jeudi 10 juillet - un travail de présence
Ainsi donc, samedi matin, cette information attendue, inéluctable, et cependant sidérante : « Michel est décédé cette nuit ».
Michel était quelqu’un d’exceptionnel. Exceptionnel d’intelligence tant au plan théorique qu’au plan social. Exceptionnel comme conférencier, capable de tenir en haleine un amphithéâtre pendant trois heures en s’appuyant sur deux ou trois feuillets couverts de pattes de mouches ou si l’on veut de graffitis reliés par des sortes de fils de toiles d’araignée. Ces fils étaient le réseau de son discours, la face visible de son esprit de synthèse. A cela il ajoutait une attention vraie pour les gens, pas une attention mondaine de surface, non, une attention vraie ; je veux dire que dans les échanges que l’on pouvait avoir avec lui son attitude manifestait toujours qu’il était vraiment attentif à son interlocuteur. Je crois pouvoir dire qu’il était authentiquement épicurien et que la preuve de son épicurisme tient au fait qu’il a su mourir de manière assez stoïcienne. Bref, je peux dire que je l’admirais.
Dimanche matin donc, j’ai rejoint Toulouse où, Michèle, la compagne de Michel, et moi-même nous étions convenus de nous rencontrer. J’ai fait la route en écoutant les sélections de morceaux d’accordéon-jazz que j’avais offertes un jour à Michel. Auparavant, j’y reviendrai, je suis allé aux Abattoirs, un musée d’art moderne, où se tenaient une exposition d’un peintre espagnol, Saura, et une autre intitulée, je crois, Futurs imaginaires. Avec Michèle, nous avons évoqués plusieurs comportements de Michel ; j’ai eu plaisir à évoquer plusieurs de ses attitudes caractéristiques de son indépendance d’esprit et de son non conformisme et, malgré nous, nous avons ri plusieurs fois.
Lundi matin, j’ai écouté encore les deux cds et j’avoue que les morceaux que j’avais choisis pour leurs qualités musicales ont pris dorénavant une profondeur et une densité nouvelles. Ils sont maintenant définitivement associés à la figure de Michel. L’après-midi, et je m’expliquerai sur ce comportement, je suis allé visiter d’abord le musée des Augustins, ensuite le cloître des Jacobins où se tenait une exposition sur le monde arabe, arts et sciences notamment. En fait, dans les deux cas, ce sont les cloîtres qui étaient l’objet premier de mes visites.
Mardi matin, encore et encore, « Accordéon Jazz ». Après-midi, 13h30, église de la Patte d’Oie, cérémonie religieuse. A 15 heures, crématorium, dans la banlieue de Toulouse. Deux moments d’une très grande émotion : la disparition du cercueil, la remise des cendres à la famille, quatre-vingt dix minutes plus tard. Ajouté à cela, alors que nous attendons dehors dans la chaleur lourde d’un jour d’été traversé par les décollages des avions depuis Blagnac, le bruit d’un four qui tourne à plein régime. De retour en ville, entre Patte d’Oie et la Roseraie, je m’arrête à la station de métro Capitole… pour aller faire un tour du côté de chez Virgin. Rien, sinon des soldes, des soldes et des soldes… Et tout à coup, parmi des disques de salsa, un disque que j’ai longtemps cherché en vain : « « Sea of Reeds, Accordion Tribe ». Accordion Tribe ? Bratko Bibic, Lars Hollmer, Maria Kalaniemi, Guy Klucevsek et Otto Lechner… Arrivé à la maison, j’écoute cet album qui dès lors remplace « Accordéon Jazz ».
Retour à Pau à la nuit tombante. Pas de circulation. J’écoute évidemment, très fort, les treize morceaux … et c’est très beau.
En fait, « Accordéon Jazz », les Abattoirs, les Augustins, les Jacobins, « Accordion Tribe », tout cela relève d’une stratégie, d’un travail, que j’appelle un travail de présence, par opposition au travail de deuil, qui consiste à multiplier les occasions et les moments de plaisirs esthétiques pour les associer à Michel. Il n’est pas question pour moi d’évoquer sa mémoire, de chercher à retrouver ses comportements ou ses attitudes passés, il n’est pas question de s’accrocher à ce qui a eu lieu et qui ne sera plus, mais bien de prendre des points d’ancrage pour provoquer sa présence. Pas question non plus de chercher à imaginer ce qu’il aurait pu penser, dire, éprouver en telle ou telle circonstance. Ce serait d’autant plus vain que Michel était d’abord surprenant par ses analyses, surprenant et convaincant par l’allure d’évidence qu’il donnait à ses arguments ou à ses explications. Il s’agit tout simplement de prendre des points de repères où je sais que sa présence sera immédiate.
Ce travail est pour moi un plaisir et un devoir : permanence du plaisir esthétique partagé, devoir de maintenir vivante la présence de Michel. C’est pour cela que j’ai voulu en peu de temps aller aux Abattoirs, aux Jacobins, aux Augustins, et même trouver un disque chargé de qualité esthétique et d’émotion, car ce sont des lieux que je fréquente souvent lors de mes séjours à Toulouse, ce sont des disques que j’écouterai souvent ; il fallait donc, comme par une urgence vitale, les sélectionner dans l’émotion.
Au cours de ces moments, j’ai fait beaucoup de photographies. J’ai l’intention, à tête reposée, d’en tirer un choix. Ce sera justement l’occasion d’engager, dans le plaisir esthétique, et d’expérimenter ce travail de présence que j’évoquais ci-dessus.
Mercredi, la vie continue… J’ai déposé chez les compagnons d’Emmaüs un four en bon état et une plaque de cuisson idem et puis je suis allé faire un tour vers les hangars où s’exposent les objets les plus improbables. Evidemment, il y avait un accordéon. Comment ne pas le photographier ?
