dimanche, avril 30, 2006

dimanche 30 avril

En ce dernier jour d’avril, le fond de l’air est frais, mais le ciel, sans un seul nuage, est lumineux. L’éclat du bleu fait presque mal aux yeux. A l’horizon, les Pyrénées se dressent, massives et sombres, comme un muraille difficile à franchir. Nous hésitons à déjeuner sur la terrasse. Finalement, nous mangerons dans le séjour, toutes portes et fenêtres ouvertes. Nadja a tondu le gazon, dont l’odeur emplit la maison ; Sébastien a réparé la tondeuse dont le fil de démarrage avait été happé par les couteaux de l’engin… En quelques jours, les feuilles des charmes ont été multipliées par dix, leur surface s’est développée dans les mêmes proportions. Leur haie nous isole maintenant totalement du voisinage. Le prunier est énorme. Sa masse verte laisse à peine filtrer la lumière et la chaleur du soleil.

Pour accompagner le déjeuner familial, de l’apéro Tariquet au café de Costa-Rica, nous convenons de faire confiance à deux disques, pour lesquels nous avons une affection particulière :

- « Swing Accordion, le swing à bretelles », Iris Music, 2003.

Chaque disque comporte dix-sept titres : de Café au lait à Nostalgia Gitana et de Simplicité à Dynamic Fox ; de Murena à Richardet, en passant par Gus Viseur ou Jo Privat et de Carrara à De Hollander en passant par Viola ou Vetese Guérino… Il faudrait vraiment être cuirrassé ou avoir les oreilles en choux-fleurs pour résister au charme nostalgique de ces accordéons.

Charme de l’accordéon. Charmes du jardin. A proprement parler, nous pouvons dire que nous sommes sous les charmes.

Tout au plaisir de nous laisser envahir par cette succession de titres qui, jusque dans les années quatre-vingts, avaient sombré dans l’enfer de la ringardise, nous feuilletons distraitement le livret de présentation avant de nous y intéresser de près. Huit pages excellentes signées Gilles Tordjman. Le plaisir de la connaissance s’ajoute au plaisir de l’écoute. Un petit bonheur ne vient jamais seul. Encore une histoire de charme.

Bon, maintenant, il s’agit de remplir la machine à laver la vaisselle.

samedi, avril 29, 2006

samedi 29 avril

… retrouvé et écouté avec plaisir un disque frais et agréable comme un petit vin blanc sous la treille:

- « Yiddish Balkans », Buda Musique, 2004

Quatuor composé de Michèle Tauber, voix ; Misha Nisimov, accordéon ; Frédéric Fraisse, contrebasse ; Efim Zubritsky, violon.

Le disque comprend dix-sept titres, dont in fine une jolie version de la chanson de J.B. Clément : Le Temps des Cerises. Il alterne des morceaux chantés et d’autres, instrumentaux, les 4, 8, 12 et 16. Ce sont ces instrumentaux qui ont ma préférence, si bien que j’en ai fait, à mon usage personnel, un enregistrement que je passe en boucle.

- 04. Cecilitsa mia, instrumental bulgare
- 08. Hora Mishika, instrumental tzigane roumain
- 12. Far der Kale, instrumental traditionnel kletzmer
- 16. Kolo serbe, instrumental serbe.

Un parcours classique dans les Balkans. C’est sans surprise, ça réconcilie avec les stéréotypes de l'Europe centrale : une mosaïque. C’est sympathique.

jeudi, avril 27, 2006

vendredi 28 avril

Ce jour est à marquer d’une pierre blanche. Les « petits », dans leur trajet de Toulouse à Hossegor, font étape à Pau. Camille en profite pour faire un tour de quartier dans son landau de bébé. Délices de la régression, déjà. Charlotte s’est fait faire une tresse africaine par la coiffeuse. Délices de la mondialisation, déjà. Nadja, qui a une forte angine virale, est toujours aussi attentive à tous et à chacun, comme si de rien n’était. Sébastien a choisi les vins à son habitude, sans fausse note. Il se réjouit déjà à l’idée de finir la soirée avec l’une de ses bières favorites.

Pour le repas du soir, Françoise a fait des frites pour accompagner le rôti. Elle a un tour de main particulier pour en réussir la cuisson. Merci monsieur Guérard. Au dessert, gâteau de Pâques au chocolat avec des guarriguettes. Et là, surprise… pour mon anniversaire, les « petits » m’ont apporté un énorme paquet… très lourd !

Un accordéon d’étude.

Attendez, attendez… il faut savoir que je ne suis pas musicien, que je n’ai jamais touché un instrument de musique de ma vie. Je ne compte pas en effet ces trois années d’exercices de piano, entre sept et dix ans, chez une dame à forte poitrine dont le salon sentait le rance et l’encens. Une vague odeur de rancens ! Ma grand-mère maternelle m’accompagnait. Nous prenions le tramway, le jeudi après-midi, pour un long trajet sur les boulevards de Bordeaux. C’était le jour de « L’Intrépide », que je dévorais goulûment. Je me rappelle encore la lecture de bandes dessinées, rythmée par les cahots et les bruits de métal de la motrice. J’ai appris ainsi à lire en diagonale et en trois temps : vignette initiale, vignette finale, délices de savourer le récit et les bulles en connaissant la fin. Je préférais déjà les raffinements du suspense au coup d’éclat de la surprise, suivant la distinction d’Hitchcock. J’ai fait ainsi trois années pianistiques, parce qu’un jour j’avais rêvé de jouer de l’accordéon. Mais, comme l’avait dit la dame-piano à mes parents, il fallait que je fasse d’abord mes gammes. C’est ainsi qu’à partir de ma dixième année, l’entrée en sixième m’ayant délivré des affres du solfège, je me suis adonné aux arts graphiques : dessin, aquarelle, acrylique, collages, etc… aujourd’hui, un demi-siècle plus tard, je me retrouve avec un accordéon entre les mains.

L’accordéon sera obstiné ou ne sera pas. Ostinato accordion !

jeudi 27 avril

“ Guy Klucevsek, The Well-Tampered Accordion”, 2004

Couverture : du vert sombre strié par les lettres jaunes du titre. Un graphisme à la diable. En pages intérieures, les 27 titres - ce qui est beaucoup pour une durée de 57 :07- sont écrits en surimpression sur des photos évoquant l’Amérique : des immeubles, des rues avec des passants, des gardiens de vaches avec leurs lassos, une barmaid, un boxeur, une vahinée souriante. Images des Etats-Unis.

Ici encore l’origine de chaque titre est décrite scrupuleusement. Les collaborations sont situées géographiquement et historiquement. L’artiste n’a pas affaire à son seul génie. Il travaille pour et avec d’autres artistes. C’est une sorte d’artisan coopérateur dont le travail se manifeste par des créations artistiques. La machine à produire des plaisirs ne cache pas ses rouages et le plaisir n’est pas moins fort si l’on en connaît l’origine et quelques arcanes.

Quelques titres :

- Four Portraits
- Accordion Misdemeanors. Neuf pièces de 1 :18 à 0 :35. Ces pièces me font penser à ces œuvres de graphistes japonais dont la concentration méditative arrivée aux limites de la densité supportable explose en une ou deux traces d’une pureté définitive. Tout est dit d’un trait.

mercredi, avril 26, 2006

mercredi 26 avril

- “Guy Klucevsek, The Heart of the Andes”, W & W, 2002

Couverture gris souris. Panneau gris bordé en haut horizontalement d’une bande jaune orangée et à droite verticalement d’une bande vieux rose. Ces mêmes bandes se déplacent à l’intérieur du livret et font penser à une composition de Rothko ou à un panneau mural monumental, comme un défi aux tags et autres graffitis. La lecture de la présentation indique clairement comment Guy Klucevsek s’associe à d’autres arts pour faire son œuvre : théâtre, chorégraphie, vidéo art, performances, etc… Les conditions à l’origine de chaque titre sont données avec force détails. C’est une manière de prendre ses distances avec l’idéologie de l’inspiration, de l’artiste inspiré. L’artiste, selon Guy Klucevsek, est d’abord inspiré par des commandes. Ce sont elles qui déclenchent la créativité et non la créativité qui suscite les commandes. L’artiste et sa création sont situés dans un marché de l’art, dans un monde d’économie culturelle. Ils n’en sont pas esclaves, mais ils en dépendent. Réciproquement, les œuvres ainsi produites contribuent à produire les goûts du public.

Quelques titres :

- Dimitri Shostakovitch : from 24 Preludes and Fugues for Piano, op. 87
- The Heart of Andes [Suite]
- Variety (composition de Dave Douglas)

mardi 25 avril

La vie nous propose inévitablement des épreuves, i.e. des situations qui nous donnent l’occasion de mettre à l’épreuve notre manière de surmonter les crises et de savoir finalement qui l’on est vraiment. Parmi ces épreuves, il y a les échecs, la maladie, les accidents, la vieillesse, la mort. Dans ces moments critiques, une présence d’amour est cruciale, mais à un moindre degré la présence de la musique est un soutien, une consolation et la preuve de facto que la vie est encore pleine de plaisirs. Pour des raisons que je ne cherche pas à expliquer, certaines œuvres et certains interprètes m’apportent, dans ces circonstances, un réconfort et un apaisement particulier. Parmi ces œuvres ou ces interprètes, allez savoir pourquoi, j’ai une inclination particulière à l’écoute de Guy Klucevsek. Au programme d’hier, un disque dont Dave Douglas est le leader.

Au programme d’aujourd’hui, de demain et d’après-demain :

- « Guy Klucevsek & Alan Bern, Accordance », W & W, 2000
- “Guy Klucevsek, The Heart of the Andes”, W & W, 2002
- “ Guy Klucevsek, The Well-Tampered Accordion”, 2004

N’ayant pas de meilleur critère, je les prends dans l’ordre chronologique d’édition.

- « Guy Klucevsek & Alan Bern, Accordance », W & W, 2000

Couverture jaune vif. Le graphisme fait penser à des bâtons, des points, des chiffres et des lettres. Duo entre :

- Guy Klucevsek, accordion (Titano Piano Bayan) [left channel]
- Alan Bern, accordion (Guerini Classic), piano forte (Erard 1850), melodica [right channel]

Quelques titres :

- Mug Shots, composé de trois pièces qui figuraient déjà sur le disque de Dave Douglas. Wild Coffee est devenu Psychotria nervosa. A comparer aux interprétations précédentes.
- Angel Blue
- Astor Place
- Scarlatti Fever
- Hegel’s Fantasy

- Happy… Délicieux… Très dessins animés.

Ce qui me frappe le plus dans ce disque, c’est l’humour des deux accordéonistes. J’imagine des concertistes délirants, style pince-sans-rire. Costumes sombres de bonne coupe, mocassins vernis, chaussettes et chemises façon Mondrian, cravates à fleurs ou à pois.

lundi, avril 24, 2006

lundi 24 avril

… écouté « Dave Douglas, Charms of the night sky », Winter & Winter, 1998.

Disque en quatuor : trompette, accordéon, violon, basse acoustique. Guy Klucevsek joue de l’accordéon. Un disque W & W : un objet d’art encore plus qu’un simple cd de musique. Ambiance grise et bleutée. Une photographie de couverture et cinq photographies intérieures : extérieurs nuit.

- Charms of the Night Sky. Méditation nocturne. L’accordéon brosse le décor. La trompette me fait penser à Miles Davis.
- Bal masqué. Introduction fellinienne. La trompette et l’accordéon façon cinéma italien.
- Wild Coffee. Dialogue ente la trompette et l’accordéon. On pense à des fanfares en écoutant l’accordéon espiègle.
- The Girl with the Rose hips. La ligne claire de la trompette traverse l’obscurité soutenue par un accordéon qui bientôt prend son indépendance avant de dialoguer d’égal à égal avec la trompette.
- Poveri Fiori. La trompette de Douglas dans toute sa personnalité. Le violon et l’accordéon s’associent pour la soutenir ensemble. Tristesse d’Europe de l’Est.
- Twisted. L’accordéon mène la danse de manière réjouissante et soutient la trompette sans défauts ni faiblesse.

