vendredi, janvier 19, 2007

samedi 20 janvier




J’avais rendez-vous à 18 heures chez mon médecin. Quand je suis arrivé, à moins cinq, la salle d’attente était pleine d’enfants, de papas et de mamans. Plus une chaise libre, des jouets partout, des cris et des pleurs… J’ai donc attendu mon tour, debout, dans le couloir, dont un mur est tapissé géométriquement de seize miroirs carrés, égaux. L’occasion était tentante : j’en ai profité pour « me tirer le portrait ». Ce faisant, j’ai retrouvé le plaisir que j’avais, il y a aujourd’hui longtemps, à me photographier dans les cabines « Photomaton ». Je ne sais plus où j’ai rangé les bandes de quatre photographies en noir et blanc qui sortaient de la machine après une attente de plusieurs minutes. Elles ont dû vieillir. Comme moi.

… Mais revenons à notre recherche. En consultant l’article « musique » de « L’Encyclopedia Universalis », j’ai trouvé un développement qui a attiré mon attention et mon sens critique. L’auteur évoque deux moments, entre autres, de la diffusion de la musique :

- la coupure créateur / exécutant avec l’écriture musicale et l’existence de la partition
- la coupure exécutant / consommateur avec les moyens techniques d’enregistrement, de reproduction et de diffusion de la musique vivante

L’analyse est fort intéressante, mais le vocabulaire, chargé d’a priori idéologiques, demande à être mis en question. On pourrait en effet faire cette même analyse et y adhérer mais en utilisant d’autres termes. Dire compositeur au lieu de créateur, interprète au lieu d’exécutant, auditeur au lieu de consommateur. Dans la première série, on présente la diffusion de la musique comme un flux qui va d’un émetteur à un récepteur par le canal d’une exécution. La communication est à sens unique. Le sens est à l’origine. Il se matérialise, il se diffuse en se transmettant, mais il est déjà tout entier à l’origine et l’ensemble du processus n’apporte aucune plus-value en termes de signification. Tout au contraire, la deuxième série : compositeur / interprète / auditeur, insiste sur le travail de mise en forme et d’écriture de l’auteur, mais elle reconnaît tout le travail de traduction de l’interprète et son rôle dans l’émergence de sens, qui n’étaient pas forcément contenus dans l’œuvre sortie de l’imagination de son auteur. Quant à l’auditeur, le seul fait de le désigner par ce terme marque qu’il n’existe que par son activité d’écoute et que son rôle ne peut se cantonner à une présence passive, comme un récipient que l’on remplit. Cette deuxième série me semble mieux rendre compte du fait que la création musicale implique l’action des trois « pôles » : auteur / interprète / auditeur… et qu’elle ne saurait se réduire à n’exister que par l’un d’entre eux.

J’ajoute que le terme « consommateur » connote une curieuse conception de la diffusion des œuvres musicales. Consommer en effet, c’est littéralement détruire, consumer, c’est-à-dire faire un usage des choses tel qu’on les rend inutilisables. Ecouter un disque ou de la musique téléchargée sur un disque dur, ce n’est pas, que je sache, les détruire ipso facto. Il est toujours possible d’écouter à nouveau et mieux (techniquement ou avec une plus grande attention) ce que l’on vient d’écouter. En revanche, il est vrai que participer à un concert pourrait être assimilé à un véritable processus de consommation en ce sens qu’au fur et à mesure qu’il se déroule, un concert disparaît à jamais, se consume… sauf à continuer à exister mentalement en chacun de ses participants. C’est dire l’enjeu d’un concert ! On comprend en quoi c’est toujours un moment unique et pourquoi écouter un morceau en concert n’a rien à voir avec l’écoute de ce même morceau par l’intermédiaire d’un enregistrement reproductible. Le plaisir du concert a toujours quelque chose à voir avec le sentiment de fragilité de l’instant présent, son caractère irréversible.