lundi, avril 16, 2007

lundi 16 avril

Début d’après-midi, un marché maous à l’hypermarché. Après le départ des « petits », les réfrigérateurs sonnent creux. Entre ce que nous avons consommé ensemble et les provisions qu’ils ont emportées « pour la route », c’est la pénurie qui règne dans les placards. A la sortie de ce marché donc, Françoise et moi, sans même avoir besoin de nous concerter, nous vidons les sacs dans le coffre de la voiture puis, le caddie remis à sa place, nous revenons à l’espace culturel voir s’il n’y aurait pas un petit quelque chose, un peu culturel, pour nous faire plaisir.

Françoise se fait une brassée de polars ; quant à moi, c’est en arrivant vers la fin de l’ordre alphabétique des disques de jazz que je vois ce que je cherchais : un disque tout récent de Dino Saluzzi.

- « Ojos Negros », Dino Saluzzi, bandonéon, Anja Lechner, violoncelle, ECM, 2007.

Je connaissais le nom d’Anja Lechner parce qu’elle a déjà joué avec Saluzzi sur « Kultrum » dans le cadre du Rosamunde Quartett. Le couple bandonéon / violoncelle semble presque « naturel ». Autant l’accordéon et le violoncelle, comme le notait Richard Galliano, semblent relever de deux univers culturels différents et socialement situés dans des positions quasi opposées : populaire vs classique, autant le bandonéon et le violoncelle semblent appartenir à la même famille.

Cet album de 57 :46 minutes est composé de huit titres. Sept de Saluzzi lui-même et curieusement, le cinquième, de Vicente Greco. Curieusement, car il s’agit du titre « Ojos Negros », qui donne son nom à l’album. Bien entendu, je compte me donner du temps pour écouter comme il convient ce dernier opus de Saluzzi, mais ce qui d’emblée me frappe, c’est une sorte de rigorisme et de minimalisme qui traversent toutes les pièces. Comme souvent, la couverture et le boitier sont eux-mêmes minimalistes. On est prévenu, c’est d’intériorité qu’il s’agit. Exclusivement.

Le ton est donné par la première de ces pièces : « Tango a mi padre ». Le jeu est retenu, presque contraint, sans emphase, ni envolées lyriques. On est dans le registre de la gravité. On pense à quelque chose de janséniste. Ce n’est ni une plainte, ni une prière, mais une méditation, avec parfois des accents religieux. Je ne sais pourquoi me vient à l’esprit le terme de « Pensées », au sens pascalien. Méditation non pas sur la mort, ni tragique, mais méditation autour de la mort, du vide, de l’absence, de la trace laissée par les choses et les êtres périssables. Méditation qui ne se développe pas en discours à proprement parler, mais qui se donne sous formes de fragments, d’où la référence aux « Pensées » de Pascal. Autant le discours convient pour une pensée sûre d’elle-même, autant les fragments conviennent pour une pensée qui doute, qui se reprend, qui s’affine, qui se bat, au corps à corps, pour donner sens au temps qui nous constitue et qui nous échappe à la fois. Bien entendu, j’ai conscience que les lignes ci-dessus sont une projection de mes pensées actuelles, peut-être sont-elles loin des intentions de Saluzzi. Peu importe, car la seule chose qui compte, en l’occurrence, c’est que l’écho que j’ai perçu entre mes états d’âme et sa musique est source d’un plaisir précieux. Ce que je retiens, d'autre part, c'est la capacité de l'oeuvre que j'écoute actuellement à susciter de telles projections et à leur donner forme sensible, capacité qui, à mon sens, signe sa qualité artistique. En même temps, on voit bien que le plaisir esthétique résulte d'une co-production entre un auteur, des interprètes et les intentions de ceux qui les écoutent.