Bien sûr, c’est un disque signé Dave Douglas, mais avec le jeu de Klucevsek on comprend ce qu’accompagner veut dire. Sans compter de beaux moments où ce dernier prend sa liberté pour notre plus grand plaisir.

dimanche, avril 23, 2006

dimanche 23 avril

J’écrivais hier que l’écoute de Perrone et de Gizavo me suggérait l’idée que le bonheur n’est pas hors de portée.

Cette idée, qui m’est venue spontanément à l’esprit, je ne l’ai pas construite par un raisonnement, cette idée donc me suggère à son tour deux réflexions.

Parmi les accordéonistes que j’apprécie, il n’y en a que quelques uns que j’associe à cette idée de bonheur, les autres me donnent seulement des moments de plaisir, ce qui est déjà beaucoup. Mais entre les deux, plaisir et bonheur, il n’y a pas seulement une différence de degrés ; il y a une différence de nature. C’est ainsi que, sans vouloir être exhaustif, ni établir de palmarès, je classe dans la catégorie du bonheur, outre Perrone et Gizavo, des artistes comme Galliano, Daniel Colin, Gus Viseur, Jo Privat, Piazzolla et quelques autres… Bien entendu, il ne s’agit pas de l’ensemble de leur œuvre, composition ou interprétation, mais seulement de quelques titres. Quant à la catégorie du plaisir, j’y classe des artistes, que j’estime beaucoup, pour lesquels même j’ai de l’admiration, mais qui me donnent des sensations moins complètes, moins intenses, disons moins complexes. Le plus souvent le plaisir tient à une caractéristique de l’œuvre : inventivité, virtuosité, rigueur, surprise, richesse mélodique, etc… Je pense par exemple à Mosalini, à Motion Trio, à Artango, au Quatuor Caliente, à A. Lassagne, etc… Comme dans le premier cas, il s’agit toujours d’œuvres particulières.

La frontière entre ces deux classes est ténue, elle n’est ni étanche, ni définitive. Elle tient à un je-ne-sais-quoi irréductible à toute explicitation discursive. Il s’impose par son évidence, c’est tout ! Mais ce je-ne-sais-quoi est un critère indubitable, précisément parce qu’il ne relève pas d’une argumentation.

Autre réflexion : cette expérience du bonheur, que je fais par l’intermédiaire de certains accordéonistes, est évidemment toujours d’une durée limitée. En général, la durée d’un morceau comme une météorite incandescente dans un ciel d’été. C’est chaque fois l’expérience d’un moment rare, intense et fragile. Ce sentiment de fragilité est, me semble-t-il, inhérent à l’expérience du bonheur : ça ne tient qu’à un fil. J’ajoute que cette fragilité, inhérente à l’œuvre que j’écoute en tant que telle, est liée aussi aux conditions de l’écoute. Le contexte est essentiel. La sonnerie d’un téléphone, le bruit d’une tondeuse à gazon, le passage d’une voiture dans la rue peuvent suffire à briser net la bulle. Plus tard, je pourrai me rappeler ces moments ou les oublier. Peu importe finalement, même si le souvenirs de moments de bonheur est lui-même un moment heureux. L’essentiel, c’est d’avoir fait l’expérience de moments de bonheur, expérience que rien jamais ne pourra annuler. En ce sens, par l’intermédiaire de ces accordéonistes du bonheur, j’ai conscience de faire une expérience de l’éternité. Ce qui a été vécu comme un moment de bonheur, ici et maintenant, est inscrit dans mon existence ad vitam aeternam… On comprend dès lors la passion qui me pousse chaque jour à écouter des accordéonistes, comme ceux que j’ai cités, ne relève pas d’un désir anodin. L’accordéon sera éternel ou ne sera pas !
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jeudi, avril 20, 2006

samedi 22 avril

De jour en jour, les fleurs des lilas sont de plus en plus violettes et de plus en plus sombres tandis que les fleurs des glycines sont de plus en plus mauves et de plus en plus pâles. Les jeunes feuilles des glycines adoucissent la luminosité des fleurs. L’olivier est en pleine forme. Sous son son pied tutélaire, le cerfeuil, la ciboulette, l’estragon, le persil, le thym, le romarin, l’origan et le basilic poussent ensemble en bonne intelligence.

Les camélias sont des arbustes d’une générosité vraiment touchante. Ils ont donné toutes leurs fleurs à profusion. Autour d’eux, le sol est rouge et rose. Maintenant qu’ils sont dépouillés, ils semblent épuisés. Au même moment, le jardin de curé de Françoise est en train d’exploser. Des fusées de couleurs diverses éclatent ici et là dans une sorte de joyeux désordre. En réalité, cette anarchie résulte d’un très savant dosage entre des plantations mûrement réfléchies et le hasard des intempéries. Je ne veux pas faire un inventaire exhaustif. Je me contente de relever les plantes que je reconnais… Des azalées rouges et roses, qui sont en train d’éclore. L’azalée blanche est déjà épanouie, mais on voit bien que cette année elle n’aura pas la splendeur promise aux autres. Le rhododendron précoce rose manifeste sa présence encore discrètement, mais bientôt il va éclabousser les plantes alentour de sa vigueur. Toute une petite bande d’hortensias commence à faire sa place. Pour l’instant, c’est une masse verte, un peu acide, plutôt indifférenciée. Ces taches de couleurs, ici, là, là encore… ce sont des tulipes. J’allais oublier les soucis, les pensées, les géraniums d’été et, plus loin, les pivoines que l’on devine. Tout ce monde coexiste de manière plus ou moins pacifique, chacun voulant se faire sa place au soleil. C’est un véritable brouhaha de couleurs.

Sans être petit, ce jardin n’est pas grand, mais tel quel il suffit pour donner une idée de ce que signifient les mots de luxuriance et d’exubérance. Je pense évidemment à l’accordéon de Gizavo.

- « Régis Gizavo, Samy Olombelo », Harmonia Mundi, Label bleu / Indigo, 2000.

Outre quelques autres musiciens invités sur tel ou tel titre, il faut signaler la présence constante de David Mirandon, batterie et percussions, et de François Soria, basse.

Il y a une analogie évidente entre l’abondance de couleurs et de formes, qui saute aux yeux, dans le jardin de curé de Françoise et l’abondance sonore, qui saute aux oreilles, dans les morceaux du disque de Gizavo. Les couleurs et les sons se répondent.

… mais d’écoute en écoute, d’autres impressions apparaissent. Il suffit de les laisser surgir.

- une fraternité, sur certains titres, avec l’accordéon de René Lacaille
- un cousinage, sur certains autres, avec des sonorités d’Afrique du Sud
- la complexité du jeu de Gizavo sur certains morceaux comme Ho Anareo ou Tampolo
- Un duo vocal étrange et fascinant sur Kemba. Pour en savoir un peu plus j’ouvre le livret. Je lis : « auteur : J.-F. Bernardini, Régis Gizavo ; compositeur : Gizavo ; chant : J.-F. Bernardini, Gizavo ; accordéon : Gizavo ». On reconnaît ici la coopération avec le groupe I Muvrini. Rencontre de l’Afrique de l’Océan Indien et de la Corse méditerranéenne : superbe ! le titre passe en boucle.

Mais cette recherche d’information m’a conduit à explorer plus à fond le livret. Très bien fait : une page par titre pour donner le thème et les paroles. On est loin d’une musique superficielle : la connaissance ainsi acquise donne de la profondeur à l’écoute musicale. Parfois même, cette connaissance oriente l’attention de l’écoute, qui devient plus complexe. Au bénéfice évidemment d’un plaisir augmenté.

J’ajoute qu’il y a, au milieu de ce livret, une photographie pleine page de Gizavo, hilare, tenant son chromatique déplié verticalement. J’ai plaisir à la rapprocher de celle de Perrone, page 15 du numéro 51 (mars 2006) d’ « Accordéon & accordéonistes ». Même posture amusée chez les deux : toutes dents déployées, les cheveux crépus et les yeux mi-clos de malice chez l’un, la moustache en balai-brosse, les cheveux frisottants et les yeux pétillants d’humour chez l’autre. Deux manières de dire que le bonheur n’est pas hors de portée…

vendredi 21 avril

Longue journée laborieuse à Tarbes. Une équipe de cinq personnes, dont Françoise et moi. De 9 heures à 18h30, travail d’écriture collective d’un ouvrage destiné aux enseignants de l’école maternelle. Le projet, auquel nous participons depuis la rentrée scolaire, nous passionne. Plusieurs pauses café, une pause déjeuner réduite à la portion congrue. Il ne fait pas chaud. A 17h30, l'ordinateur "plante", il est chaud comme une bouillote. Il accepte de redémarrer presqu'aussitôt. Toute la journée, nous pensons que nous ne sommes pas loin de la boutique « Harmonia Mundi », ce qui nous laisse une opportunité d’y faire un détour avant notre retour sur Pau. Nous aurions été frustrés de ne pouvoir y faire une petite exploration.

Un peu après 18 h 30, en quittant le lieu de notre réunion, nous avons la surprise de constater que la température est beaucoup plus douce que nous ne le pensions et en tout cas qu’à notre arrivée ce matin. Le responsable du magasin prépare son inventaire : des boites de disques partout, des rayonnages plus ou moins vides. On a de la chance. La boutique sera fermée demain. Pour le coup, on part à la pêche…

Il nous rappelle l’existence d’un festival de tango, en août, à Tarbes. Sa boutique est associée à la communication autour de cet événement.

En fouillant du côté de l’Afrique et de l’Océan Indien, je tombe sur un disque de Gizavo :

- « Régis Gizavo, Samy Olombelo », Harmonia Mundi, Label bleu / Indigo, 2000.

Je pense m’en tenir là, lorsque le responsable de la boutique me montre un disque d’un libanais, Marwan Abado, sur lequel joue un accordéoniste, Otto Lechner. Celui-ci n’est présent que sur quelques plages… Essayons tout de même.

- « Marwan Abado, Kabila », Harmonia Mundi, Iris Music, 2005.

Premières impressions des premières écoutes...

Le disque de Régis Gizavo me ravit. Je suis immédiatement sensible à son jeu que j’associe à la puissance des rythmes africains et à la profondeur des pulsations primordiales. De morceau en morceau, c’est une espèce de torrent bienveillant qui emporte tout dans ses tourbillons. J’apprécie également le fait que Gizavo chante : on sent que c’est une seule et même personne qui joue de l’accordéon et de la voix. Il en résulte une symbiose unique. Je suis incapable de m’attacher plus particulièrement à tel ou tel titre. Je me laisse emporter sur des vagues successives. J’y reviendrai pour mieux différencier ces impressions agréables mais encore globales.

