jeudi, mai 31, 2007

jeudi 31 mai

Je voudrais aujourd’hui garder traces d’un échange que nous avons eu, Sylvie Jamet et moi-même, à partir d’un commentaire qu’elle avait ajouté à ma page blog en date du 29 mai. J’ai trouvé en effet ce commentaire tellement intéressant et j’ai trouvé un tel plaisir à en découvrir le contenu que j’ai eu envie de le prolonger avec les réflexions qu’il me suggérait. Notre échange a continué et nous a permis d’approfondir un peu plus nos pensées, mais je m’en tiendrai ici simplement au commentaire de Sylvie et à mon commentaire en retour, car cela nous a déjà permis de réfléchir à ce que c’est qu’écouter un disque, aux attitudes que l’on adopte spontanément, aux conditions du plaisir que l’on peut éprouver en cette occasion, et du coup au processus par lequel on apprend à mieux connaître et apprécier la musique et par lequel finalement on se donne une culture musicale, spécialement dans le domaine de l’accordéon.

Je me contente ici de citer notre échange, quasiment « brut de décoffrage », sans en retravailler les éléments ni la mise en forme afin de garder intacte la spontanéité de nos textes. Il ne s’agissait pas en effet de théoriser, mais simplement de mettre nos pensées en commun pour mieux comprendre l’origine, les conditions et le sens du plaisir que nous éprouvons à écouter de l’accordéon. Un échange sur le vif pour mieux se comprendre soi-même. Une manière de s’accompagner réciproquement pour faire son chemin. Notons au passage : accompagner est un composé sur compagnon, celui avec qui on partage son pain, donc son casse-croûte… au bistrot des accordéons, évidemment.

Extraits du commentaire de Sylvie Jamet.

… c'est étrange car ton article met justement des mots sur une situation étrange que je perçois depuis que je me suis acheté il y a 2 ou 3 semaines le CD "Vague à Lames" de Jean-Marc Fabiano, que j'écoute en boucle depuis.Très étrange situation : J'arrive chez Harmonia mundi, la vendeuse, exceptionnelle, qui connaît tout de Bach, de Mozart ou de l'accordéon me montre ce CD d'accordéon que je n'ai pas encore. Je craque : il faut dire que je connais déjà Jean-Marc Fabiano pour avoir entendu son accordéon sur un CD de piccolo de Jean-Louis Beaumadier, dans l'unique titre de ce CD comportant l'accordéon, un étonnant trio de Jean-Marc Fabiano avec les deux piccolos Jean-Louis Beaumadier et Patrick Gallois : "Les Pierrots Babillards" de Henri Gagnaire. Superbe, style musique des kiosque à musique. C'est gai, vif, rafraîchissant. Je l'avais diffusé lors d'une émission de radio l'an dernier (voir l'article :http://sylviejamet.over-blog.com/article-4004802.html ).Bref je sors du magasin avec le CD, je commence à le déballer dans la rue déjà, dans le tram je me précipite dans la lecture du livret qui accompagne le CD, je dévore l'interview de Jean-Marc Fabiano par Jean-Pierre Moreau qui figure dans ce livret. Jean-Marc Fabiano y parle de passion pour la mer, de vague à l’âme, de l’envie de mettre ce vague à l’âme et sa passion de la musique dans ce CD, de faire côtoyer des styles les plus divers. Il parle de pédagogie et de gestuelle aussi. De bout en bout de l’interview, j’adore son discours. C’est tout ce que j’aime trouver chez un accordéoniste. J’arrive chez moi, je mets le CD dans le lecteur et j’attends, avec, comme tu l'expliques si bien dans ton article, mes attentes propres à ma culture personnelle concernant la musique et l’accordéon. Et chose curieuse : Il me semble être « déçue », ce que j’entends ne me « satisfait » pas, mais c’est tout-à-fait étrange : je ne sais m’expliquer pourquoi. C’est comme si ce que j’entends n’était pas le disque promis par la pochette (je veux dire promis au sens de « attendu par mes propres attentes compte tenu de ma culture » : c’est étrange car d’ailleurs je connais certains des titres, des musiques de Bach, de Franck Angélis, exceptionnel compositeur pour accordéon classique, …, tous dans des styles que j'apprécie énormément), et pourtant ça m’intrigue car le sentiment de bonheur à la lecture de l’interview ne s’efface pas et le sentiment d’avoir ainsi découvert un accordéoniste qui compte dans le monde de l’acccordéon non plus ne s’en va pas malgré mon apparente inaptitude à rentrer dans son interprétation…Là où tout ça est très étrange, c’est la suite de cette découverte : Mes interrogations s’en sont allées car une semaine plus tard j'ai réalisé que finalement depuis une semaine le CD tournait quasi en boucle chez moi : certes j’avais bien parfois écouté quelque CD de sonates de piano de Mozart, mais immanquablement j’avais replacé le CD de Jean-Marc Fabiano dans le lecteur, par une incroyable attirance vers ce monde de vague à l’âme que dépeint si parfaitement, si naturellement le son CD « Vague à Lames ». C'est comme si j'étais prise par une lame de fond, irrémédiable, une belle lame de fond.Ça fait 3 semaines que le CD tourne en boucle, et je ne sais toujours pourquoi j’ai eu au départ cette difficulté à rentrer dans ce monde-là. Peut-être que je n'étais pas prête à cette émotion-là à ce moment-là. Ce CD est Magnifique.Je me dis que c’est la diversité de styles juxtaposés qui crée la perception du vague à l’âme. Mais est-ce cela…Bien évidemment toute expérience musicale est personnelle et tout autre auditeur aura d’autres perceptions à l’écoute de ce CD.Mais immanquablement l’auditeur y trouvera du bonheur."Vague à Lames" de Jean-Marc Fabiano. Harmonia Mundi.

Extraits de mon commentaire au commentaire de Sylvie.

