dimanche, janvier 14, 2007

dimanche 14 janvier

… écouté le duo Baïkal. Je note le fait de la manière la plus lapidaire possible, pour en fixer la date, mais cette concision demande à être un peu développée.

D’abord, et je retrouve ici une question qui me préoccupe depuis quelque temps, « écouter le duo Baïkal », qu’est-ce que cela veut dire ? Je viens de recevoir, par un envoi de Jacques Pellarin, trois disques du duo, « Eclectismes », « Souffle et souffle » et « Vagabondages », et donc, comme j’ai déjà « Genesia », j’ai devant moi quatre albums, qui forment une totalité telle que je veux absolument l’écouter d’un seul trait. Ayant la chance de pouvoir écouter un ensemble de morceaux, dont je fais l’hypothèse qu’ils ont une unité organique, je veux absolument éviter d’en perdre la cohérence et de courir le risque de n’en saisir précisément que des morceaux isolés ou indépendants entre eux. Oui, mais pour avoir une chance de saisir cette unité, il faut que je m’assure que j’aurai le temps de le faire. Un rapide calcul me montre qu’il me faut pour cela une plage de temps de quatre heures. Je note en effet une durée de 64 minutes pour « Eclectismes », de 58 pour « Souffle et souffle », de 42 pour « Vagabondages » et de 45 pour « Genesia ». Le temps de changer les cds dans le lecteur, de prendre des notes entre deux titres, d’aller me chercher une bière, etc… deux cents quarante minutes ! Quatre heures !

Je suis très content d’avoir pu réaliser ce moment d’écoute à deux reprises : entre samedi, 21 heures, et dimanche, 1 heure ; dimanche matin, entre 9 heures et 13 heures. J’accorde beaucoup d’importance à ces conditions matérielles, car elles étaient essentielles à la réalisation de mon désir de profiter de l’opportunité d’écouter les quatre albums dans une seule unité de temps. C’est un premier plaisir.

Mais comment aborder ce corpus de titres ? Il ne suffit pas de faire « tourner » les quatre disques à la suite pour véritablement pouvoir parler d’écoute. Alors quoi ? Une écoute en survol ou en diagonale ? Une écoute ciblée ? Une écoute vagabonde plus ou moins livrée au hasard ? Finalement, j’ai décidé d’écouter les quatre albums dans l’ordre chronologique à travers une triple focale (comme dirait un photographe) :

- saisir un style, sa spécificité et son évolution
- mieux connaître l’accordéon classique, l’accordéon de concert, que je connais fort mal
- repérer comment, d’album en album, une histoire se construit

Bien entendu, cette triple focale fonctionne en même temps, comme un jeu de trois points de vue simultanés ; il ne s’agit pas d’écouter les morceaux à travers le filtre de l’une d’entre elles, à l’exclusion des autres, ce qui me serait impossible et de nature à gâter tout plaisir. Et justement, je dois ajouter que ces trois focales, à leur tour, ne fonctionnent qu’à partir d’une focale spontanée, immédiate, fondamentale, qui est le plaisir éprouvé à la découverte ou à la réécoute de chaque titre. En fait, il y a d’emblée le plaisir esthétique avec son évidence et, sur cette base, mais sur cette base seulement le travail analytique des focales.

A partir de ces deux moments d’écoute, quelques réflexions, remarques, impressions me viennent à l’esprit. Je les note sans souci d’ordre, en vrac :

- le dessin sur la couverture du premier album, « Eclectismes », m’intrigue. Je pense à Fernand Léger, mais je n’ai pas trouvé confirmation de cette identification. L’œuvre de Léger me fait penser à quelque chose de construit pour durer, à quelque chose qui s’inscrit dans la durée, quelque chose de solide. La notion de base solide me vient à l’esprit. Il y a du classicisme chez Léger, mais aussi un style tout à fait original et novateur. Et en effet, classique et novateur, ce sont deux adjectifs que j’associe bien à cet album : Bach, Mendelssohn, Chalaev, mais aussi Piazzolla, Pacalet et, inattendu, « Piccolo Rag » de Baselli et Rossi. Moi qui ne connais guère ce monde les transcriptions pour accordéon ou qui connais mal l’écriture contemporaine, je suis content de découvrir ici Bach et Pacalet… et, entre eux, Baselli et Rossi, que je connais mieux.
- j’ai bien aimé le pluriel du titre « Eclectismes », car l’éclectisme renvoie déjà à l’idée d’emprunts multiples sans souci d’en faire une synthèse, donc à l’idée de diversité revendiquée ; si donc on écrit éclectismes au pluriel, il s’agit, si j’ose dire, de variété au carré.
- ce qui me conduit à évoquer ici le style du duo et le son du « Bayan » : la variété assumée est dans le choix des œuvres, l’unité est dans le jeu du duo et dans le son de l’accordéon classique. Je ne saurais avec des mots traduire ce jeu, ni ce son, il faudrait pour cela que je dispose de mots et de connaissances que je ne possède pas ; en revanche, je les « sens » immédiatement et de manière infaillible.
- je note sur les deux premiers disques une mention qui ne me parait pas indifférente quant au professionnalisme du duo et à une certaine conception de l’acoustique : « enregistrement numérique. Toutes ces œuvres ont été enregistrées en prise unique et n’ont pas fait l’objet de corrections selon la méthode habituelle de re-recording ».
- dans le second album, «Souffle et souffle », je note la présence de Daniel Colin au bandonéon comme invité sur le 1er mouvement du « Concerto pour Bandonéon et Orchestre » de Piazzolla. La mention de ce nom me fait plaisir. Je note aussi la présence de Jean Pacalet dans un répertoire que je qualifierais de classique.
- j’ai le sentiment, peut-être devrais-je dire la sensation, d’une maîtrise technique formidable au service d’une intention d’expressivité et qui ne dérive jamais dans la recherche de la virtuosité. Cette impression, j’en ai bien conscience, me vient du souvenir que j’ai de l’écoute de « Genesia », qui m’avait inspiré la même remarque.
- j’ai une affection particulière pour « Vagabondages ». Deux choses me frappent : la présence de Morricone, de Castiello, de Nino Rota, de John Lennon et Paul Mc Cartney, d’une part, la présence de compositions originales de Jacques Pellarin, d’autre part. D’une certaine façon, j’écoute ce disque comme le passage à un autre monde, même si le son et surtout la maîtrise dont je parlais plus haut sont toujours là. Autre indice : sur plusieurs plages, J. Pellarin ou J.-L. Brunetti jouent du bandonéon.
- du coup, « Genesia » que je connaissais déjà, prend un autre sens : beaucoup d’œuvres originales signées J. Pellarin et J.-L. Brunetti, et à nouveau Castiello et Pacalet. Après l’ouverture de « Vagabondages », tout se passe comme si un travail de recentrage s’était opéré, même si l’éclectisme demeure.

J’ai bien conscience que tout cela mériterait d’être mis en ordre et en perspective… tout cela devrait être réfléchi. Ce sera pour plus tard. Pour l’instant, je sais que j’ai vraiment très envie d’écouter à nouveau tels ou tels titres pour retrouver le plaisir que j’y ai trouvé. Parfois je ne sais plus pourquoi ils m’ont plu, par contre j’ai bien la certitude de ce plaisir et le désir d’en vérifier le bien fondé. D’autre part, même si mes notes sont un peu « foutraques », je suis assez content, m’étant immergé dans ces quatre albums, de n’avoir pas été submergé par mes impressions. Cette satisfaction donne de la valeur au plaisir musical.