Le disque de Marwan Abado, c’est autre chose. La formation comprend Abado : oud et voix, Peter Rosmanith : percussions, Joanna Lewis : violon et Otto Lechner : accordéon à touches piano. L’accordéon est présent, mais avec discrétion. Sur deux titres cependant, sa présence est émouvante tant l’accord avec l’oud et la voix est parfaite. Deux titres sur dix, c’est peu, mais pour ces deux titres, je suis content de pouvoir écouter ce disque. Ces deux titres sont Kaan ya ma kaan (5 :20) et Wadah (6 :40). Otto Lechner porte ce dernier morceau ; l’oud, la voix, le violon et les percussions l’accompagnent. Méditerranée orientale, authenticité et modernité sont les trois mots que j’associe à ce titre.

mardi, avril 18, 2006

jeudi 20 avril

En reprenant la liste des disques « difficiles », que j’avais établie le 17, je me rends compte que mon jugement et ma mémoire sont moins assurés que je ne le pensais. C’est ainsi que les « 3 compositions de John Cage » interprétées par Anzellotti m’avaient laissé le souvenir d’une œuvre aride, géométrique et froide. De même, le disque joué par David Farmer, « Sofia Gubaidulina, De Profundis » m’avait laissé des impressions de masses sonores sombres qui m’avaient peu touché. Mais, à la réflexion, je me rappelle que sur le moment mon jugement et mes sensations avaient été plus partagés. Hésitation entre la froideur ou la rigueur géométrique ; hésitation entre le minimalisme ou la précision chirurgicale d’Anzellotti. Hésitation entre la pesanteur ou la profondeur du De Profundis ; hésitation entre l’ennui ou la force méditative du Et exspecto. Parfois, il n’est pas évident de savoir si l’on aime ou si l’on n’aime pas. J’ai tendance à penser que ces moments dubitatifs sont de bons indicateurs d’apprentissage. Ce doute esthétique me semble signifier en effet que l’on est dérangé dans ses habitudes et que l’on accepte ce dérangement porteur de plaisirs nouveaux. Il signifie aussi que l’on ne s’en tient pas à une sensation immédiate, mais que l’on commence à se forger un jugement et à se doter de nouvelles capacités sensibles. C’est en forgeant que l’on devient forgeron. C’est en doutant que l’on augmente ses capacités esthétiques. Mais douter, ce n’est pas spontané, c’est une affaire de volonté.

Finalement, aujourd’hui, malgré tous mes efforts volontaires, je dois constater que j’ai beaucoup de mal à apprécier le jeu de David Farmer. D’écoute en écoute, l’attention au travail technique, à la maîtrise de l’accordéon l’emporte sur l’émotion. Je suis de plus en plus sensible à l’exercice de style et à la virtuosité… Il est 11h30, il est temps de passer à autre chose…

Pour remettre mes oreilles dans le bon sens, je me tourne vers l’un de mes amers d’élection :

- « Passion Gitane, Daniel Colin »… swing-musette et jazz manouche !

L’accordéon SM + JM, un mélange tendre et tonique.

lundi, avril 17, 2006

mercredi 19 avril

A plusieurs reprises, je me suis interrogé sur le rapport entre l’accordéon et la culture, l’accordéon et les cultures, populaire versus savante, de masse versus élitiste, légitime versus non légitimée, etc… C’est en quelque sorte, suivant le jargon à la mode, un thème récurrent de ce blog. Tout porte à croire d’ailleurs que cette dichotomie est trop grossière pour rendre compte de la complexité des goûts pour l’accordéon ; tout porte à croire donc que ce problème doit être posé de manière plus complexe si l’on veut avoir quelque chance de le résoudre.

Connaissant mon intérêt pour cette problématique, Françoise vient de me monter un texte qui me semble de nature à faire avancer ma réflexion. Ce texte est extrait d’un ouvrage dirigé par Christian Baudelot :

- Baudelot Christian, Cartier Marie, Detrez Christine, Et pourtant ils lisent… Seuil, L’épreuve des faits, mars 1999.

Page 166, je lis ceci : « Cette distinction entre lecture ordinaire et lecture savante ne vise pas à opposer des modèles de lecture en les référant à des catégories d’écrits ou des classes d’individus. La distinction entre « lecture ordinaire » et « lecture savante » ne sert ni à décrire les lectures ni à classer les lecteurs, mais à comprendre comment s’articulent ou s’opposent des manières de lire en train de se construire ».

Ce texte est très éclairant quant à la fausse opposition traditionnelle entre deux formes ou deux modes de lecture. Le rapport à la lecture n’est pas déterminé par la nature des œuvres, il n’est pas déterminé non plus par les positions sociales des lecteurs, ni plus généralement par leurs classes d’appartenance ; il se construit en fonction de la signification que le lecteur attribue à sa pratique de lecture. Transposons ce texte dans le monde de l’accordéon…

« La distinction entre accordéon ordinaire ou populaire et accordéon savant ou élitiste ne vise pas à opposer des modèles de pratiques de l’accordéon en les référant à des catégories d’œuvres ou à des classes d’individus. La distinction entre « accordéon populaire » et « accordéon savant » ne sert ni à décrire des catégories d’œuvres ni à classer des amateurs d’accordéon, mais à comprendre comment s’articulent ou s’opposent des manières d’apprécier l’accordéon et comment elles se construisent ».

L’idée est intéressante : l’attribution des caractéristiques « populaire » ou « savante » ne dépend pas des choses (les œuvres), ni des sujets (les amateurs d’accordéon), mais de la relation qui s’établit entre les deux, de la lecture que les sujets font des œuvres. On peut en effet facilement imaginer du Bach à l’accordéon, diffusé comme fond sonore pour les foules qui parcourent à l’affût des « affaires » les travées d’un hypermarché en période de promotions ou - pourquoi pas ?- du Vivaldi ou du Satie pour stimuler les acheteurs de soldes… En revanche, il me parait plus difficile de concevoir une écoute savante de « La danse des canards », de « La mazurka du Viaduc de Millau » ou du « Petit bonhomme en mousse ». Quoique... Il n’y a aucune raison suffisante a priori d’exclure une approche ethnologique, voire ethnométhodologique de ces compositions ou de leurs interprétations, même si la palette des interprétations, pour le coup, parait limitée.

Après un tel effort intellectuel, il est temps de casser une petite croûte :

- boudin béarnais tiède aux trois pommes
- petits pains aux lardons
- plateau de fromages de la Vallée d’Ossau : chèvre, vache et brebis
- un verre de Madiran, Château Peyros 1999
- trois petites tasses d’un café des hauts plateaux du Salvador, torréfié par « Le Gascon ».

mardi 18 avril

… avant de prendre mon petit déjeuner, avant de prendre ma douche et après avoir pris ma douche, j’ai donc écouté l’interprétation que Teodoro Anzellotti donne de Leos Janacek.

- « Teodoro Anzellotti / Leos Janacek », Winter & Winter, 2002 (59 :10).

Hier, il faisait beau. La température est montée, dans l’après-midi, jusqu’à 24°. Nous en avons profité pour faire quelques travaux de jardinage. Nous avons eu raison, car aujourd’hui la température plafonne à 13° et la pluie semble s’être installée avec détermination pour toute la journée. C’est bon pour la végétation. La nature est décidément bien faite. Au fond, qu’il fasse chaud ou qu’il fasse froid, qu’il pleuve ou qu’il vente, c’est bien… à condition d’alterner et que ça ne dure pas trop longtemps. Le mauvais climat, quel qu’il soit, c’est celui qui s’installe. Cette observation corrobore le principe de variété. La variété, le changement, la modification, c’est la vie ; l’uniformité, l’homogénéité, la permanence, c’est la mort.

C’est pourquoi, pour introduire plus de variété dans mes goûts musicaux, même si je m’en tiens au seul accordéon, je fais l’effort ce matin d’écouter Anzellotti interprétant Janacek. Et je dois dire, à ma petite surprise, que j’y trouve plus de plaisir que je n’en attendais. Je suis frappé d’abord par les sonorités d’orgue qu’Anzellotti tire de son instrument. L’accordéon, orgue à bretelles ! Un orgue qui n’a rien d’écrasant ni d’excessivement imposant. Je suis sensible également à ce que j’appellerais volontiers la ligne claire sur laquelle Anzellotti construit son interprétation. Par ligne claire, j’entends quelque chose comme la pureté et la simplicité que l’on trouve dans les œuvres des grands dessinateurs. Je manque de termes musicaux pour exprimer cette impression, mais l’analogie avec le travail du dessin correspond assez bien à ce que je ressens. Paul Klee parlait de formes-mères pour désigner ces formes prtimordiales, fondamentales, à partir desquelles toute expression graphique peut se construire. Ici, il me semble avoir affaire à des formes-mères musicales, d’où peuvent procéder, par d’infinies variations, maintes œuvres. Matrice musicale. Autre impression : une perfection technique sans ostentation, mais exclusivement au service de l’œuvre. Quelque chose d’aristocratique.

Bien entendu, tout ne m’accroche pas également. Pour aujourd’hui, je retiens particulièrement d’une part les cinq premières pièces de On An Overgrown Path – 1st Series, d’autre part le dernier titre du disque, Memory, et surtout Three Moravian Dances, d’une incroyable légèreté. Une interprétation qui s’apprécie au trébuchet. A propos de ces trois danses, je ne peux m’empêcher de penser à certains dessins de Picassso ou d’Ingres : netteté et finesse, précision et frémissement. Rien que l’essentiel !

Bon ! On avance ! Continuons ! Un pas après l’autre !

- « Manuel Hidalgo, WDR Sinfonieorchester Köln, Peter Rundel, Teodoro Anzellotti », Winter & Winter, 2005.

Le disque est composé de trois pièces :

- Nuut, für Akkordeon und Orchester (13 :12)
- Introduktion und Fuge (12:23)
- Gran Nada (16:40)

Mais là... c’est trop exotiquement moderne pour moi. Mes oreilles s’ennuient… Je saisis assez bien ce qui se passe : l’écoute de ces trois pièces me donne l’impression d’entendre une suite de sons conceptuels, comme s’il s’agissait d’un travail d’ingénieur plus que d’un travail d’artiste. La dimension intellectuelle occupe tout l’espace de perception au détriment de la dimension sensible, au détriment de ce qui provoque chez moi sensations et émotions. Sans doute cette impression est-elle un effet de mon inculture musicale, mais pour l’instant c’est une évidence. Passons à autre chose.

Il est temps de casser une petite croûte :

- asperges des Landes
- agneau braisé des Aldudes
- guarriguettes du Lot-et-Garonne
- un verre de Bouscassé 2002
- trois petites tasses de moka d’Ethiopie, torréfié par « Le Gascon »…

dimanche, avril 16, 2006

lundi 17 avril

Parmi les critères intuitifs que j’applique spontanément au classement de mes disques, il y a donc la facilité ou la difficulté associées à la première écoute. Il serait de peu d’intérêt d’approfondir la facilité. Disons que je n’apprécie pas l’accordéon quand il se met au service des animations du type « ambiance et sangria » et je crains que cette réticence ne procède d’une infirmité rédhibitoire. Il faut savoir vivre avec ses incapacités. Passons…

Plus intéressant me semble être d’approfondir et d’essayer de comprendre comment fonctionne le critère de difficulté excitante et stimulante. Par la notion de difficulté excitante et stimulante, faute d’autres termes plus précis, j’entends l’impression immédiate qu’il me faudra faire un effort pour éprouver du plaisir à l’écoute d’un disque. Cette impression immédiate va de pair avec le sentiment de rester extérieur à ce que j’entends : ça ne me touche pas, ça me reste étranger, ça ne m’accroche pas, mais ça m’intéresse. C’est cet intérêt qui déclenche l’excitation et le désir d’aller à la rencontre du plaisir, auquel je suis d’abord insensible, que doit recéler l’œuvre que j’écoute ; c’est ce même intérêt qui stimule mon envie de me mettre en route pour arriver à saisir finalement ce plaisir d’abord inaccessible. Il s’agit donc d’une impression ambivalente : extériorité, distance, voire étrangeté d’une part, intuition et pressentiment de plaisirs encore inéprouvés d’autre part. L’affect et l’intellect y sont intimement liés. Je pense ici aux notions d’esthétique, inventées par Roland Barthes : le studium et le punctum.