J'ai lu ton commentaire avec beaucoup d'intérêt et de plaisir, en particulier en suivant l'analyse que tu fais de ton cheminement pour entrer dans ce disque. J'ai été frappé notamment par ce que tu dis, à savoir que tu ne comprends pas pourquoi tu as eu du mal à entrer dans ce cd ; tu fais alors l'hypothèse que tu n'étais peut-être pas prête " à le recevoir" à ce moment-là. Je trouve là plus qu'un écho à mes propres interrogations. Il me semble en effet que le problème de l'écoute à un moment donné contient une sorte de contradiction : on ne saurait écouter une œuvre sans a priori ni attentes (c'est à partir de là que ce qu'on écoute correspond ou non à ce que l'on a anticipé), mais en même temps il faut se rendre disponible à ce qui peut surprendre, déranger, désorienter (car c'est à partir de là qu'on peut apprendre, c'est-à-dire reconnaitre et essayer de comprendre quelque chose de nouveau et à proprement parler d’inattendu). Il me semble que toute écoute est immédiatement référée à un cadre (nos a priori), qui se manifeste sous la forme d’attentes, mais qu'il faut justement être capable de mettre ce cadre en question.

Je pense ici à ce que Piaget, un épistémologue et psychologue suisse, écrivait sur le processus d'apprentissage, sans lequel il n’est pas d’adaptation possible à son environnement. Je résume au risque de le trahir un peu. Il me pardonnera. Pour lui, tout apprentissage procède à la fois d’un processus d'assimilation et d'un processus d'accommodation, qui sont indissociables. L'assimilation correspond au processus en acte quand ce que l'on découvre entre immédiatement dans des cadres psychologiques (il parle de schèmes) déjà en place. Ce qu'on apprend alors vient renforcer ce que l'on savait déjà. L'accommodation correspond au processus en acte quand ce que je découvre m'oblige à changer de cadre psychologique (à modifier mes schèmes) : pour intégrer ce qui se présente à moi comme nouveau, je suis obligé de faire un progrès intellectuel. Il applique cette distinction à la psychologie de l'apprentissage chez les enfants, mais cela, à mon sens, s'applique à notre problème :

- si ce que j'écoute, ici, maintenant, correspond à mes attentes... alors j'apprends en assimilant le nouveau à ce que je pensais déjà. Je renforce mes connaissances. Je renforce ma confiance en mon jugement. Je me sens dans un monde que je comprends, qui me devient de plus en plus familier et prévisible. Par exemple, je retrouve bien le son et le style de Galliano, je retrouve bien le son et le style d’Anzellotti ou de Klucevsek, je retrouve bien les Variations Goldberg, etc…
- si ce que j'écoute, ici, maintenant, ne correspond pas à mes attentes… alors je peux refuser de me mettre en question et rejeter ce qui me dérange. Je ne reconnais plus Galliano, ce ne sont plus « mes » Variations Goldberg, etc…On connaît tous des gens qui, en l’occurrence, peuvent estimer que c’est du n’importe quoi, que ça ne ressemble plus à rien. Mais je peux aussi décider et choisir de mettre en question mes attentes. J'apprends alors par accommodation : je m'accommode pour m'adapter. Concrètement, face à ce qui me prend au dépourvu, face à ce qui m’échappe, cela revient à se demander malgré tout ce que ça veut dire. Dans un premier temps, c'est déstabilisant et coûteux psychologiquement. Mais c'est la condition sine qua non d'un progrès.

C'est bien ce processus d'accommodation que tu décris si bien dans ton commentaire, en particulier quand tu fais état de ton inquiétude, comme un vague malaise. Et même un vague à l'âme... L'accommodation, c'est forcément anxiogène. C’est toujours un pari : on se met en question sans savoir ce que sera la réponse, ni même si l’on en trouvera une avant de se décourager. C'est pourquoi on rencontre tant de gens qui sont incapables de cet effort et qui s'en tiennent à la seule assimilation :"J'adore la nouveauté pourvu qu'elle ressemble à ce que j'ai déjà connu".

Je pense ici au comportement d’un copain, assez étranger aux choses musicales, intrigué et perplexe devant mon goût pour l’accordéon et encore plus devant mon enthousiasme, que j’essayais de lui communiquer ou du moins de lui expliquer, sans aller jusqu’à espérer lui faire comprendre. Comme je lui faisais écouter, entre autres morceaux, quelque chose du duo Baïkal et de Karin Küstner, il me dit, en toute simplicité : « Oui, mais ça, ce n’est pas le vrai accordéon, c’est plutôt du classique ». Comme je lui demandais de me dire ce qu’était pour lui « le vrai accordéon », je lui proposais d’écouter quelques autres cds. Eh bien, « le vrai accordéon », c’est Daniel Colin, Armand Lassagne, Jo Privat, certaines choses de Galliano ou de Mille, mais pas tout.

Je pense que nous aurons l’occasion de revenir sur ces premières réflexions, car la question de l’apprentissage à évidemment à voir avec la formation de l’écoute et la formation à la culture musicale. Et quand on y réfléchit on voit bien que cette formation esthétique met en jeu des attitudes éthiques. Il suffit de penser à la fermeture et au travail d’exclusion à l’œuvre dans l’anecdote ci-dessus, alors qu’a contrario parier sur l’accommodation et sur la recherche de plaisirs nouveaux est toujours une attitude d’ouverture morale. On le voit bien entre les lignes de la description et de l’analyse faites par Sylvie à propos de son rapport à « Vague à Lames ».

mardi, mai 29, 2007

mercredi 30 mai










Au cours du festival de Trentels, nous avions eu l’occasion de discuter avec René Sopa et de lui dire l’intérêt que nous portions à son travail. Il nous avait parlé d’un disque qu’il avait enregistré en 2006, « Hammondeon. L’été indien ». Nous le lui avions commandé. Il est arrivé ce matin par le courrier postal. Ces jours-ci, le facteur, c’est un peu le Père Noël…

Comme à chaque fois qu’un disque nous parvient par un envoi personnel, nous avons une émotion particulière à ouvrir l’enveloppe et à le découvrir. La présentation est de très bonne facture :

- « Hammondeon. L’été indien ». René Sopa, accordéon Fisitalia, Stefan Patry, orgue Hammond, François Morin, batterie, Jaco Largent, percussions. MuSt ReCorD / Djaz distribution, mai 2006. 49 :12.

La première impression est des plus agréables. Le son de l’orgue Hammond et celui de l’accordéon se combinent comme l’eau et le feu, le sucré et le salé, l’aquarelle et le dessin à la plume. La batterie et les percussions sont souvent très présentes, avec bonheur. Je pense en particulier à « L’été indien » ou à "Solitude"… D’emblée, plusieurs morceaux nous accrochent : « Raymonde 007 », « L’été indien », « For Astor », « Solitude », « Nuit parisienne », « Julie », « Toulouse ».

