dimanche, janvier 14, 2007

lundi 15 janvier

Avant de mettre noir sur blanc quelques notes d’écoute, je relève un commentaire de Sylvie Jamet en date du vendredi 12 janvier. Je le trouve en effet intéressant par la netteté de sa formulation qui, en quelques lignes, énonce toute une conception (je ne dis pas théorie, notion trop abstraite) de la création artistique. Conception où l’on voit bien à quel point, me semble-t-il, l’art, la musique en particulier, est de l’ordre du vital. C’est vital parce que c’est de l’ordre de l’idéal et que l’idéal est nécessaire. Du coup, me semble-t-il encore, on est, quant à l’artiste, dans le registre de la vocation, et quant à l’œuvre elle-même dans le registre de quelque chose, qui n’existe pas hic et nunc, mais que l’art a pour mission de faire advenir. Où l’on voit bien que la création artistique comme la contemplation esthétique, en l’occurrence l’écoute musicale, ne sont pas simples suppléments d’âme, mais nécessité spirituelle.

Et cette réflexion ne me parait pas anodine, car elle met en jeu rien moins que la fonction, la place et le rôle de l’éducation artistique et esthétique dans notre société…


J’en viens à présent à l’écoute de deux albums de Daniel Brel, albums que j’ai découverts aujourd’hui :

- l’un en solo, comme son nom l’indique, « Bando solo »
- l’autre en trio, le trio Contratiempo, « Autour du tango ». Ce trio est composé de Daniel Brel, bandonéon, Patrick Le Junter, piano, Jean-Michel Hequet, contrebasse.

L’album solo évoque pour moi, immédiatement, des gravures en noir et blanc avec d’infinies gradations de gris. Nuances et subtilité. C’est une musique de méditation, qui ne livre à l’écoute que les fruits d’une longue réflexion. Musique qui se développe au fil du temps, comme on parle du fil de l’eau, ligne directrice, ligne de pente, autour de laquelle se déploient de multiples ondulations. Le « phrasé » de Daniel Brel rompt avec le style le plus fréquent du bandonéon, fait de ruptures et de stridences. Musique tendue certes, mais sans la crispation et la sensibilité qui s’exhibent habituellement dans le tango. Par rapport à l’expressionnisme extraverti, à fleur de peau et excessif du monde du tango, je trouve qu’on a affaire ici à un style marqué par la retenue, la pudeur et l’intériorité. Je retrouve avec bonheur le son du bandonéon que j’avais tant apprécié dans les « Quatre chemins de mélancolie ».

Deux choses encore dont j’ai l’intuition qu’elles sont liées :

- Daniel Brel est d’abord un compositeur et cela apparaît avec évidence dans l’unité des différentes pièces de « Bando solo ». On sent bien, à travers celles-ci, la consistance d’une vision du monde
- l’enregistrement du disque a eu lieu dans une chapelle, près de Pau. Choisir une chapelle plutôt qu’un studio me parait significatif ; choisir comme environnement un lieu de spiritualité plutôt qu’un lieu technologique, c’est choisir de privilégier un certain type de résonances.


L’album du trio est composé de deux volets :

- cinq compositions originales, quatre de Daniel Brel et une de P. Le Junter
- deux arrangements inédits de thèmes traditionnels du tango

J’ai écouté les différentes pièces de cet album comme une autre réflexion sur le tango, si j’ose dire, sur l’âme du tango. J’ai bien apprécié le jeu souvent subtil entre les instruments, deux à deux. Piazzolla insistait sur la précision de son travail d’écriture ; il m’a semblé retrouver, dans cet album, cette exigence dans toute sa rigueur. J’ai pensé à plusieurs reprises à un travail de traduction de l’esprit du tango dans une langue personnelle, parlée par les trois membres du trio. Et, comme on le sait bien, la traduction, par ses écarts mêmes, est productrice de sens nouveaux et insoupçonnés.