Je sais qu’il m’est arrivé en maintes occasions d’éprouver cette impression. Je me les rappelle, même si je ne les ai pas répertoriées systématiquement. C’est l’occasion aujourd’hui, avant d’aller plus loin dans l’analyse, d’en faire un premier recensement. Il me suffit pour cela de parcourir la liste de mes disques par ordre alphabétique. Je m’en tiendrai au relevé a minima des références :

- Anzellotti. « Leos Janacek », « 3 compositions by John Cage », « Manuel Hidalgo », « Mauricio Kagel », “Fumio Yasuda, Heavenly Blue”. Echappent à cette impression, d’une part “Erik Satie”, d’autre part “Domenico Scarlatti”. A approfondir !
- Biondini. « Terra Madre ». Approfondir ici le fait que j’apprécie mieux les compositions de J. Girotto que celles de Biondini.
- Crabb & Draugsvoll. « Duos for Classical Accordions ». Ici, j’entre d’emblée dans le titre Tango de Stravinsky ; c’est plus difficile pour Petrushka et Pictures at an Exhibition.
- Fabiano. « Vague à Lames », sauf Ave Maria, d’après une œuvre de Piazzolla, et Ciaccona, extrait de la Partita n°2 pour violon de J.-S. Bach.
- Farmer. « Sofia Gubaidulina, De Profundis ».
- Karin Küstner in collection « Les nouveaux musiciens », sauf César Franck (extrait des pièces pour orgues), Contrabajeando d’A. Troilo et A. Piazzolla et Une petite valse pour rêver de M. Bonnay.
- Lubat. « Chansons swing », sauf Los Gojats e las Gojatas.
- Nano. « L’autre côté du vent ». Je reste sur la berge…
- Saluzzi et Rosamunde Quartett. « Kultrum ».


En première approximation, deux pistes à explorer :

- Lubat et Nano me déconcertent pour des raisons en partie identiques, un je-ne-sais-quoi d’expérimental et d’intellectuel, peut-être même de conceptuel, qui me laisse froid… J’ai l’impression d’assister à un travail de recherche qui ne me concerne pas et qui même n’est pas fait pour provoquer chez moi des émotions.
- A plusieurs reprises, tel ou tel titre m’accroche dans un disque qui par ailleurs me déconcerte, or ces titres sont justement des œuvres de compositeurs que je connais et que j’apprécie : Satie, Scarlatti, Bach, Piazzolla, Bonnay, etc… C’est cette part de terrain connu qui sans doute me rassure et me permet d’accepter une originalité à laquelle je ne suis pas encore habitué. Ce sont comme des points d’appui ou des ancrages qui me permettent d’accepter de prendre des risques ; trop de nouveauté et d’inconnu, ça suffoque, ça sidère, ça stupéfie!

... reçu un courriel de Dominique O., qui m'indique qu'il a découvert "Le pas du chat noir", l'opus d'Anouar Brahem, et qu'il a bien apprécié la prestation de Matinier, dont je lui avais parlé à l'occasion de "Confluences". Par retour de courriel, je lui fais connaître " Le Voyage de Sahar", qui est par rapport au " Pas du chat noir" comme l'autre volet d'un diptyque . Cet échange me fait plaisir, car je trouve agréable de partager ainsi des goûts communs.

samedi, avril 15, 2006

dimanche 16 avril

Parmi mes disques d’accordéon, il y a des disques que je considère comme faciles, pour lesquels dès la première écoute je n’ai guère d’estime et que souvent je n’écoute qu’une seule fois ou que je n’écoute qu’avec les pieds. Juste pour bouger. L’accordéon pour les pieds, ce n’est certes pas rien, mais ce n’est pas beaucoup plus que rien. C’est bon pour la fiesta ; ça se consomme sur place, sans laisser de traces. Il en faut, mais pas trop. Il y en d’autres que je trouve difficiles, pour lesquels je sens qu’il va falloir s’accrocher, faire un long bout du chemin pour accompagner le compositeur ou l’interprète. Il y a quelque chose à comprendre, c’est sûr, mais quoi ? Il y a quelque chose qui m’échappe, mais quoi ? D’emblée, ce n’est pas évident. Dès la première écoute, j’ai souvent l’intuition que la partie ne sera pas gagnée d’avance, mais que l’effort en vaudra la peine.

Parmi ceux-ci, « Cascade » de David Venitucci. Au départ, j’ai eu une impression de tension, comme un mouvement si contrôlé qu’il n’allait pas au bout de ses développements possibles, une retenue et une volonté de maîtrise sans failles, ni approximations, ni à peu près, qui ne se départissaient à aucun moment d’une concentration extrême. En même temps, le sentiment d’une très grande unité de style entre tous les titres. C’était bien la même voix qui parlait tout au long du disque. Mais comment entrer dans ce qui restait pour moi un monologue ?

Ecoute après écoute, je commence à pénétrer dans le monde de Venitucci. Disons que je commence à mieux me laisser guider sur des chemins qui souvent me paraissaient surprenants ou imprévisibles. A ce propos, l’ensemble des titres de ce disque évoque plus pour moi l’idée de chemins que l’idée de cascade. Je pense à ces mots célèbres de Machado où il est question du chemin qui n’existe que par l’avancée pas à pas du marcheur, et non antérieurement à son parcours. On est bien là dans la distinction entre parcours et trajectoire. Venitucci me propose un parcours à découvrir et à tracer, chemin faisant, non une trajectoire inscrite dans une voie déjà tracée. C’est moins confortable, mais le plaisir est plus grand. Pour preuve que l’on n’est pas sur des routes déjà balisées, deux improvisations, qui font partie pour l’instant des titres qui me laissent encore au bord du chemin. En revanche, je commence à bien m’orienter dans quatre titres :

- Ballade pour Marie (David Venitucci)
- Chorro (Daniel Goyone)
- La tendresse (Hubert Giraud)
- Avec le temps (Léo Ferré)

Il n’est sûrement pas indifférent, parmi les quatre, que deux me soient déjà familiers : La tendresse et Avec le temps. Le fait de bien connaître leur mélodie me permet assurément de mieux saisir l’inspiration et le travail de Venitucci. Le reste est plein de promesses.

- "Cascade", David Venitucci, Le Chant du Monde / Harmonia Mundi, 2003.

vendredi, avril 14, 2006

samedi 15 avril

L’herbe de la pelouse a poussé ; elle est parsemée de fleurs de pissenlits. Il y a aussi les lilas, les glycines, les camélias, dont les fleurs continuent à tomber en abondance, et toutes ces feuilles vertes et grises qui palpitent au moindre souffle de vent. Les terrasses sont recouvertes d’une fine pellicule jaunâtre. « Tu as vu tout ce pollen, me dit Françoise ! Il ne faudra pas s’étonner d’éternuer ! ». Le printemps, promesse de fruits et d’allergies. L’arbre de Judée, l’olivier, le prunier et le cerisier changent sans cesse de couleur suivant le moment de la journée et l’état du ciel. Eclatants en un instant, éteints l’instant suivant, si un nuage sombre passe devant le soleil. Je me dis que seul un regard d’impressionniste pourrait fixer cette variété. Je me dis aussi que c’est parce que les peintres impressionnistes ont su saisir cette variété instable que j’ai la chance de la percevoir maintenant dans la réalité. Ils m’ont appris à la voir. Mais finalement, réflexion faite, je crois qu’il serait plus juste de dire que si je perçois ces impressions, c’est non pas parce que des peintres ont su, à un moment donné, saisir ce que la réalité avait d’impressionniste, mais parce qu’ils ont su nous la montrer comme telle, non la reproduire, mais la créer comme telle par leur regard impressionniste.

Sans transition avec ces quelques réflexions sur le rapport entre la création artistique et la représentation du réel, j’ai envie d’écouter un accordéon tonique, tonifiant, reconstituant, stimulant, bref bourré de vitamines ; de l’accordéon qui me montre le monde non pas tel qu’il est, mais tel que l’on veut qu’il soit, et tel qu’il finit par être pour peu qu’on choisisse les bons titres :

- Les yeux noirs, Reproche et Passion gitane in « Passion gitane », Daniel Colin
- C’était bien et Le chaland qui passe in « Couka », Jean Corti
- La valse des Niglos et Minor Swing in « Manouche Partie », Jo Privat
- Le bal du p’tit jardin et Geneviève in « De Clichy à Broadway », Gus Viseur
- Bois de la Cambre et Harlem Swing in « Gus Viseur à Bruxelles »
- Mystérieuse et Jalousie in « Le tournis », Armand Lassagne

Bon, maintenant, en route… après ce retour aux sources revigorant !

post-scriptum 1 : en sous-titre de "Passion gitane", on peut lire "swing-musette & jazz manouche". Tout un programme !
post-scriptum 2 : ce soir, après une nouvelle écoute de "Passion gitane", j'ajouterais volontiers les titres où intervient Dominique Vernhes à la clarinette. Soit, outre Les yeux noirs déjà mentionné, Dinette, Folie à Amphion et Jacqueline. J'avoue que le son boisé de cette clarinette me touche particulièrement et que son accord avec l'accordéon me semble parfait.

jeudi, avril 13, 2006

vendredi 14 avril

Le mardi 21 mars, je disais dans ce blog qu’une de nos voisines venait d’être hospitalisée et que son mari en était très affecté. Il était aussi question de tango. Aujourd’hui, Françoise et moi, nous sommes allés à son enterrement. Elle est morte. Bien que nous ne soyons pas croyants, et même sereinement athées, nous avons assisté à la messe donnée à cette occasion. C’est une question de respect personnel à son égard et de manifestation de sympathie à l’égard de son mari et de sa famille ; l’idéologie n’a pas sa place ici. Le prêtre nous a paru intelligent. Je veux dire par là qu’il n’a pas essayé de minimiser ou de détourner la peine des proches de la défunte par un discours convenu. Il en a pris acte avec empathie et il a conduit la cérémonie de manière très professionnelle. Assis, debout, chant numéro 5, prière numéro 7, lecture d'un passage ad hoc des Evangiles… le rituel, la routine, une manière de supporter l’inadmissible.

Pendant la durée de la messe, j’ai observé le mari de ma voisine avec attention. Il était présent physiquement, figé et voûté, en tout cas moins grand que ces derniers jours, mais il était aussi ailleurs. Evoquait-il des souvenirs chers, des moments de bonheur, des fragments de vie commune ? En tout cas, il était dans un monde autre : pas vraiment attentif à ce qui se passait, pas entièrement submergé par son passé. Sa posture m’a ému.

J’ai noté aussi que l’âge moyen des gens du quartier devrait normalement nous conduire à fréquenter de plus en plus régulièrement la petite église du boulevard de la Paix. Un bien joli nom et bien de circonstance : boulevard de la paix... éternelle.

En arrivant à la maison, spontanément j’ai eu envie d’écouter deux choses :

- La Nonchalante d’Emmanuel Pariselle.

Toujours la même émotion ! Une chanson, un morceau d’art populaire où l’accord de l’accordéon, du thème et de l’interprétation me parait parfait. J’aurais envie de parler d’art simple, au sens d’un art qui ne multiplie pas les plis, qui ne fait pas de complications. Complexe certes, mais pas compliqué.

- Les Variations Goldberg par Mika Väyrynen.

Il me semble en effet qu’ici la perfection de l’œuvre d’art nous introduit dans un monde à part, un ailleurs entre présent et imaginaire, qui pourrait assez bien figurer cet inter-monde entre la vie et la mort, ce passage qui donne le temps de prendre conscience que ce qui vient d’avoir lieu est irréversible. C’est aussi l’une des missions de l’art, de la musique en particulier, de donner forme perceptible à l’indicible et peut-être même à l’impensable, non pas l'inconcevable, mais l'inimaginable.

mercredi, avril 12, 2006

jeudi 13 avril

… reçu ce matin un courriel de Michel L. qui me rappelle une conversation que nous avions eue place Wilson après un déjeuner au « Louchebem », un des restaurants des Halles. Le soleil de quatorze heures frappait assez fort. Nous avions noté le nombre important de personnes attablées, avec un café et un verre d’eau, en train d’utiliser leurs ordinateurs portables, parfois même téléphonant d’une oreille avec leurs mobiles tout en parcourant d’un œil un journal gratuit. Nous avions parlé d’accordéon, du festival « Accordéon Summit », du projet, que nous avons avec Françoise, d’aller à Trentels, fin mai. Je crois que mon goût pour l’accordéon, du moins pour certains accordéons, amuse et intrigue Michel.