Bien entendu, le cd tourne en boucle… Je me dis, au fil des morceaux, qu’il y a bien un « son Sopa », immédiatement identifiable. Plutôt que d’essayer de le définir en tant que tel, je préfère le situer par rapport à d’autres « sons » qui me paraissent aussi caractéristiques et, sans souci d’exhaustivité, je pense à Mille, à Beier, à Berthoumieux, à Schlick, à Loeffler ou encore à… Jo Basile… sans compter Galliano.

J’aime beaucoup retrouver dans cet album des standards comme « L’été indien » ou « Toulouse » ; je suis content de retrouver aussi « Nuit parisienne ». Comme je suis en terrain connu, je suis entièrement disponible pour apprécier l’interprétation. D’autre part, « Julie », que je ne connaissais pas, à l’instar de « Lucie » dans d’autres disques, évoque pour moi des compositions de Galliano.

Ce ne sont que des impressions premières, mais d’ores et déjà je sais que j’aime l’autorité de René Sopa, sa manière d’imposer sa présence et je dirais la concision de son discours, j’aime aussi le ton de ce disque, faussement « facile », comme si ça coulait de source, mais aussi son humour (« Raymonde 007 »), ses échos de jazz des Caraïbes (« Calypsong ») ou de jazz tout court (« Toulouse ») et parfois ses airs de ballade.

En cet instant, j'écoute "For Astor"... titre 4 de l'album ; ça n'est jamais que la cinquième fois !

Je sais déjà qu’en raison de la présence de l’orgue Hammond, "Hammondeon" va figurer dans ma discothèque près du « Face to face », d’Eddy Louiss et Richard Galliano, et du « Djangovision » de Romane.






lundi, mai 28, 2007

mardi 29 mai

Dans le premier paragraphe de la page d’hier, j’écrivais que je m’efforçais en général de ne pas trop me renseigner sur les disques avant de les découvrir en les écoutant. J’ajoutais : «Il n’en reste pas moins qu’avant toute écoute, j’ai bien conscience d’avoir des a priori » et un peu plus loin : «Un des problèmes, peut-être le problème majeur [de toute écoute], étant d’être capable de ne pas « plaquer » ce que l’on sait sur ce que l’on perçoit, alors même que toute perception présuppose un certain savoir préalable ou sinon un savoir au sens propre, du moins des hypothèses et des attentes ».

Cette question me parait en effet de la plus grande importance. C’est la question de savoir comment se forme un jugement de goût, un jugement esthétique, à l’écoute d’un morceau ou d’un album. Je crois qu’il serait naïf de croire qu’il s’agit simplement d’être réceptif au plan sensoriel. Quoi que l’on puisse croire, on est nécessairement sous l’influence des conditions qui nous ont conduits, ici et maintenant, à déposer tel disque dans notre lecteur. J’évoquais parmi ces conditions la critique lue dans une revue ou entendue à la radio ou à la télévision, avec évidemment le coefficient de confiance que je lui accorde, le conseil d’un ami, le hasard d’une rencontre plus ou moins fortuite sur un rayon dans un magasin de la grande distribution, et encore laquelle : Fnac, Leclerc… car ces deux réseaux, ce n’est pas la même chose, et c’est encore différent d’une boutique Harmonia Mundi. C’est encore autre chose si j’ai fait mon choix sur un site internet, et lequel, etc…

Bref, toute écoute est sinon déterminée du moins conditionnée par de multiples données situationnelles. Il est illusoire et il serait naïf de croire que l’on peut s’en affranchir en les ignorant. Du coup, pour être réceptif et se forger un jugement personnel, il faut être capable d’identifier et d’analyser tous ses a priori pour les neutraliser en les mettant à distance ou entre parenthèses. Et ça, c’est un sacré boulot ! La preuve, comme je l’évoquais en fin du premier paragraphe, c’est le nombre de jugements que l’on peut entendre à propos de disques ou à l’issue de concerts, qui sous l’apparence de jugements spontanés ne sont jamais que le discours d’un savoir « plaqué » sur des sensations, au point de les étouffer et de rendre leur expression impossible. Combien de gens qui croient traduire leurs sensations alors même qu’ils ne font que réciter ce qu’ils ont lu ou entendu dans les discours d’autrui ? Combien de gens qui croient apprécier personnellement ce qu’ils savent qu’ils doivent apprécier, par exemple pour paraître cultivés ? La sociologie de la culture a bien montré comment une grande partie du public de la musique classique, aujourd’hui, « apprécie » en priorité et tout naturellement « ce que l’on doit apprécier » d’après les critiques, les analystes ou les spécialistes qui font autorité en la matière.

Cette question me parait essentielle car elle ne pose rien moins que la question de la formation du jugement esthétique personnel, de son évolution, et à terme la question de la formation d’une culture personnelle… par exemple dans le domaine de l’accordéon.

dimanche, mai 27, 2007

lundi 28 mai

J’ai observé, lorsque je découvre un disque que j’écoute pour la première fois, que très souvent une impression immédiate me vient à l’esprit, qui fonctionne comme une sorte d’hypothèse de lecture. Cette impression ou cette hypothèse est en général très prégnante : je l’approfondis, je la vérifie, je la confirme ; rarement, je suis amené à en changer. Elle tient aux sensations provoquées par l’un des trois premiers morceaux ou parfois au style de la pochette ou encore à telle ou telle expression dans le texte de présentation ou encore à l’éditeur. C’est pourquoi d’ailleurs j’essaie de me renseigner le moins possible sur un album avant de l’écouter. Il n’en reste pas moins qu’avant toute écoute, j’ai bien conscience d’avoir des a priori. La manière dont j’ai eu connaissance des disques est, me semble-t-il, souvent déterminante : critique dans une revue spécialisée, reportage à la radio ou à la télévision, conseil donné par un ami, hasard des rencontres sur les rayons d’un grand distributeur, site internet d’un artiste, etc… Tout cela joue dans la « fabrication » de cette première approche.

J’ai observé aussi que si « j’oublie » un disque pendant un certain temps, lorsque je le redécouvre, cette hypothèse de lecture ou d’écoute a pu se modifier en fonction de ce que j’ai écouté entre temps ou de telles ou telles informations ou connaissances que j’ai pu acquérir. Parfois, je découvre ainsi des dimensions de tel ou tel album, que je ne soupçonnais pas. Tout le problème, en fait, est de se donner un axe d’écoute ou de le laisser advenir et, paradoxalement, de rester disponible pour en adopter d’autres. Un des problèmes, peut-être le problème majeur, étant d’être capable de ne pas « plaquer » ce que l’on sait sur ce que l’on perçoit, alors même que toute perception présuppose un certain savoir préalable ou sinon un savoir au sens propre, du moins des hypothèses et des attentes.

