pas vraiment ce que c'est ? Il faut vraiment de l'imagination...). Le travail sur partition en vient à verrouiller la création et la musicalité.
D'où l'idée de pratiquer les deux modes de jeu : celui, guidé, avec une partition, et celui de « l'impro » pure, où l'écoute sera le guide et où l’on travaille directement sur la matière, sur les sons (le nirvana : acte créatif direct, on joue avec ses oreilles, succès garanti).
Si on a la chance de pratiquer les deux (quelle chance j'ai !), les deux méthodes s'interpénètrent. On a alors conscience des limites de chaque méthode : apprentissage par cœur fastidieux ; si pas le moyen de noter pour retenir, impossibilité de jouer certaines pièces pour orchestre très longues et de formes compliquées. A l'opposé, verrou par la partition qui inhibe la musicalité.
Si on pratique les deux méthodes, avec un peu de chance, et de discernement, et de libre arbitre, et une volonté d'aller dans ce sens, on développe chacun des avantages des deux méthodes, et ayant conscience du verrouillage par la partition on arrive à se faire une autre représentation de celle-ci que celle d'un papier en 3D.
Attention, jouer par cœur une musique apprise sur partition ne permet pas de se libérer de la représentation graphique de la partition (le cerveau ayant mémorisé la musique telle qu'apprise, donc avec ce verrouillage)
Voili-voilou mon expérience de musicienne...
Bon je retourne à mes articles écolos...
Sylvie
En lisant ce courriel de Sylvie, je retrouve une réflexion que je me suis faite souvent en regardant des émissions de télévision montrant un artiste essayant de transmettre sa vision d'une oeuvre à ses élèves. Quand j'ai le sentiment que cette transmission est une véritable formation, j'observe qu'elle se réalise essentiellement par des tâtonnements successifs. Tâtonnements faits de concepts, de notions, d'images, de mimiques, de postures, de gestes, d'émotions partagées dans l'instant d'un échange de regards. C'est comme si le sens ne pouvait se transmettre simplement par des messages "durs" : conventions, relations logiques, définitions dépourvues de toute ambiguité, etc... Comme s'il fallait nécessairement procéder par ajustements progressifs, comme si le message ne pouvait se construire qu'en construisant en même temps le langage qui lui donne sens. En cela on est bien dans une logique floue, le flou étant le signe non d'un manque ou d'un défaut, qu'il faudrait s'efforcer de réduire, mais tout au contraire le signe qu'on a affaire à une pensée vivante, mixte de normes et de règles d'une part, et d'interprétations subjctives d'autre part.
Pour moi, la partition est une nécessité pour se rappeler une musique, la transmettre à des musiciens, pour la stocker avec des codes compris par les musiciens.
Mais la partition n'est qu'une image de ce qui est mesurable (tempo quand il est indiqué : "60 à la noire", c'est exactement une noire par seconde, donc une précision, des hauteurs, des reprises, ...).
A cela s'ajoutent des indications d'émotion et de sensibilité, annotées. Là on tombe dans l'imprécis (ce qu'émet le compositeur, ce que comprend le lecteur, ce qu'il choisit comme option, ce qu'il réussit ou pas à faire passer dans son interprétation).
A cela s'ajoute ce qui n'est même pas retranscrit sur la partition, qui a une fausse image de "représentation graphique réelle de la musique" : la musique par elle-même. La musique, c'est autre chose, des sons, dans l'espace, et pour commencer un phénomène physique qui fait que le son se crée physique, occupe la pièce, résonne dans les cœurs, revient au musicien qui lui-même est acteur/spectateur/auditeur. La musique c'est aussi une émotion, un discours, un échange.
Tout ça n'est pas dans le papier.
D'où le problème lorsqu'on dit à un élève de jouer une musique qu'il lit sur une partition : il faut qu'il fasse appel en lui à un phénomène de création/imagination/conceptualisation/transformation physique pour transformer ce papier linéaire en cette chose qu'est la musique, dans le temps, l'espace (alors que même le musicien le plus averti est bien à mal s'il veut donner une définition de la musique : comment rendre cette musique , conceptualiser, lui donner vie physiquement, alors qu'on ne sait pas vraiment ce que c'est ? Il faut vraiment de l'imagination...). Le travail sur partition en vient à verrouiller la création et la musicalité.
D'où l'idée de pratiquer les deux modes de jeu : celui, guidé, avec une partition, et celui de « l'impro » pure, où l'écoute sera le guide et où l’on travaille directement sur la matière, sur les sons (le nirvana : acte créatif direct, on joue avec ses oreilles, succès garanti).
Si on a la chance de pratiquer les deux (quelle chance j'ai !), les deux méthodes s'interpénètrent. On a alors conscience des limites de chaque méthode : apprentissage par cœur fastidieux ; si pas le moyen de noter pour retenir, impossibilité de jouer certaines pièces pour orchestre très longues et de formes compliquées. A l'opposé, verrou par la partition qui inhibe la musicalité.
Si on pratique les deux méthodes, avec un peu de chance, et de discernement, et de libre arbitre, et une volonté d'aller dans ce sens, on développe chacun des avantages des deux méthodes, et ayant conscience du verrouillage par la partition on arrive à se faire une autre représentation de celle-ci que celle d'un papier en 3D.
Attention, jouer par cœur une musique apprise sur partition ne permet pas de se libérer de la représentation graphique de la partition (le cerveau ayant mémorisé la musique telle qu'apprise, donc avec ce verrouillage)
Voili-voilou mon expérience de musicienne...
Bon je retourne à mes articles écolos...
Sylvie
En lisant ce courriel de Sylvie, je retrouve une réflexion que je me suis faite souvent en regardant des émissions de télévision montrant un artiste essayant de transmettre sa vision d'une oeuvre à ses élèves. Quand j'ai le sentiment que cette transmission est une véritable formation, j'observe qu'elle se réalise essentiellement par des tâtonnements successifs. Tâtonnements faits de concepts, de notions, d'images, de mimiques, de postures, de gestes, d'émotions partagées dans l'instant d'un échange de regards. C'est comme si le sens ne pouvait se transmettre simplement par des messages "durs" : conventions, relations logiques, définitions dépourvues de toute ambiguité, etc... Comme s'il fallait nécessairement procéder par ajustements progressifs, comme si le message ne pouvait se construire qu'en construisant en même temps le langage qui lui donne sens. En cela on est bien dans une logique floue, le flou étant le signe non d'un manque ou d'un défaut, qu'il faudrait s'efforcer de réduire, mais tout au contraire le signe qu'on a affaire à une pensée vivante, mixte de normes et de règles d'une part, et d'interprétations subjctives d'autre part.
A suivre...
1 Comments:
Deuxième commentaire sur ce blog si sympathique !!
En tant que musicien de musiques dites traditionnelles, de tradition orale, ne connaissant pas le solfège, j'explore une troisième voix ...
Celles des micro-variations. Ni de l'ordre de l'interprétation, ni de l'improvisation, comment jouer un air sur 16 mesures, qui sera répété 15 fois pour le plaisir des danseurs, sans ennui de part et d'autre ...
Jouer avec une structure rythmique, une note en plus, en moins, modifier avec tact l'ordre des notes, modifier un appui, le supprimer pour le mettre en valeur ..
Hervé FAYE
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