Il me communique donc un article, extrait du numéro 170 (avril 2006) de « Sciences Humaines ». Il s’agit d’un texte de Philippe Le Guern, maître de conférences à l’IUT d’Angers : « Dans le monde des fans », pages 41-43 ; cet article fait partie du dossier du mois sur « La culture de masse ». Cette réflexion sociologique recoupe mes propres interrogations, dont j’ai déjà fait état dans ce blog, concernant les rapports de l’accordéon et de la culture [jeudi 22 décembre et jeudi 16 mars].

Je retiens ces deux extraits :

- « … en légitimant un bien symbolique – la culture télévisuelle [en particulier les séries cultes] démuni de toute légitimité par rapport à la culture savante, les fans recréent au sein même de cette culture télévisuelle une hiérarchie sociale opposant programmes « vulgaires » et programmes consacrés ou dignes d’être consacrés. Faisant un usage cultivé de la culture non cultivée, ils se singularisent doublement, se distinguant des publics les plus orientés vers le pôle « vulgaire » du divertissement mais prenant aussi leurs distances avec une culture légitime désormais frappée d’obsolescence », pp. 42-43. Il suffirait de remplacer « culturelle télévisuelle » par « la musique d’accordéon » et « fans » par « amateurs d’accordéon » pour obtenir une problématique intéressante et susceptible d’ouvrir la voie à des analyses assez excitantes pour l’intellect. On peut penser en effet que le clivage entre culture légitime et culture non légitimée, clivage qui permettait à Bourdieu de situer l’accordéon dans les formes inférieures, se retrouverait à l’intérieur même du monde de l’accordéon, clivé à son tour entre des espaces légitimes et non légitimes, tandis que lui-même en sa pluralité de manifestations se trouverait réparti dans la totalité du champ social.

- « La généralisation dans la population de dispositions à l’éclectisme en matière culturelle permet (également) de comprendre l’investissement décalé, au second degré, d’objets appartenant aux corpus les plus populaires, auxquels s’ouvre désormais le système de consécration culturelle », pp. 43. Cette notion d’éclectisme semble bien de nature à permettre un véritable dépassement des thèses bourdivines (cf. « La Distinction ») et l’on attend avec impatience un travail universitaire sur les pratiques esthétiques et artistiques liées à l’accordéon dans leurs relations aux positions sociales. En tout cas, cette notion d’éclectisme est cohérente avec l’idée d’une complexification croissante des pratiques sociales, particulièrement liées à l’art, à ses pratiques et à ses formes de consommations.

Dans ce dossier sur « La culture de masse », je retiens un autre article, qui me parait bien compléter celui-ci. Il s’agit, pages 38-40, d’un texte de Xavier Molénat, intitulé « Pratiques culturelles - Le mélange des genres ».

Deux extraits déclencheurs de réflexions :

- " S’appuyant spécialement sur le domaine musical, il [H. Glévarec] estime que l’on assiste à un processus de « mise en genre », c’est-à-dire à l’apparition de grands domaines musicaux (classique-lyrique, jazz-funk, musique traditionnelle-ethnique-du monde, rock-pop, chanson-comédie musicale, rap, techno-musique électronique, autres). Ces genres seraient, selon lui, devenus incommensurables (qui peut dire aujourd’hui que la musique classique « vaut » plus que le rock ?), les hiérarchies se recréant seulement à l’intérieur de chacun de ces genres, entre ce qui est rare et ce qui est devenu commun ». Ces quelques lignes font écho pour moi à ma réflexion sur l’extrait précédent, à savoir qu’un des principes de hiérarchie entre les interprétations ou créations à l’accordéon me semble être le suivant : certaines œuvres me surprennent, m’étonnent, m’apparaissent comme des créations originales et inouïes… sans leur écoute, il me manquerait quelque chose de vital de l’ordre du plaisir ; par contre, quantité d’autres me laissent sans émotions et pour tout dire ne m’intéressent pas. C’est comme si j'écoutais des clones de clones… ce que j’appelle « de la soupe ». Des œuvres, si j’ose dire, car le terme de productions, voire de produits, serait plus adéquat, des œuvres donc destinées à la consommation de masse et non à l’écoute attentive et nécessaire pour vivre mieux.

- "... la distinction contemporaine s'exprimerait moins dans la capacité à s'approprier les pratiques les plus légitimes que dans l'aptitude à jouer d'un éclectisme éclairé conduisant à une incursion mesurée dans le domaine des arts en voie de légitimation", ce processus de légitimation étant à son tour un effet de cette incursion en forme de tache d'huile. Dialectique du quantitatif et du qualitatif aurait pu dire Hegel. A force d'incursions limitées mais successives, les formes d'art en voie de légitimation finissent un jour par être reconnues comme légitimes par le jugement esthétique de sens commun.

Tout en mettant en ordre ces quelques réflexions, j’écoute « Duo » des « Concerts inédits ». Il s’agit bien d’un chef-d’œuvre ! Une expression me semble bien traduire mon sentiment : « Ils avançaient sur le fil du rasoir sans jamais perdre le fil de leur inspiration ».

mardi, avril 11, 2006

mercredi 12 avril

Après avoir conduit Charlotte à son école et Camille chez Martine Nounou, nous rentrons à Pau. Aux environs de Toulouse, sur quelques kilomètres, il y a, de part et d'autre de l'autoroute, d'immenses surfaces carrées ou rectangulaires, à la géométrie parfaite. On les dirait tracées par un artiste plasticien, adepte du Land Art. Ces surfaces semblent être placées ici et là pour orienter le paysage et pour en donner la mesure. En ce sens, on peut à bon droit parler d'agriculture géométrique. On pourrait croire que leur couleur, si pure qu'elle semble être le produit de quelque artifice, est destinée à mieux faire percevoir, par contraste les bruns ou les verts des sols alentour. Cette couleur, à peine moirée par une brise nonchalante, est d'un jaune si intense qu'il oblige à cligner des yeux. Ce sont des champs de colza. Ensuite, la route est superbe avec les Pyrénées encore enneigées sur notre gauche...

… depuis notre retour à Pau, nous écoutons attentivement le dernier opus de Gotan Project :

- « Gotan Project Lunatico », Ya Basta ! / Science & Mélodie, 2006.

Une pochette minimaliste, façon art conceptuel. J’ai cru reconnaître sur les photographies en noir et blanc des joueurs de polo… argentins. Par contre, j’ai bien reconnu la musique hypnotique des disques précédents, les pulsations lourdes issues du croisement délibéré entre des rythmes industriels et biologiques, artificiels et vitaux. Une musique pour un monde de mégalopoles, imaginé par des urbanistes de la nuit associés à des ingénieurs en biologie des passions. Un monde d'êtres fluides, en flux et reflux perpétuels.

J’ai beaucoup aimé…

- le son de Gotan Project
- la voix de Cristina Villalonga : Amor Porteno, Diferente, Celos, Tango Cancion
- le piano de G. Beytelmann
- les bandonéons
- les violons, façon Orquesta tipica ou grand orchestre de Juan-José Mosalini : Lunatico, Criminal
- l’intervention de Juan Carlos Caceres : Notas
- le rap / tango de Mi Confesion
- le bandonéon de La Vigüela
- la voix et le bandonéon de Domingo
- les percussions, façon Afrique, de Minimo Garay : Paris, Texas
- et, entre les pistes, les échos assourdis de conversations chics, les fumées bleues et languides d’énormes cigares, les odeurs froides d’alcools forts, une ambiance façon cafés rétros de Buenos-Aires…

A propos de la voix de Cristina Villalonga, une phrase m’est venue à l’esprit :

- sa voix instille entre nos sensations des langueurs de ciguë sucrée…

lundi, avril 10, 2006

mardi 11 avril

… Retour en arrière. Samedi après-midi, 15h30. Médiathèque José Cabanis. Nadja emprunte quelques livres et deux cds pour Camille et Charlotte. Je profite de l’occasion pour jeter un coup d’œil sur le rayon jazz. En général, les disques de Galliano sont toujours indisponibles. Par chance, cette fois-ci, il reste une pochette plastique, souple mais assez lourde, dont je vois d’emblée qu’elle est constituée d’un livret de plusieurs pages, de trois fiches cartonnées et de trois disques. Je reconnais tout de suite les « Concerts inédits ». Sauf erreur de ma part, cet intitulé ne figure nulle part, même s’il est en toute lettres sur le ticket d’emprunt :

titre : concerts inédits
auteur : Richard Galliano
n° de docu 30170007134633
dû : 29/04/2006, 23 :59


La couverture, à partir d’une photographie de scène, dans des tons chauds, brun, orange, miel, blanc et noir, représente le visage de Richard Galliano, les yeux clos, son avant-bras gauche maintenant son Victoria contre son corps. En surimpression, traversant le milieu de la page horizontalement, le nom « GALLIANO » et, encore en surimpression sur ce nom, « la scène jusqu’à la transe ». Le livret, fort intéressant, relève de ce que j’appelle une biographie de l’intérieur. J’entends par biographie de l’intérieur une biographie qui essaie de retracer le vécu d’un parcours personnel à travers ses moments psychologiques cruciaux, en particulier les rencontres, par opposition à une biographie de l’extérieur qui reconstitue une vie comme une trajectoire à travers des faits et des dates, précis et objectifs mais dépourvus de sens. J’en retiens surtout deux images : un portrait de Richard Galliano à 7 ans et une photographie où il est près de son père, tous les deux jouant de l’accordéon. Petit Galliano deviendra grand… J’en retiens aussi plusieurs autres photographies où la relation fusionnelle entre Richard Galliano et son Victoria « saute aux yeux ».

Les trois fiches cartonnées décrivent le contenu des trois disques :

- « Solo, Richard Galliano », Enregistrement public au Museo Emilio Greco à Orvieto (Italie), le 31 décembre 1998, lors du festival Umbria Jazz Winter.
- « Duo, Richard Galliano / Michel Portal », Enregistrement public dans les studios de la radio NDR à Hambourg (Allemagne), le 29 octobre 1998.
- « Trio, Richard Galliano / Daniel Humair / Jean-François Jenny-Clark », Enregistrement public au Festival de Jazz de Montreux (Suisse), le 10 juillet 1996.

Je note, en observant l’ordre chronologique, que ces enregistrements vont de juillet 1996 pour le trio, à octobre 1998 pour le duo et enfin au dernier jour de 1998 pour le solo. On passe ainsi du trio au solo. Faut-il donner un sens à ce passage ? Faut-il y voir un travail de recherche et d’approfondissement qui conduirait nécessairement au solo ? Je ne le crois pas… Il me semble en effet que ce qui caractérise le parcours de Richard Galliano, c’est plutôt la pulsation et l’alternance entre différentes sortes de formations et différents styles : septet, quatuor, trio, duo, solo… Mais en même temps on peut se demander si le solo n’est pas une manière de se situer, de se donner des repères, à partir de quoi tous les compagnonnages deviennent possibles. Je pense par exemple à Piazzolla interprété en solo, puis quelques années plus tard en septet. On trouverait sans effort bien d’autres exemples dans l'oeuvre de Richard Galliano.