J’en reviens à mes notes d’hier sur « Appassionnata » et « Appassionnata II ». Tout porte à les concevoir comme un ensemble en deux volets : le titre, la numérotation, les photographies… et pourtant j’ai été d’emblée sensible à leurs différences ou du moins à celles que je percevais. Ce qui est commun aux deux disques, c’est l’instrument qui d’ailleurs donne son nom aux albums. C’est d’ailleurs bien parce qu’il y a cette identité commune aux deux que l’on peut trouver entre eux des différences. Mais, autant dans le premier disque je suis sensible au travail d’interprétation, au sens où un interprète me propose sa lecture d’une œuvre et ainsi m’introduit à sa compréhension, autant dans le second je suis sensible au travail sur l’interprétation, au sens où un interprète me propose de participer d’une certaine façon à son cheminement d’interprétation. La différence est sans doute subtile, mais dans le premier cas je dirais que ce qui est premier, c’est l’aspect objectif du travail de l’interprète, alors que c’est l’aspect subjectif qui est primordial dans le second cas. Comme pour renforcer cette interprétation de ma part, je note que le dernier titre de « Appassionata II » est signé Bruno Maurice lui-même. Le premier disque comportait dix titres d’auteurs divers. Le second en comporte onze. Un onzième dans celui-ci n’aurait été qu’un morceau de plus ajouté aux dix autres. Le onzième dans le second achève le travail d’assimilation effectué à partir des dix précédents. D’une certaine façon, il en est comme une synthèse en acte. C’est comme si Bruno Maurice me disait avec ce dernier titre, « Bleu » : « Au terme de ce parcours de formation (le mien, le vôtre) que je vous ai proposé, voilà qui je suis ! ».

A mon tour, au terme de ces quelques paragraphes, j’ai conscience qu’il est bien difficile de traduire une impression immédiate telle que celle que je viens d’essayer de transcrire. Mais c’est justement parce que les mots n’arrivent pas à expliquer cette expérience qu’il y a fort à parier qu’elle est vraie, au sens où elle touche à quelque vérité intime. Cette difficulté voire l’impossibilité de traduire l’écoute en discours me parait bien signifier qu’il s’agit d’une expérience vraiment esthétique.

samedi, mai 26, 2007

dimanche 27 mai




Hier, samedi, une des journées les plus pourries de l’année. Tout est humide. Le fond de l’air est moite et lourd. La végétation se déploie dans toutes les nuances de vert jusqu’à l’écœurement. Comme l’écrivait le poète, le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle.

Mais… à dix heures trente, le facteur me remet un courrier venu de Bordeaux : « Appassionata II » de Bruno Maurice. Du coup, peu me chaut la météo du jour. Comme pour « Appassionata », la facture est impeccable. De la belle ouvrage qui donne envie… d’en savoir plus, de lire les commentaires et surtout d’écouter.

Je ne sais si mon écoute est influencée par la présentation que Bruno Maurice donne de son disque, mais j’ai plus un sentiment de rupture que de continuité entre les deux albums, qui portent cependant le même titre.

Je cite : « J’ai tenté dans ce deuxième disque d’approcher au plus près mes convictions de l’expression du langage musical, celles que je livre plus naturellement en concert. J’ai réuni un assortiment d’œuvres originales et transcrites qui ont bercé mon enfance et m’ont amené à la passion de la musique et de l’accordéon ».

Un peu plus haut, Bruno Maurice parle de son « Appassionata » comme d’un instrument d’exception : « un chef-d’œuvre d’équilibre tant par les innovations acoustiques que mécaniques, il réagit à la moindre intention du musicien, offrant un potentiel d’expression jusque là insoupçonné ».

Est-ce l’influence de cette lecture préalable, mais j’ai été sensible en effet à la qualité de l’instrument. Tout au long des différentes pièces, on comprend immédiatement ce que Bruno Maurice désigne comme la réactivité de son accordéon. On le comprend parce qu’on le sent…

Mais d’autre part, je ne saurais dire pourquoi j’ai écouté ce disque comme un parcours introspectif et réflexif, une sorte de méditation sur les origines et les sources d’une passion, sur le sens d’une vie finalement. Cela m’a touché et du coup je trouve à ce disque une profondeur incomparable. Autre impression : de morceau en morceau, il s’agit moins d’un parcours linéaire, encore moins d’une trajectoire, mais plutôt d’un travail de reprise, sans cesse remis en chantier d’interprétation en interprétation. Je note à dessein ce terme d’interprétation, car c’est bien de cela qu’il s’agit : une réflexion très personnelle, que nous sommes conviés à partager, sur qu’est-ce qu’interpréter à l’accordéon ou composer une œuvre pour cet instrument.

Un disque qui m’a surpris, ce qui est toujours bon signe, qui m’étonne encore après quelques écoutes et qui me fascine, sans doute parce qu’au-delà du musicien, c’est bien à une personne que l’on a affaire.




vendredi, mai 25, 2007

samedi 26 mai




Hier matin, approvisionnement de bonne heure à l’hypermarché en prévision de la venue des « petits » pour le week-end. Au retour, alors que nous sommes encombrés de sacs, le facteur me remet une lettre-colis en souriant. Il commence à être habitué. Il sait que ce sont des disques d’accordéon. Lui-même, suivant ses propres paroles, aime beaucoup cet instrument. Je ne suis pas certain que nos goûts nous portent vers le même type d’instrument, mais justement la richesse de l’accordéon est dans son infinie variété. L’important, c’est le plaisir qu’on prend à l’écouter. En tout cas, il me tarde de savoir de quel cd il s’agit, car j’en ai trois en route : l’un de René Sopa, un autre de Jérémy Simon, le dernier enfin de Bruno Maurice.

Il s’agit de l’album «Apparition » de J. Simon et cela me fait vraiment plaisir car, des trois, c’est le seul que je ne connais pas encore.

Vite ! La galette sur son lecteur. Les sacs attendront pour être déchargés. Evidemment, comme chaque fois que le plaisir est immédiat, le disque est destiné à tourner en boucle toute la journée et en particulier au moment du déjeuner. D’emblée, il y a un son… A mon sens tout part de là ; cette première impression ne trompe pas. Les écoutes successives en approfondiront les nuances et les raisons, mais tout se joue sur cette évidence originelle.