Michel était quelqu’un d’exceptionnel. Exceptionnel d’intelligence tant au plan théorique qu’au plan social. Exceptionnel comme conférencier, capable de tenir en haleine un amphithéâtre pendant trois heures en s’appuyant sur deux ou trois feuillets couverts de pattes de mouches ou si l’on veut de graffitis reliés par des sortes de fils de toiles d’araignée. Ces fils étaient le réseau de son discours, la face visible de son esprit de synthèse. A cela il ajoutait une attention vraie pour les gens, pas une attention mondaine de surface, non, une attention vraie ; je veux dire que dans les échanges que l’on pouvait avoir avec lui son attitude manifestait toujours qu’il était vraiment attentif à son interlocuteur. Je crois pouvoir dire qu’il était authentiquement épicurien et que la preuve de son épicurisme tient au fait qu’il a su mourir de manière assez stoïcienne. Bref, je peux dire que je l’admirais.
Dimanche matin donc, j’ai rejoint Toulouse où, Michèle, la compagne de Michel, et moi-même nous étions convenus de nous rencontrer. J’ai fait la route en écoutant les sélections de morceaux d’accordéon-jazz que j’avais offertes un jour à Michel. Auparavant, j’y reviendrai, je suis allé aux Abattoirs, un musée d’art moderne, où se tenaient une exposition d’un peintre espagnol, Saura, et une autre intitulée, je crois, Futurs imaginaires. Avec Michèle, nous avons évoqués plusieurs comportements de Michel ; j’ai eu plaisir à évoquer plusieurs de ses attitudes caractéristiques de son indépendance d’esprit et de son non conformisme et, malgré nous, nous avons ri plusieurs fois.
Lundi matin, j’ai écouté encore les deux cds et j’avoue que les morceaux que j’avais choisis pour leurs qualités musicales ont pris dorénavant une profondeur et une densité nouvelles. Ils sont maintenant définitivement associés à la figure de Michel. L’après-midi, et je m’expliquerai sur ce comportement, je suis allé visiter d’abord le musée des Augustins, ensuite le cloître des Jacobins où se tenait une exposition sur le monde arabe, arts et sciences notamment. En fait, dans les deux cas, ce sont les cloîtres qui étaient l’objet premier de mes visites.
Mardi matin, encore et encore, « Accordéon Jazz ». Après-midi, 13h30, église de la Patte d’Oie, cérémonie religieuse. A 15 heures, crématorium, dans la banlieue de Toulouse. Deux moments d’une très grande émotion : la disparition du cercueil, la remise des cendres à la famille, quatre-vingt dix minutes plus tard. Ajouté à cela, alors que nous attendons dehors dans la chaleur lourde d’un jour d’été traversé par les décollages des avions depuis Blagnac, le bruit d’un four qui tourne à plein régime. De retour en ville, entre Patte d’Oie et la Roseraie, je m’arrête à la station de métro Capitole… pour aller faire un tour du côté de chez Virgin. Rien, sinon des soldes, des soldes et des soldes… Et tout à coup, parmi des disques de salsa, un disque que j’ai longtemps cherché en vain : « « Sea of Reeds, Accordion Tribe ». Accordion Tribe ? Bratko Bibic, Lars Hollmer, Maria Kalaniemi, Guy Klucevsek et Otto Lechner… Arrivé à la maison, j’écoute cet album qui dès lors remplace « Accordéon Jazz ».
Retour à Pau à la nuit tombante. Pas de circulation. J’écoute évidemment, très fort, les treize morceaux … et c’est très beau.
En fait, « Accordéon Jazz », les Abattoirs, les Augustins, les Jacobins, « Accordion Tribe », tout cela relève d’une stratégie, d’un travail, que j’appelle un travail de présence, par opposition au travail de deuil, qui consiste à multiplier les occasions et les moments de plaisirs esthétiques pour les associer à Michel. Il n’est pas question pour moi d’évoquer sa mémoire, de chercher à retrouver ses comportements ou ses attitudes passés, il n’est pas question de s’accrocher à ce qui a eu lieu et qui ne sera plus, mais bien de prendre des points d’ancrage pour provoquer sa présence. Pas question non plus de chercher à imaginer ce qu’il aurait pu penser, dire, éprouver en telle ou telle circonstance. Ce serait d’autant plus vain que Michel était d’abord surprenant par ses analyses, surprenant et convaincant par l’allure d’évidence qu’il donnait à ses arguments ou à ses explications. Il s’agit tout simplement de prendre des points de repères où je sais que sa présence sera immédiate.
Ce travail est pour moi un plaisir et un devoir : permanence du plaisir esthétique partagé, devoir de maintenir vivante la présence de Michel. C’est pour cela que j’ai voulu en peu de temps aller aux Abattoirs, aux Jacobins, aux Augustins, et même trouver un disque chargé de qualité esthétique et d’émotion, car ce sont des lieux que je fréquente souvent lors de mes séjours à Toulouse, ce sont des disques que j’écouterai souvent ; il fallait donc, comme par une urgence vitale, les sélectionner dans l’émotion.
Au cours de ces moments, j’ai fait beaucoup de photographies. J’ai l’intention, à tête reposée, d’en tirer un choix. Ce sera justement l’occasion d’engager, dans le plaisir esthétique, et d’expérimenter ce travail de présence que j’évoquais ci-dessus.
Mercredi, la vie continue… J’ai déposé chez les compagnons d’Emmaüs un four en bon état et une plaque de cuisson idem et puis je suis allé faire un tour vers les hangars où s’exposent les objets les plus improbables. Evidemment, il y avait un accordéon. Comment ne pas le photographier ?
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