En tout cas, j’en suis à la deuxième écoute des trois disques… et je sens bien que ce n’est pas fini de sitôt. Je note qu’on ne retrouve aucun titre présent sur les trois, mais qu’en revanche quelques uns figurent sur deux d’entre eux. Par exemple :

- Tango pour Claude ou Libertango en « Trio » et « Duo »,
- Taraf en « Duo » et « Solo ».

J’ai bien conscience que notre époque manie facilement le superlatif et que plusieurs fois par an on nous annonce des enregistrements historiques, qui finiront d’ici peu dans l’oubli, remplacés par d’autres enregistrements mythiques, et ainsi de suite… mais en l’occurrence, au moment même où j’écoute « Solo » et ces trois « Concerts inédits » en écrivant ces lignes, j’ai le sentiment d’écouter un chef-d’oeuvre.

Un dernier mot : durant le week-end, les catalpas et les figuiers du jardin se sont couverts de feuilles quasiment à vue d’œil. Celles des catalpas sont comme des rosaces ; celles des figuiers sont plus arrondies. Elles ont le même vert tendre ourlé de blanc. On pense déjà à l’ombre bienfaisante des catalpas et aux allées mauves et sucrées sous les figuiers.

Post-scriptum : ce lundi 10 avril, 14h05, Virgin, près du Capitole, nous achetons le dernier opus de Gotan Project :

- "Gotan Project, Lunatico", Ya Basta ! Science & Mélodie, 2006.

Sur le chemin du retour vers la maison, nous écoutons quelques titres pour avoir une première impression. Le son Gotan Project est bien là ; à première écoute, ce son est moins brutal que dans les disques précédents. Impression à vérifier. La force hypnotique est bien présente.

Nous notons au passage les noms de Nini Flores, Nestor Marconi, JuanJo Mosalini, Victor Villena aux bandonéons. Mais aussi Minimo Garay, Rudi Flores, Gustavo Beytelmann, Patrice Caratini, et bien d'autres que nous ne connaissons pas et que avons hâte de découvrir...

vendredi, avril 07, 2006

lundi 10 avril

- « Marc Perrone / Son éphémère passion », Rue bleue, 2004.

Ce disque, avec « Voyages », est l’un de mes préférés. Même si l’on y trouve moins de titres que dans le précédent, il y en a encore beaucoup : vingt-et-un. C’est comme si un trop-plein de vitalité devait se manifester. A moins qu’il ne s’agisse d’une autre urgence, liée aux fragilités de la santé. Quand on sait que les trois lettres du titre : S.E.P. ont été choisies pour évoquer Sclérose En Plaque, on comprend ce que signifie le mot « humour », à quel point il est l’expression d’une véritable philosophie, d’une attitude profondément existentielle. Bien plus, c’est toute une expérience de la vie et la conception de l’existence, qui en découle, qui s’expriment dans ce trait d’humour. Le choix de ce titre est à lui seul une leçon de vie, la manifestation d'une sagesse.

Mais ce titre est beau aussi parce qu’il évoque le paradoxe des mélodies et des chansons, qui à la fois ne vivent que le temps de leur interprétation et qui vivent aussi de manière latente dans nos mémoires comme des traces indélébiles. Quelque chose d’éphémère qui vit éternellement, comme une ombre, qui apparaît et disparaît, insaisissable, mais finalement est toujours là. C’est ainsi qu’ayant écouté les différents titres de ce disque, il m’est quasi impossible de les effacer de mon esprit. Comme on dit, volens nolens ça tourne dans ma tête. Je pense tout particulièrement à :

- L’échappée belle
- Son éphémère passion
- La valse d’Ania
- La valse d’Hellemes
- Les prolos
- La marche de Victor Baton


Le livret se termine par ces mots : « Repartir comme on est venu, mais dans l’autre sens, dans une autre humeur, c’est toujours la même chose mais pas pareil ». Encore la dialectique du même et de l’autre. Il y a les apparences et, sous les apparences, d’autres apparences. Ce sont encore des apparences, mais ce ne sont pas les mêmes.

Enfin… les compagnons : Marie-Odile Chantran, Jacques Di Donato, Paco El Lobo, Jean-Luc Bernard, Bernard Lubat, Arthur H, André Minvielle, Michel Peyratout. Des anciens et des nouveaux. Toujours la famille cooptée.

Un dernier mot pour la couverture : couleurs et graphismes minimalistes. Superbe ! Couverture du livret : magnifique. Economie de moyens. Tout est dit, le diatonique, la moustache, la posture. Au dos de la couverture, une photographie : le diatonique, la moustache, le sourire. Autre manière de dire qui est Marc Perrone. Trois images pour un portrait.

... mais, en fin de compte, il reste une chose qui m'étonne. Pour chaque disque, Marc Perrone indique scrupuleusement les accordéons diatoniques Castagnari qu'il a utilisés. Il en donne les caractéristiques techniques, mais pas les noms, hormis peut-être Mignon et un ou deux autres, alors que je suis persuadé que chacun de ses instruments a son identité et sa personnalité, et donc son nom propre.

dimanche 9 avril

- « Marc Perrone / Voyages », Rue bleue / Le Chant du Monde, 2001.

Ce titre est si l’on peut dire emblématique de l’œuvre de Marc Perrone. Trois choses me frappent immédiatement. D’une part, l’équipe semble avoir pris forme de noyau dur ou de garde rapprochée : Marie-Odile Chantran, Bernard Lubat, Jacques Di Donato, André Minvielle. Cinq musiciens ! Mais d’autre part, et comme à l’opposé de cette condensation, de cette cristallisation, trente-deux morceaux. Marc Perrone parle de valse hésitation. Celle-ci me parait s’inscrire en effet dans ce nombre inhabituel de morceaux. Enfin, la dédicace au père et, avec lui, la présence quasi permanente des origines.

J’ai une affection particulière pour ce disque, car Esperanza est l’un des génériques d’une émission taurine que j’apprécie beaucoup. Son croisement avec le monde des toros me plait.

D’un côté, l’Italie, ses chansons d’émigrants, ses tarentelles obsédantes ; de l’autre, le monde des travailleurs, des ouvriers, de l’usine. Ancrages. Ancrage géographique, ancrage social.

Un titre improbable : LOCACCMACCAM. « LOC » pour locomotive, « ACC » pour accordéon, « MAC » pour machine à coudre, « CAM » pour caméra. Comment mieux dire ses obsessions ? Comment le dire en moins de mots ? Un seul mot pour dire différentes formes du destin. Marc Perrone écrit : « Il y a dans leur fonctionnement quelque chose d’inexorable, presque d’implacable ». Parfois, sous des apparences légères, sans avoir l’air d’y toucher, sans se prendre au sérieux, la musique nous fait sentir ce que nous sommes et les forces qui nous dominent. Il y a de l’inconscient et du fatum là-dedans. Encore une histoire de racines.

samedi 8 avril

Aller – retour entre Pau et Hossegor dans la journée. Tout le long de la route, les murs des fermes sont chargés de glycines qui ont au moins vingt ans d’âge. Les villas d’Hossegor sont encore fleuries de mimosas qui seront bientôt remplacés par les lilas et les arbres de Judée. Nous déjeunons sur la place des Landais, au « Mar y Sol » : moules – frites, crème brûlée, pichet de vin blanc. Des moineaux viennent sur notre table nous disputer de la mie de pain. Le repas n’est pas gastronomique, mais le fond de l’air n’est pas frais. L’océan est d’huile, quelques bateaux blancs sont posés comme des virgules sur la page bleue ; il n’y a pas un souffle de vent. Des couples de retraités, d’une part, et des couples avec des enfants non scolarisés, d’autre part, se baladent en musardant. Il n’y a pas de gens en âge d’être d’étudiants, car ils sont occupés à bloquer leurs universités ou à rattraper les cours annulés depuis plusieurs semaines. Est-ce cela l’avant-révolution ?

A la fin des années 60 et au début des années 70, nous avons vécu à Marrakech. Nous n’oublierons jamais notre émerveillement en découvrant un certain matin de chaque printemps la beauté explosive des Jacarandas mauves sur l’avenue Mohamed V.

- « Marc Perrone / Jacaranda », Rue bleue / Le Chant du Monde, 1995. Enregistré en public au Théâtre du Petit Montparnasse, à Paris, au cours de vingt-neuf concerts, entre le 1er mars et le 2 avril 1994.

Je retiens d’abord la structure générale du disque tiré des vingt-neuf concerts : trois actes et deux intermèdes. C’est un voyage en trois actes au cours duquel se construit la conviction que la musique se fait avec et pour les gens. Proximité et équilibre fragile : on se met en danger et c’est jubilatoire. Marc Perrone parle aussi de lente élaboration et de connivence amicale. La prise de risque et la confiance sont indissociables. La musique vivante, c’est jouer sur le fil : « toujours la même chose, mais rien n’est jamais pareil ». Dialectique du même et de l’autre. A un autre moment, il parle aussi d’ « art maigre ». Je comprends qu’il s’agit d’un art où il n’y a pas de gras, pas de superflu, en un mot un art où il n’y a rien de trop, juste l’essentiel. Je pense aux personnages de Giacometti. La beauté, c’est ce à quoi on ne peut plus rien ajouter, ni retrancher.

Il est question d’airial, ce lieu typique des Landes, apaisant comme un ventre maternel ; havre de quiétude au milieu des grands pins qui palpitent sous les coups de vent venus de l’Océan. Il est aussi question de La Serra où l’Italie et les images de l’enfance sont inextricablement tissées. Et encore de mélodies comme des berceuses… Tendresse. Ancrage. Racines.

On a quelques éclaircissements sur « la saga rocarolesque ». On apprend qu’il s’agit d’une chanson diatonique, enfant naturel né de la rencontre du coca-cola et du rock-and-roll dans la tête de tante Judith. Pour en savoir plus ( ?), il faut lire la mise en mots faite par André Minvielle. On hésite entre le dadaïsme et le lettrisme d’Isidore Isou.

L’album s’ouvre et se clôt sur deux versions de Jacaranda. La première est tendue comme un filet de voix fragile et obstiné ; la seconde, dite intégrale, est superbe, entre tension et légèreté. Elle est jouée par le trio, Perrone, Di Donato, Méchali.

Suivant une habitude maintenant bien ancrée, on retrouve trois enchaînements, dont deux me touchent particulièrement :

- Suite Cinéma. La voix du public est très émouvante. Perrone s’y accorde, l’accompagne, la suit, puis il prend la direction, donne la voie et ainsi de suite… Ce dialogue m’a fait penser à ce grand moment où Raul Barboza joue, « Live at Montmagny », une version de La foule qui dit à l’évidence ce que peut-être un moment de communion entre un musicien et disons, non pas des spectateurs, mais plutôt les participants à un concert. Le mot acteur prend ici tout son sens.
- Suite pour « Tire-au-flanc », une marche, une java, une valse… Musique pour un film muet ! Cette suite me semble préfigurer les disques à venir.

On ne peut terminer sans mentionner encore l’amitié et la fidélité. Uzeste musical, « sans qui la réalité de mes rêves artistiques et musicaux ne serait pas la même ». Toujours rendre ce que l’on doit à qui a donné. Quant aux compagnons, on les a déjà tous rencontrés : Marie-Odile Chantran, Jacques Di Donato, Bernard Lubat, Jean-Louis Méchali, André Minvielle, Raphaël Sanchez. Une famille par cooptation.

jeudi, avril 06, 2006

vendredi 7 avril

Les camélias sont fleuris en abondance. On a le sentiment que c’est trop, trop rouge, trop abondant. Une fleur tombe, trois éclosent. Une sorte de gaspillage… Les trois glycines ont connu des fortunes diverses en traversant les gelées de l’hiver. L’une est couverte de grappes mauves ; l’autre prépare son éclosion ; de la troisième, pourtant protégée par trois bouleaux, il ne reste qu’une seule branche vivante. On sent qu’elle veut vivre à tout prix et qu’il y réussira. Chaque matin, on observe ses efforts de survie. Le chèvrefeuille, comme tous les ans, commence à envahir la haie du voisin.