Après plusieurs écoutes, sans faire un classement, j’observe que je suis touché prioritairement par « Asturias » d’Albeniz, « Toccata » de Derbenko, « Kalina Krasnaja » de Semjonov, mais aussi par « Oblivion » de Piazzolla et « Les flocons » de J. Simon, lui-même. « Oblivion » me désoriente au début. C’est une bonne chose. C’est l’indice qu’il y avait dans cette œuvre autre chose que ce que j’ai entendu jusqu’à aujourd’hui. D’écoute en écoute, j’entre de mieux en mieux dans cette interprétation et cela est déjà un grand plaisir. « Oblivion » a maintenant des dimensions que je ne soupçonnais pas. Mais il y a plus. L’œuvre qui finalement me surprend le plus, ce sont « Les flocons », c'est-à-dire une composition originale. C’est de bon augure !

Comme je ne suis pas capable de saisir la qualité de l’interprétation au plan technique, j’ai décidé d’essayer de saisir l’originalité de Jérémy Simon, que je perçois intuitivement, en le comparant à d’autres accordéonistes de concert dont des disques sont à portée de ma main, Karin Küstner, Jean-Marc Fabiano, David Farmer, le duo Baïkal, Jean Pacalet, Bruno Maurice et, chemin faisant, quelques autres… Cette méthode me convient en effet car elle oblige à multiplier les écoutes et insensiblement, par le jeu d’un jugement de plus en plus fin du type « ça ressemble à / c’est différent de », j’arrive à sentir quelque chose du musicien que je découvre.

Le temps de rassembler mon matériel et le jeu de va-et-vient est lancé.
Mais il me reste une dernière chose à faire, c'est de remercier Caroline Philippe de m'avoir fait connaitre ce premier disque de Jérémy Simon. Décidément, depuis qu'elle a pris en charge mon éducation à l'accordéon de concert, je fais de grands progrès... et surtout je découvre avec ravissement des territoires insoupçonnés jusqu'ici.





mercredi, mai 23, 2007

vendredi 25 mai

Alors que je regardais distraitement les informations régionales du soir sur FR3 – Midi Pyrénées, mon oreille, et même mes deux oreilles furent alertées par le son d’un accordéon : celui, immédiatement reconnaissable de Jean-Luc Amestoy. J’aime bien son style faussement décontracté et la manière dont il visite différents styles avec son accordéon à touches piano. Les images provenaient, me semble-t-il, d'un concert auquel nous avions assisté à Toulouse, à "La cave poèsie".

Le court reportage terminé, reportage annonçant ses concerts à Toulouse fin mai et à la Réunion, début juin, j’ai eu envie de visiter son site internet. Entre autres informations sur sa biographie et sa carrière, quatre morceaux : trois tirés de son album en trio, « Le Fil », plus « Besame Mucho ».

http://www.myspace.com/amestoytrio

A partir de là, j’ai pu remonter jusqu’à celui de Lionel Suarez, que j’apprécie également. On y trouve deux morceaux très différents qui valent la peine d’être écoutés attentivement. Le premier est significatif de sa collaboration avec André Minvielle. Le second a des accents plus expérimentaux. Dans les deux cas d'ailleurs il s'agit bien de tentatives expérimentales, même si elles sont très différentes. On sent chez Lionel Suarez ce désir intense d'explorer des voies nouvelles et de se confronter à des partenaires multiples. Je pense par exemple à son trio avec Amestoy et Dulieux, tous les trois "collègues", suivant l'expression d'Amestoy, à l'accordéon ; je devrais dire aux accordéons, tant ils sont différents.

http://profile.myspace.com/index.cfm?fuseaction=user.viewprofile&friendid=149171493

Sur la même page, on le retrouve en trio (Frédéric Monino Trio) dans un extrait vidéo de l’émission de France 2, « Les mots de minuit ». J’espère que Lionel Suarez va sortir d’ici peu un disque sous son nom, mais en aura-t-il le temps ? Son agenda parait si chargé…



En attendant, on peut écouter dix extraits (de 0:30 à 1:20) du disque de ce trio, "Frédéric Monino, Around Jaco" sur le site ci-dessous. Jaco Pastorius, bien sûr ! La prise de son est excellente et à plusieurs reprises on perçoit clairement le jeu et l'apport de L. Suarez.



http://frederic.monino.free.fr/jaco.htm

jeudi 24 mai - trentels - boeuf lacaille sopa






Du 20 mai ou, si l’on veut, de l’après-minuit du 19, je retiens trois photographies du « bœuf » Lacaille-Sopa. Je les aime bien malgré leur manque de qualité technique parce qu’elles représentent bien les postures de Lacaille au milieu des siens et de René Sopa, tendu et attentif au début, puis prenant progressivement sa place, une place de premier plan… pour mon plus grand plaisir.




jeudi 24 mai - trentels - trio psp - lacaille





















Du 19 mai, je retiens encore six images : trois du Trio PSP, trois de la tribu Lacaille. Si ce n’était pas ridicule, je dirais que le trio PSP, c’est la classe. Classique, sans ostentation. Hormis le pur plaisir musical, j’ai eu le sentiment d’avoir affaire à un trio de musiciens de grande culture. Non pas d’une culture abstraite, mais d’une culture en acte. Quant à René Lacaille, c’est un peu Rabelais au pays de l’accordéon. Un Rabelais né sous les tropiques… Je ne sais pas si l’on peut parler de malstrom à propos de tropiques, mais c’est bien d’un malstrom qu’il s’agit. Avec la complicité de la famille aux percussions et de son saxophoniste-flûtiste, un peu décalé et tout de clair vêtu.






jeudi 24 mai - trentels - sopa - motion trio






















Du 18 mai, je retiens six photographies qui me paraissent caractéristiques et significatives des postures et des attitudes d’une part de René Sopa et du quintet, d’autre part de Motion Trio. Je dois avouer que je suis encore fasciné par la façon dont ces trois dynamiteurs de génie occupent l’espace et créent un monde qui leur est propre, où ils feignent de nous conduire volontiers pour mieux nous désorienter.





jeudi 24 mai - trentels - küstner



Le moment est venu de refermer, même provisoirement, le livre d’images visuelles et sonores de Trentels. Ce n’est pas facile. Pour prolonger cette séparation, je feins de me poser beaucoup de questions sur le choix des photographies à sélectionner. En fait, je cherche à gagner du temps, mais je ne suis pas dupe. Chaque cliché est l’occasion de me remémorer des instants de plaisir ; c’est une façon de les prolonger. Bref, je m’impose un travail de bénédictin pour ne pas lâcher prise. Pour m’accompagner, le disque de René Sopa, « Bemsha, Swing-a-ning » m’accompagne et, comme par hasard, je lui trouve des accents nostalgiques.

