mercredi, avril 18, 2007

jeudi 19 avril

- 14h30. Ma mère sort du centre gériatrique de l’hôpital de Pau, après trois semaines de convalescence. Elle n’a pas retrouvé l’usage de ses jambes. L’arthrose a pétrifié sa main droite. Sa main gauche est tout juste capable de tenir un verre d’eau ou d’appuyer sur le bouton de l’alarme. Les ambulanciers l’emportent vers la maison de retraite Saint Joseph à Nay.
- 15h00. Ma mère arrive à la maison de retraite. Mon père est assis. Il l’attend. Il a l’air incrédule en la voyant. Il se précipite pour l’embrasser. Elle reste immobile, comme pétrifiée.
- 15h30. La maison de retraite est en réfection et les travaux ont bouleversé les chemins habituels. Après avoir tâtonné pour trouver le chemin de sa chambre, les ambulanciers installent ma mère dans un fauteuil roulant. Une infirmière vient l’accueillir et lui prodiguer des paroles apaisantes. En vain. Ma mère ne s’inquiète que d’une chose : comment se faire aider pour aller aux toilettes. Je pense : l’autonomie, c’est simple, c’est être capable de boire et de pisser tout seul.
- 17h00. J’ai fini d’installer les vêtements de ma mère dans son placard et ses affaires de toilette dans une petite armoire au-dessus de son lavabo. Mon père est assis, prostré, sur une chaise en skaï.
- 17h30. Je jette dans un sac poubelle l’emballage de la crème au chocolat que je viens de faire manger à ma mère, cuillerée après cuillerée. Je suis ému par sa manière d’ouvrir la bouche après chaque déglutition, comme pour une nouvelle becquée.
- 18h00. Mon père et moi, nous quittons le foyer de la maison de retraite. En me retournant une dernière fois pour dire au revoir à ma mère, je suis frappé par son teint de cire. Elle a les yeux mi-clos et je pense à un masque mortuaire. Mon père lui a dit son intention de venir la voir certains jours, après-midi, bien qu’il craigne un peu de se déplacer en voiture. Elle lui a dit qu’elle ne souhaitait pas le voir tout de suite.
- 18h05. Nous quittons le parking de la place du Marcadieu, au pied de la maison de retraite.

En traversant le foyer, en passant près d’une grande table ronde où une vingtaine de vieillards sont rassemblés, j’entends une dame dire : « je m’ennuie » et deux échos : « moi aussi ».

Dès que je suis arrivé à la maison, je me fais du thé, je fais réchauffer quatre crêpes achetées chez le pâtissier et, tout en écoutant « le bistrot des accordéons », qui peu à peu, d’écoute en écoute, me « change les idées » et m’insuffle un moral nouveau, je parcours en diagonale un livre du sociologue Rémi Hess, sociologue et valseur émérite :

- « La Valse, un romantisme révolutionnaire », Métailié, sciences humaines, 2003, 193 pages.

Ouvrage fort savant, qui se lit avec un intérêt constant, tant l’érudition et l’intelligence concourent au plaisir de la connaissance. Dans la dernière page, Rémi Hess cite un poème d’Aragon, dont je retiens quelques lignes :

Quelle valse inconnue entraînante et magique
M’emporte malgré moi comme une folle idée
Je sens fuir sous mes pieds cette époque tragique
Elsa quelle est cette musique
Ce n’est plus moi qui parle et mes pas sont guidés

Cette valse est un vin qui ressemble au Saumur
Cette valse est le vin que j’ai bu dans tes bras
Tes cheveux en sont l’or et mes vers s’en émurent
Valsons-là comme on saute un mur
Ton nom s’y murmure Elsa valse et valsera


En tout cas, tout en écrivant ces quelques lignes, et comme j’avais activé la fonction « répétition », j’ai écouté onze fois sans discontinuer « le bistrot des accordéons ». Bien loin de tomber dans la surdose, j’observe que je me porte bien. C’est comme si Privat, Lassagne, Viseur, Macias, Amestoy, Colin, Corti et quelqu'autre accordéoniste que je ne nommerai pas maintenant s’étaient mobilisés pour me rendre la vie aimable.