- « Marc Perrone / Cinéma Mémoire », Le Chant du Monde, 1993. Disque enregistré en février 1993.

La couverture est sans éclats, sans couleurs ni graphismes agressifs ; elle est sobre et rigoureuse dans les formes et dans les tons. Sa géométrie annonce le livret informatif de quatorze pages. Elle représente un mur du hall d’entrée d’un cinéma des années d’après-guerre. Il pourrait s’appeler « Le Rex ». Accrochées à ce mur, trois photographies de vedettes : Gabin, Arletty et, entre eux, un portrait de Marc Perrone, façon studio Harcourt. Très classe ! En sur-titre, Marc Perrone accordéon diatonique. Disque de mémoire, de nostalgie, de fidélité et de vitalité.

De même que l’on trouvait dans « La Forcelle » un titre dédié « A mon Père », on trouve ici, en dédicace « A ma Mère », l’interprétation de la chanson « Le chaland qui passe » (Parlame d’Amore Mariu). Enracinement familial. Attachement. Tendresse. Et en arrière-fond l’Italie, ses mélodies, son bel canto, ses migrants, qui font passer les frontières à leurs airs familiers, comme des contrebandiers…

Page 5 du livret, Marc Perrone écrit que ce disque s’inscrit « dans la longue chaîne des musiciens connus ou inconnus, qui habitent les images du cinéma français depuis le début du parlant ». Tiens ! Il est question de chaîne et donc d’enchaînements. Il ajoute : « Cinéma Mémoire est pour moi comme un voyage dont le départ se situerait sur le pont de « L’Atalante » et qui finirait avec « Un dimanche à la campagne ». Il aura fallu attendre cinquante ans pour revoir un accordéon diatonique à l’écran, serait-ce un signe ? ». Voyage, images… N’est-il pas significatif que Perrone écrive « revoir » et non « entendre un accordéon diatonique » ? De l'image et de l’accordéon, qui accompagne qui ? La question ne se pose pas, ils sont l’un pour l’autre des compagnons. Piste que les prochains disques exploreront.

La présentation des œuvres jouées occupe plusieurs pages d’un tableau synoptique à quatre entrées : titres, films et dates, compositeurs, réalisateurs. Le choix des titres est présenté suivant un ordre à peu près chronologique. L’intention n’est pas didactique, mais elle est manifestement culturelle, au sens où il s’agit de garder vivantes les traces d’une expression artistique et d’une culture éminemment populaires, et d’en perpétuer la tradition dans des œuvres nouvelles. Il faudrait tout citer. Quelques exemples suffiront : L’Atalante / Maurice Jaubert / Jean Vigo ; Le Million / Van Parys / René Clair ; Les portes de la nuit / Kosma / Marcel Carné : Touchez pas au grisbi / Wiener / Jacques Becker ; Un dimanche à la campagne / Perrone, Sarde / Bertrand Tavernier.

Et puis, encore et toujours, les rencontres et les amitiés : Philippe Gavardin, Alain Lacombe, Bernard Favre, Bertrand Tavernier… et le souci scrupuleux de rendre à chacun ce qu’on lui doit. Marc Perrone sait bien, et il le dit, que rien ne se fait sans les autres ni rencontres. Quant au plan musical, on retrouve ce mélange entre des noms nouveaux et les noms des membres de la famille : Chantran, Tuveri, Duprat, Lubat. Pour les nouveaux, qui sont déjà aussi de la famille : Di Donato (clarinette), Delaunay (clarinette), Sanchez (arrangements et piano), Apap (alto), cavelier (violon), Peyratout (contrebasse), Méchali (batterie).

jeudi 6 avril

- « Marc Perrone / Velverde », Le Chant du Monde, 1988 & 2005.


Outre le son de Marc Perrone, et son phrasé, j’aime bien retrouver dans ce disque un certain nombre de caractéristiques fortes de son œuvre. C’est comme retrouver un copain avec qui on a un telle complicité qu’on peut se perdre de vue (ou d’ouïe) quelque temps, aussitôt qu’on est ensemble, on est en accord. On se dit immédiatement, c’est bien lui, il a peut-être un peu changé, plutôt en bien, mais il est resté le même.

Parmi ces caractéristiques, il y a ce que j’appelle des enchaînements. Je préfère ce mot à celui de mélange, car pour moi le mélange évoque l’idée que les éléments mis ensemble perdent leurs propriétés et leur identité, alors que la notion d’enchaînement évoque l’idée d’articulation entre des maillons et que c’est bien l’articulation, la jointure, l’attache qui me paraissent définir l’originalité de Perrone. L’interprétation de chaque morceau est évidemment fondamentale, mais ce que j’aime particulièrement, c’est l’attente et la surprise du passage. On est encore ici et déjà ailleurs…

Enchaînements éclectiques, chansons populaires, « swing musette », musiques de films, les îles, les Caraïbes et l’Irlande :

- A Paris dans chaque faubourg / Nous sommes seuls (4 :22)
- Suite Merengue (4 :55)
- Germaine / Soir de Paris (3 :19)
- Hommage à Nino Rota (9 :05)
- Suite irlandaise (3 :39)… et ses percussions à pieds
- Jeannette / La valse à Jo (3 :30)
- Des anches passent (4 :50)

« Des anches passent », ce pourrait être un beau titre d’album. Ce dernier titre nous rappelle que, parmi ses copains, Marc Perrone compte Bernard Lubat et André Minvielle.. Le jeu avec les mots, jeu qui n’est jamais gratuit, est une préoccupation permanente, une manière de percevoir et de construire le monde. Ce n’est certes pas par hasard si Uzeste Musical figure dans les remerciements. C’est ainsi que, tel le diable de sa boite, on voit surgir l’intrigant Rocarocolo, dont on aura la clé dans « Jacaranda ». Perrone, Minvielle, Sclavis, c’est quelque chose ! Les derviches tourneurs au cœur des landes girondines…

Mais il faut encore parler des compagnons… toujours nombreux. Il faut les citer : Azzolla, Chantran, Chartrand, Duprat, Lubat, Minvielle, Sclavis, Ringenbach, Texier, Tuveri. Cinq ne sont plus là, quatre sont les mêmes, six sont venus les rejoindre. Un groupe vivant ! Identité : permanence et renouvellement.

Le disque s’ouvre et se clôt sur son titre éponyme : « Velverde » et c’est superbe ! Perrone compositeur, sans oublier les arrangements de Lubat pour la version d’ouverture.

mardi, avril 04, 2006

mercredi 5 avril

12h00. Point presse de l’hypermarché. « Accordéon & accordéonistes » est là ! Je suis content. Dès mon arrivée à la maison, coup d’œil en diagonale. Je note avec intérêt et amusement que Monsieur Cavagnolo, après son coup de sang d’octobre 2005 (n° 46), est revenu en 3ème de couverture. C’est bien, d’autant plus que la revue n’avait jamais cessé de citer sa marque ou de montrer ses instruments, montrant ainsi son absence de mesquinerie et son souci d’information ! Je note également mon complet accord avec l’éditorial, page 3. D’accord pour l’accordéon comme instrument éminemment populaire ; d’accord pour regretter que sa présence soit bien trop faible dans les médias et en particulier à la télévision ; d’accord aussi pour dire que sa qualité est directement fonction de la qualité de l’interprète et que, si de vrais artistes existent, force est de reconnaître que tous les accordéonistes ne le sont pas (je continue à penser que le sourire béat et certains trémoussements ne sont pas une garantie d’excellence); d’accord enfin sur la force vitale de l’accordéon, qui tient à sa capacité à servir une grande diversité de styles. L’accordéon sera polymorphe ou ne sera pas !

A propos de télévision, Pascal Sevran accomplit au mieux sa mission, mais je pense que Patrick Sébastien et Michel Drucker, chacun dans un genre populaire différent, pourraient utilement contribuer à faire connaître l’accordéon en ses multiples facettes. Parfois, je me dis que Canal+, en jouant la carte du snobisme, pourrait à sa façon contribuer à cette connaissance. Pourquoi pas une spéciale animée par De Caunes ?


Aujourd’hui, on commence le parcours Perrone…


- « Marc Perrone / La Forcelle », Le Chant du Monde, 1990.


J’écoute ce disque, enregistré en juin et juillet 1983, comme une invitation à la déambulation, le nez au vent et les sens aux aguets, comme une incitation à la flânerie ouverte à toutes les sollicitations. Deux choses me frappent, d’une part la liste des compagnons qui ont participé à la réalisation de ce voyage, d’autre part le fait que ce voyage se déroule entre Vas-y-Mimile (hommage à Emile Vacher) et A mon père. J’y vois de la fidélité, de la tendresse et de l’attachement. Attachement qui donne ancrage et profondeur au voyage. Ancrage dans les terres italiennes, enracinement dans les origines familiales, attachement aux rythmes des tarentelles et aux chansons populaires ; trésors musicaux rapportés des voyages : Québec, Suède et autre pays landais. Tendresse dans le regard porté sur les autres. Emigration / immigration : d’ici et de là-bas. L’un des titres, dans sa concision même, dit bien l’essentiel de ce disque : Le réel des voyages.

Autre chose. Trois enchaînements sans hiatus, ni rupture :

- Amour et printemps / Le vieux Léon / Sous le ciel de Paris (5 :04)
- L’amant de Saint-Jean / Les flots du Danube / La foule (4 :43)
- Mirabelle / Indifférence / Danlapoch (3 :32)

Clin d’œil complice aux chansons que l’on fredonne et aux succès du « swing musette », à Charley Bazin, Joseph Colombo, Tony Murena et Jo Privat. L’accordéon diatonique est partout chez lui. Ce n’est certes pas par hasard si Marc Perrone écrit, à propos de L’amant de Saint-Jean / Les flots du Danube / La foule : « Trois chansons très en vogue dans les années 40 dans lesquelles diatonique et chromatique font bon ménage. Merci à Marcel et à Didi ». Le diato, le petit qui n’a pas peur des gros ! Ces enchaînements sont justement l’une des marques de fabrique du style Perrone. Transitions / glissements : passages. De l’un à l’autre…

De titre en titre, une ligne claire, quelque chose de l’ordre d’un lien primordial, sans sophistication, ni tarabiscotage, relie les différents morceaux entre eux.

A propos de la liste des compagnons qui ont participé à la réalisation de ce voyage, il faut rappeler que le compagnon, le copain, d’après l’étymologie, c’est « celui qui partage le pain avec… ». Ici, en l’occurrence, on peut penser qu’il s’agit du pain et du vin… Bref, cette liste il faut la citer, car elle dit aussi la fidélité :

Marcel Azzolla, Akim Bournane (basse), Marie-Odile Chantran, la compagne (vielle à roue), Didi Duprat (guitare), Yvon Guilcher (flûte cromorne), Pierre Imbert (tambourin, percussion), Bernard Lefevre (violoncelle), Bernard Lubat (piano, percussion, arrangements), Marc Perrone (diatonique), Francis Valonne (saxos).

lundi, avril 03, 2006

mardi 4 avril

Pendant un certain temps, je classais mes disques à l’aide d’un logiciel ad hoc, qui me permettait de les retrouver facilement en fonction du ou des critères choisis. Cette méthode était pleine d’avantages, notamment l’efficacité, mais à la longue son caractère technocratique a fini par me lasser. Je pouvais retrouver immédiatement plusieurs interprétations d’un même titre ou les disques où avait joué tel ou tel accordéoniste ; je pouvais faire des listes et des sélections automatiques. Mais finalement j’avais l’impression de consacrer plus de temps à l’archivage et à la recherche documentaire qu’au plaisir de l’écoute. L’intendance et la manie classificatoire prenaient le pas sur la surprise, le tâtonnement, le hasard des rencontres imprévues. C’est pourquoi j’ai décidé de classer mes disques par ordre alphabétique, non en fonction des titres des albums, mais en fonction du nom de l’accordéoniste qui y joue, tout en ménageant une exception à cette règle quand il s’agit d’une anthologie, comme par exemple « Paris Musette », « Le son du musette » ou « Swing Accordion ». Bref, une règle simple, facile à appliquer matériellement, et quelques exceptions qui confirment la règle, preuve qu’elle est bonne.