Je pense aussi aux gens sympathiques que nous avons rencontrés et j’ai pour eux une pensée amicale : Anne-Marie Bonneilh et son mari, la petite sœur de Michel Macias, le webmaster du site de Trentels, Jacques F., René Sopa avec qui nous avons écouté le trio PSP et Lacaille en profitant de ses commentaires, avec qui nous avons parlé de ses disques « Nuits parisiennes », « Crazy Rythm » ou « Sandunga ». Je pense aussi aux bénévoles de l’entrée, du bar, à d’autres encore… et je fais des prières laïques pour les retrouver toutes ces figures sympathiques l’an prochain.

J’ai retenu d’abord deux images de Karin Küstner, le 17 mai: seule en répétition aux prises avec les échos des parois de l’église, seule en concert dialoguant avec ses partitions.


mardi, mai 22, 2007

mercredi 23 mai - trentels

Cinq images pour cristalliser « Trentels »…

- Karine Küstner en l’église de Ladignac. Solo. Elle joue la "suite anglaise en mi-mineur" (4 pièces) de J.-S. Bach. Son visage presque impassible est tourné vers sa droite. Ses yeux ne quittent pas un seul instant la partition. L'intensité de son regard me fascine.
- Comme Richard Galliano, René Sopa, vêtu de noir, joue de l’accordéon debout, au bord de la scène. Son visage est penché sur le soufflet déployé de son Borsini. Il interprète « Lucie ».
- Les Motion Trio, flegmatiques, fabriquent des sons inouïs pour nous raconter des histoires étranges et décalées. Le Père Ubu était roi de Pologne, je crois ! « L’Ecossaise » est un chef-d’œuvre d’humour et de culture.
- Contraste du Trio PSP : l’extrême économie de gestes des deux guitaristes vs le corps à corps de William Sabatier avec son bandonéon. Ils jouent « Silueta Portena » de Canaro.
- René Lacaille se démène, se multiplie, chante… et tout à coup, sans crier gare, il s’assoit pour nous donner sa version de « Indifférence ». Au début, surpris, je n’en crois pas mes oreilles. C’est magnifique ! Le clavier de son accordéon, sous le feu des projecteurs, est en flammes.

mercredi 23 mai

En écoutant « Appassionata » de Bruno Maurice, j’ai compris, comme jamais auparavant, même si je l’avais pressentie avec Galliano, la dialectique qui traduit les signes de la partition en sensations et en significations. Ce que j’appelle dialectique, c’est ce jeu d’interactions, en forme de dialogue, entre la lecture de l’interprète, sa maîtrise d’instrumentiste et son instrument, par lequel se réalise la traduction des signes en sens. Interactions entre de la culture, de l’habileté et de la mécanique. Ce qui me touche dans le « travail » de ce disque, ce n’est pas simplement l’addition d’une lecture savante plus une excellence technique plus la qualité d’un instrument d’exception, c’est bien la relation interactive qui relie ces trois composantes nécessaires à son existence. Qu’il s’agisse de disques ou de concert en général, il n’est en effet pas si fréquent que cette dialectique fonctionne. Combien d’interprètes qui n’ont pas les compétences de leurs intentions, combien d’instruments qui ne servent qu’une vaine virtuosité, combien de compositions qui ne trouvent pas un lecteur à la hauteur de leur qualité ? En d’autres termes, ce qui se passe ici et maintenant, en écoutant « Appassionata », c’est ce sentiment que Bruno Maurice appuie sa lecture des œuvres qu’il a choisies sur la conscience qu’il a de ses capacités et sur la confiance qu’il a en son instrument. Et réciproquement. Cette réciprocité me parait en effet fondamentale pour comprendre ce que j’éprouve, car c’est bien elle qui fait que chaque composante pousse les deux autres vers leur perfection. On est dans l’ordre du dépassement, non de la simple addition.

C’est pour saisir ce mouvement, cette dynamique, cette dialectique en acte que j’écoute en boucle la « Valse triste » de Sibelius, « Andalousia » de Granados, « Asturias » d’Albeniz… dans l’espoir de surprendre sur le vif quelque chose de l’ordre du mystère de la création artistique.

lundi, mai 21, 2007

mardi 22 mai
















Je fais une petite pause dans le compte-rendu de « Trentels », que j’ai entrepris. Cela me permettra en effet de sélectionner les photographies que je veux retenir parmi celles, nombreuses, que j’ai prises, car le choix n’est pas facile si l’on veut s’en tenir aux images significatives. D’autre part, ce temps me permettra d’assimiler et de mettre en perspective les impressions qui aujourd’hui me submergent. Je donne ainsi du temps au travail de décantation nécessaire pour ne conserver que l’élixir de Trentels 2007.

Ce matin, heureuse surprise, le facteur a déposé dans la boite à lettres un envoi de Bruno Maurice, qui contient « Appassionata ». Cette surprise se redouble d’une autre à savoir qu’il s’agit bien du premier album « Appassionata », alors que Bruno Maurice m’avait dit qu’il y avait rupture de stock sur celui-ci et que seul le numéro II était disponible. Après échange de courriel, j’apprends que c’est bien le dernier exemplaire disponible que je viens de recevoir. C’est sans doute puéril, mais cela me fait plaisir.

Bien entendu, il faudra que j’écoute ce disque encore et encore, mais d’ores et déjà quelques observations me viennent à l’esprit. Très exactement trois : d’abord, le sentiment qu’il s’agit d’une lecture originale et personnelle des œuvres interprétées, ensuite, le sentiment que la maîtrise technique permet à cette lecture de s’exprimer dans toutes ses nuances et dans son entière complexité, enfin, cette évidence qu’il s’agit d’un instrument d’exception, tout à fait adéquat pour traduire cette lecture et pour manifester les capacités techniques de Bruno Maurice. En écoutant les différentes pièces de l’album, le jeu entre ces trois pôles : lecture / maîtrise / instrument s’impose à moi comme l’origine même du très grand plaisir que j’éprouve. Je dois avouer que je suis particulièrement touché par la « Valse triste » de Sibelius, la « Vieille valse » d’Alexandre Grabilin et par « Andalousia » de Granados.