C’est ainsi que les disques d’Anouar Brahem, dont j’ai parlé ces jours derniers, se retrouvent classés, l’un à la lettre G, comme Galliano, les autres à la lettre M, comme Matinier.

C’est ainsi qu’en classant « Waltz Club », je l’ai placé à côté de « 3 temps pour bien faire » parce que, dans les deux cas, l’accordéon, c’est Marcel Azzolla. Du coup, ce rapprochement « me dit quelque chose »… et je vérifie tout de suite qu’il y a bien Double Scotch sur les deux disques.

- Double Scotch, 3 :58, in “Waltz Club”, Universal Music, 2006. Marcel Azzolla, Didier Lockwood, Martin Taylor et Jean-Philippe Viret
- Double Scotch, 3 :33, in « 3 temps pour bien faire », Productions Caratini, 1982 & 1986, Le chant du monde, 2005. Marcel Azzolla, Patrice Caratini et Marc Fosset.

L’un a été enregistré fin 2005 – début 2006, l’autre début juillet 1982. A peu près un quart de siècle d’écart. L’émotion esthétique est différente, mais elle n’est pas moindre dans l’un ou l’autre cas. Plus d’éclat ici, plus de nostalgie là, mais ici ou là le même humour dans la façon de regarder les choses de la vie.

…….


A partir de demain, j’ai le projet d’explorer systématiquement mes quelques disques de Marc Perrone : je sens bien en effet qu’une formidable continuité les relie, qu’ils procèdent d’une inspiration, d’une vision du monde, d’une philosophie à proprement parler humaniste. Ce sera l’occasion de le vérifier en les écoutant méthodiquement.

- « La Forcelle », enregistrement 1983, édition1990
- « Velverde », enregistrement 1988, édition 2005
- « Cinéma Mémoire », enregistrement et édition 1993
- « Jacaranda », enregistrement public 1994, édition 1995
- « Voyages », enregistrement 2000, édition 2001
- « Son éphémère passion », édition 2004


Un beau parcours en perspective…

dimanche, avril 02, 2006

lundi 3 avril

Les fleurs des camélias jonchent le sol de taches roses et rouges, comme des gouttes de sang qui se répandent en petites flaques sur le gazon. En quelques heures leurs pétales, fripés par l’humidité de l’herbe grasse, s’éteignent. Les primevères, qui ont échappé au rasoir de la tondeuse, se redressent. Le cerisier du voisin illumine le quartier de son éclat d’une blancheur parfaite. L’une des basses branches traverse ce nuage immaculé comme un trait d’encre de Chine : elle est morte.

Depuis ce matin, j’écoute "Waltz Club" en boucle. Aujourd’hui, j’ai une affection particulière pour Indifférence, Valse nostalgique, La Ballade irlandaise et Padam. Un accord indéfinissable entre ces mélodies et l’humeur du jour.

Je suis frappé, d’écoute en écoute, par l’unité des différents titres et par l’homogénéité des interprétations, comme les différentes facettes d’un même objet. Chaque fois, j’attends l’intervention de Marcel Azzolla et chaque fois j’en admire la justesse. Je dois dire d’ailleurs que ce sentiment s’appliquerait également aux trois autres musiciens. J’apprécie beaucoup quand un disque installe ainsi un monde, une sensibilité, une couleur du temps à vivre. Bien entendu, le plaisir esthétique que j’éprouve tient d’abord aux qualités d’artistes des membres du quartet, mais j’ai bien conscience qu’une partie de ce plaisir tient aussi à leurs qualités d’artisans : c’est du travail bien fait !

J’aime bien aussi la variété des compositeurs convoqués pour ce disque :

- Marcel Azzolla
- Frédéric Chopin
- Didier Lockwood
- Dimiti Naïditch
- Giuseppe Verdi
- Tony Murena & Joseph Colombo
- Martin Taylor
- Toots Thielemans
- Serge Gainsbourg
- Jo Privat
- Vincent Scotto
- Jean-Philippe Viret
- Gus Viseur

- … et le thème de Cendrillon

Eclectique mais sans disparité !

.........

… écouté à quatre reprises, entre 23 heures et minuit, les deux versions de Vague / E la nave va, que l’on trouve respectivement dans les deux disques suivants d’Anouar Brahem :


- "Khomsa", Anouar Brahem, oud, Richard Galliano, accordéon, François Couturier, piano, synthétiser, Jean-Marc Larché, saxo soprano, Béchir Selmi, violon, Palle Danielsson, contrebasse, Jon Christensen, batterie, 1995, Ecm.
- "Le voyage de Sahar", Anouar Brahem, oud, François Couturier, piano, Jean-Louis Matinier, accordéon, 2006, Ecm

Ces écoutes multiples pour deux raisons. D’abord, parce que j’ai envie de saisir les différences entre ces deux interprétations, et ce n’est pas si simple, ensuite parce que j’y trouve un je-ne-sais-quoi de fascinant et pour ainsi dire d’envoûtant. L’une de ces deux versions est plus intimiste, l’autre plus brillante ; dans l’un et l’autre cas, le pouvoir quasi hypnotique est le même. Evocations : les vibrations de l’air juste au lever du jour à Ouarzazate, à Erfoud, à Zagora ou à Goulimine ; le flux et le reflux des vagues juste après le coucher du soleil, un soir sans nuages, à Hossegor, en novembre. L’horizon est verdâtre. Il n’y a alentour pas âme qui vive. Simplement l’immensité de la terre ou de l’océan et la quasi présence du soleil : on croit le voir déjà, on croit le voir encore. Il fait presque froid et le vent soulève des petits tourbillons de poussière, de sable fin ou d’écume.

samedi, avril 01, 2006

dimanche 2 avril

… hier, samedi, fin d’après-midi. Après quelques achats de fringues, faits à l’occasion de la fête de Françoise, avec plusieurs jours de retard, et avant de rejoindre le parking souterrain du Centre Bosquet, détour rituel par la Fnac.

… 19h10. En parcourant les rayons de disques, je tombe sur un présentoir consacré à Anouar Brahem. Parmi ses disques, l’un d’entre eux, gris sur gris, comme un fragment de mur décrépi, attire mon regard par sa sobriété même, conforme au style d’ECM. Le jazz sans concessions, ni tape-à-l’oeil :

- "Khomsa", Ecm, 1995.

La date m’étonne. Je n’avais jamais eu connaissance de ce disque. La liste des interprètes me donne immédiatement envie d’en savoir plus. Outre Anouar Brahem, on lit les noms de Richard Galliano, François Couturier, piano, Jean-Marc Larché, saxo soprano, Béchir Selmi, violon, Palle Danielsson, contrebasse, Jon Christensen, batterie. La présence de Galliano suffit évidemment pour me donner le désir d’en écouter des extraits. Dès le début de cette écoute, je vois Catherine B. s’approcher, les bras chargés de bandes dessinées. Quelques mots pour nous dire notre satisfaction réciproque de nous rencontrer. Elle a monté un cabinet de consultante en formation ; elle est satisfaite de son activité. Elle pourrait l’augmenter, mais cela l’obligerait à installer son bureau à Pau. Pour l’instant, elle préfère vivre à quelques kilomètres de l’agglomération paloise : c’est, dit-elle, une question d’équilibre, un choix de vie, une manière de se donner du temps… Je repense à ma réflexion de vendredi, à l’opposition entre toujours plus et rien de trop…On est loin de l’accumulation et de la consommation comme critère unique du bonheur. Elle me demande de mes nouvelles. Je lui dis que mon intérêt s’est porté vers l’accordéon, ce qui l’amuse et l’intrigue. En partant, je lui promets de lui faire sinon partager du moins comprendre le bien fondé de cet intérêt.

… 19h25. Alors que je m’apprête à continuer mon écoute, je vois Didier B. venir vers moi. Quelques mots pour nous dire notre plaisir de nous retrouver. Il cherche un disque à offrir. Il me demande ce que j’écoute. A l’occasion, je lui dis mon intérêt pour l’accordéon. Il en est surpris et amusé, mais de fil en aiguille, sur mes conseils, il décide d’aller choisir un disque de Galliano. Avant de nous quitter, il m’apprend qu’il a loué une parcelle de jardin ouvrier près de Pau. Il me dit qu’il fait ses légumes, sans mettre de saloperies dans le sol. Echange de bons procédés : un jour prochain, il me les fera goûter et je lui ferai écouter une sélection de mes disques d’accordéon. Il me quitte encore intrigué par ma passion pour cet instrument. La voix d’hôtesse de la Fnac nous invite à sortir…le magasin va fermer ! Je repense à la réflexion que me suggérait la rencontre de Catherine : Didier est manifestement heureux de faire ses salades, ses tomates, ses citrouilles, ses épinards et ses haricots verts, sans souci de productivité ni de rendements. Rien de trop et surtout pas toujours plus… Pour en faire quoi ? Pour jeter les excédents à la poubelle ? Une bulle d’autarcie !

… 21h30. Alors que j’écoute enfin calmement le disque d’Anouar Brahem et en particulier Nouvelle vague, dont le climat se déploie, lentement en vagues successives, d’abord dans le bureau puis, par la fenêtre ouverte, dans la nuit noire et douce, le téléphone sonne… Corinne M. a un renseignement à me demander. Alors que je lui réponds, elle entend quelques mesures de l’un des titres, En robe d’olivier. Assez pour trouver cela superbe et me demander la référence. J’apprends qu’elle apprécie beaucoup le oud, qu’elle a eu l’occasion de découvrir lors d’un dîner-concert de jazz organisé à la Reine Jeanne, à Orthez. Elle me parle du groupe strasbourgeois L’HIJAZ’CAR. Comme j’insiste sur la présence de Galliano, elle est surprise et amusée par mon goût pour l’accordéon. Dans la minute, je lui envoie par courriel trois références, sans ordre préférentiel :

- "Les pas du chat noir", Anouar Brahem, oud, François Couturier, piano, Jean-Louis Matinier, accordéon, 2002, Ecm
- "Le voyage de Sahar", Anouar Brahem, oud, François Couturier, piano, Jean-Louis Matinier, accordéon, 2006, Ecm
- "Khomsa", Anouar Brahem, oud, Richard Galliano, accordéon, François Couturier, piano, synthétiser, Jean-Marc Larché, saxo soprano, Béchir Selmi, violon, Palle Danielsson, contrebasse, Jon Christensen, batterie, 1995, Ecm.

22h00. Je peux enfin écouter en toute quiétude ce disque que j’ai eu pour la première fois entre les mains à 19h10. Je suis d’autant plus content qu’en envoyant ces références à Corinne, j’ai l’impression d’avoir fait ma B.A. d’une journée riche en rencontres chargées de sympathie et d’accordéon. L’air devient plus frais, des coups de vent arrivent chargés d’humidité, je ne suis pas sûr que les voisins aient encore envie d’entendre ma musique, cette musique qui me plait… Je ferme les volets et la fenêtre.

Un peu plus d’une heure et quart plus tard, le voyage se termine. Je me rends compte qu’il est parti de Comme un départ pour arriver à Comme une absence… comme une métaphore.

Comme d’autres, dit-on, savent créer l’ambiance, Galliano, lui, sait créer l’atmosphère…