Comme j’ai déjà pris connaissance du disque de Bemsha, « Swing-a-ning », je ne sélectionne que les morceaux de Thelonious Monk et de John Coltrane : « In Walked Bud », « Friday 13th » pour Monk, « Giant Steps », « Impressions » pour Coltrane. J’y ajoute « Lucy » et « Sol de Algarve » de René Sopa… Mon impression première se vérifie : ce quintet et René Sopa en particulier me font apprécier Monk et Coltrane comme jamais auparavant. Il se passe quelque chose de mélodique que je n’avais pas perçu chez ces deux compositeurs. Quant à « Lucy » et « Sol de Algarve », c’est du Sopa, et ça me plait. Si je reprends mes remarques ci-dessus sur la correspondance entre lecture / maîtrise / instrument, j’ai l’intuition que René Sopa possède toutes les qualités techniques pour traduire ses intention, qu’il a l’instrument approprié, mais qu’il pourrait aller plus loin dans sa lecture personnelle, disons dans sa traduction des grandes compositions de jazz. Je ne saurais dire d’où me vient cette intuition, mais j’ai la conviction d’un potentiel qui d’ici peu prendra forme de très grandes interprétations.

Quant au disque de René Lacaille, ça va devenir une rareté, car il ne reste plus beaucoup d’exemplaires disponibles. Qu’en dire ? C’est de la musique des îles. C’est agréable à écouter. René Lacaille y joue de l’accordéon, des percussions, de la guitare et de la voix. Je trouve d’ailleurs qu’avec l’âge celle-ci s’est bonifiée, comme le bon vin. On a l’impression, alors même que le temps est pourri et que l’humidité est partout, qu’on est face à un océan bordé de sable planté de palmiers, et que le vent sucré lui-même hésite à se déplacer pour s’épargner tout effort superflu. René Lacaille y joue peu de l’accordéon et cela me confirme dans l’idée que ce n’est pas forcément son instrument de prédilection. Certains le comparent à Gizavo. En l’occurrence, il me semble que ce dernier est plus accordéoniste, ce qui n’enlève rien aux qualités de multi-instrumentiste de Lacaille qui n’a pas son pareil pour « mettre le feu »…




dimanche, mai 20, 2007

lundi 21 mai - trentels

- Karine Küstner a fait photocopier son programme pour le distribuer avant son concert. Respect du public. La musique qu’elle interprète est d’abord écrite. La forme de ce qu’elle joue précède la réalisation. Pour les œuvres de Bach, elle regarde les partitions. Elle respecte scrupuleusement son programme, l’horaire annoncé et le timing prévu. Malgré son physique et son teint pâle, elle correspond au stéréotype du musicien allemand, rigueur et professionnalisme. Le lendemain de son concert, elle se mêle aux auditeurs des concerts de René Sopa et de Motion Trio. Son programme est composé d’œuvres de Pecz, de Jean Sébastien Bach, de Hjungkyung Lim, de W. Semjonow pour la première partie et de S. Gubaidulina, Bach, F. Angélis et L. Pihljamaa pour la deuxième. On souhaite et l’on espère qu’un éditeur va lui permettre de sortir un disque pour fixer toutes les œuvres qui ne figuraient pas dans son premier disque et qu’elle a exécutées pour notre plus grand plaisir en cette église de Ladignac. Son physique juvénile ne nous trompe pas quant à sa détermination. Tout est réglé comme du papier à musique, si j’ose dire. Avec elle, l’accordéon est classique, même lorsqu’il est contemporain. La liberté de l’interprète, c’est sa maîtrise.
- René Sopa et le groupe Bemsha sont vêtus de noir. J’aime cette couleur et cette uniformité. Je les perçois comme une marque de respect du public et comme une affirmation d’unité. Alors même que souvent Thélonious Monk et John Coltrane sont un peu raides et arides à mon goût, ici j’adhère spontanément à ce que le quintet propose. Les morceaux d’inspiration sud-américaine me plaisent aussi et je retrouve avec plaisir des accents que Galliano n’aurait pas reniés : je pense à « Lucie ». Je trouve que les improvisations tombent justes. Il m’a semblé que René Sopa, au début, était tendu et anxieux, peu assuré de satisfaire le public. J’ai interprété ce comportement comme la manifestation d’une exigence et d’une recherche de perfection. Je pense que les réactions chaleureuses du public l’ont rassuré. Pour ma part, j’aimerais bien que des contrats l’attirent vers le sud-ouest.
- Motion Trio, c’est la maîtrise technique au service de l’humour qui souffle de l’est. De « Yellow Trabant » à « L’Ecossaise » et à « Game over », tout est parfait, y compris dans la distance critique. Ils semblent pouvoir tout se permettre, parce qu'ils peuvent tout réussir. Un vrai trio où chacun tient son rôle à la perfection et où l’ensemble fonctionne comme une mécanique de très haute précision. Leurs instruments, trois Pigini, sont impressionnants et les sons qu’ils en tirent ne le sont pas moins. Certains craignaient les plombiers polonais, il me semble que du côté de l’accordéon le vent d’est est lui aussi assez décoiffant… Je note que les trois musiciens sont vêtus de noir.
- Le trio PSP est lui aussi vêtu de noir. Décidément ce n’est pas l’effet du hasard ; c’est un signe. Signe sous lequel on pourrait placer ce festival : variété certes, mais d’abord rigueur professionnelle. Le fil rouge, c'est une tenue noire. Pas de place ici pour l’improvisation. On reste sans voix devant l’exercice au sens fort du terme. Les deux guitaristes, chacun dans son registre, sont d’une précision et d’une simplicité magistrales. William Sabatier dialogue avec son bandonéon. C’est vraiment du corps à corps. Son solo est magnifique.
- La bande à Lacaille ou Lacaille et sa famille, c’est autre chose. Ils ne sont pas vêtus de noir. Il est clair que ce serait incongru. Comme aurait dit le philosophe, en ce qui concerne ce que joue René Lacaille, l’existence précède l’essence. Au contraire de ce qui se passe chez Karin Küstner ou le trio PSP. Avec René Lacaille, c’est à la fin du morceau que l’on comprend son unité, que l’on saisit sa réalité, alors que chez ceux-ci la forme (écrite : les signes) précède l’existence concrète. J’avais déjà noté, lors d’un concert à Oloron, que René Lacaille me paraissait pouvoir être mieux défini comme multi-instrumentiste et comme chanteur que comme accordéoniste pur, si le mot a un sens. Son jeu de guitare est étonnant et l’on sent bien qu’il s’amuse à jongler avec différents instruments, y compris avec son appeau indien. Il en joue et en rejoue... René, re-nez. Comprenne qui pourra ! Il fait de la musique pour faire danser, ce qui n’est le cas ni de Karin Küstner, ni du trio PSP, ni de Motion Trio, ni même de René Sopa. En ce sens, il avait une place à part dans ce festival. A la fin, on ne peut lui résister. Il est arrivé à ses fins. On doit bouger. Mais l’accordéoniste est capable, s’il le veut, de faire des merveilles. Pour ma part, j’ai été bluffé par sa version de « Indifférence » et j’aimerais bien écouter ce qu’il est capable de faire avec quelques standards du même tonneau.
- Après minuit, René Sopa a rejoint la tribu Lacaille. On sentait bien sa tension et son attention extrême pour tenir sa place. Pour ma part, j’étais surtout attentif à son jeu, à ses improvisations, comme en attestent les photographies que j’ai prises à cette occasion. J’ai bien apprécié sa présence, sa prise de parole jazzy, si j’ose dire, en cette compagnie réunionnaise. J’ai l’intuition qu’il a une œuvre forte à nous proposer dans ce genre pour peu qu’un éditeur s’aperçoive de son talent…

dimanche 20 mai - trentels






Après minuit, nous sommes déjà le 20 mai… Le festival continue. René Lacaille a invité René Sopa à faire « un bœuf ». Les photographies ne peuvent restituer la convivialité de ce moment, mais elles en donnent cependant une idée assez juste. René Lacaille assis, entouré des siens, René Sopa au bord de la scène, à la fois attentif et inventif. Je ne sais pourquoi, mais à ce moment-là je pense qu’il va approfondir son inspiration jazzy et que son parcours vaudra vraiment la peine d’être suivi. Je me dis alors que ce serait bien (pour nous) que des engagements (par exemple à Jazz’Oloron) le conduisent vers le sud-ouest… et pourquoi pas, comme aurait dit Desnos.




samedi 19 mai - trentels






















Les trois premières photographies gardent trace d’un moment exceptionnel : la prestation du Trio PSP. On a l’impression que ces trois musiciens interprètent un tango (mais aussi des valses ou des milongas) dont ils ont enlevé, couche après couche, tout ce qui n’est pas l’essentiel, tout ce qui encombre cette musique de ce qui n’est pas l’essentiel de sa nature. William Sabatier se montre très calme et très pédagogue pour présenter les morceaux ; ensuite, quand il les joue, c’est le corps à corps avec son bandonéon. Que dire des deux guitaristes ? Je manque de mots… ou du moins je préfère ne pas essayer de traduire verbalement l’impression de finesse et de perfection qu’ils nous ont donnée.

René Sopa nous a rejoints et il nous dit son admiration pour le jeu des trois interprètes.

Le second concert est celui de René Lacaille. Hormis le saxophoniste – flûtiste, tous les membres de la formation sont « des Lacaille ». Du coup, on a l’impression de voir une sorte de patriarche truculent et bienveillant soucieux de transmettre vibrations sur vibrations aux personnes présentes. Pour ma part, je suis très sensible au grain de sa voix, profonde et sucrée. J’ai beaucoup aimé la version de la célèbre valse « Indifférence » qu’il nous a donnée sans crier gare.





vendredi 18 mai - trentels






















Sur le coup de 19 heures, René Sopa et le groupe Bemsha font les derniers réglages dans la salle des fêtes où il a fallu se replier étant donné les incertitudes du temps ou plus exactement la certitude d’un temps pourri. La seconde photographie fixe une attitude caractéristique de René Sopa en concert. La suivante nous rappelle sa complicité avec son clarinettiste.

Les trois dernières photographies rendent bien compte du dispositif Motion Trio. En les regardant, nous nous rappelons en souriant le formidable humour des trois polonais. Par exmple « Game over » ou « L’écossaise »…





jeudi 17 mai - trentels






























En cette fin d’après-midi du dimanche 20 mai, nous retrouvons la maison après quatre jours d’absence pour cause de festival, « Accordéons-nous » à Trentels. Durant toute la route du retour, presque quatre heures, y compris une pause repas au cœur des Landes, nous avons, Françoise et moi, partagés nos sentiments et nos émotions éprouvés au cours de ce festival, que nous apprécions au plus haut point. Nous avions l’intention de commencer notre compte-rendu par une sorte de synthèse, la plus concise possible, de nos sensations musicales et autres, mais finalement, après réflexion, nous avons adopté un autre parti. Nous garderons d’abord trace, au jour le jour, des faits que nous souhaitons retenir. Cela nous permettra de mettre de l’ordre dans les images visuelles et sonores qui pour l’instant nous submergent. Et, ensuite, du moins nous l’espérons, nous serons capables d’en tirer la synthèse de nos impressions ; celle-ci, comme je le disais plus haut, devra être concise car ce festival nous a paru en tous points remarquables et il ne s’agit pas de diluer ou de délayer, en tout cas d’atténuer par un excès de mots, la force affective de son impact. Plus tard encore nous essaierons de choisir quelques photos complémentaires pour prolonger le plaisir des instants intenses et heureux que nous venons de vivre.

En ouvrant nos bagages, nous trouvons donc nos billets (le pass des 5 concerts pour 38 euros !) et le programme du festival, la marque de la réservation de notre table (numéro 1 !) et deux cds de René Lacaille et de René Sopa, que nous avons achetés sur place.

Comme images, nous en gardons trois : Karin Küstner en répétition dans l’église de Ladignac sur le coup de 17 heures. Elle se bat avec les échos des voutes et cherche sa place en tâtonnant. Calme et déterminée. Autre image : le programme de son concert. Professionnelle. Dernière image : sous la lumière aveuglante des spots, Karine Küstner donne son concert. Bach, des compositeurs contemporains et, en rappel, « La petite valse » de Max Bonnay. Environ soixante personnes. Un moment rare.