mardi, janvier 30, 2007

jeudi 1er février

… exploré internet à la recherche d’informations sur deux festivals que nous apprécions :

- « Accordéon Summit », à Toulouse, traditionnellement vers la mi-mars. Pour l’instant, sauf erreur de notre part, rien n’est encore programmé.
- le festival d’accordéon de Trentels, qui a lieu habituellement autour du 18 mai. Rien pour l’instant sur le site. En revanche, le site de René Sopa programme sa présence le 18 mai ; idem pour Motion Trio, à la même date.

Je crois savoir que le trio de tango PSP devrait également y figurer. Je ne trouve pas confirmation en cherchant du côté de ce trio et de ses dates de concerts, mais, chemin faisant, je tombe sur quatre vidéos sur You Tube, à l’adresse suivante :

http://www.youtube.com/results?search_query=sabatier

On y voit en 2005 au Satelit Cafe, à Paris, le trio formé par Ciro Perez (guitare), William Sabatier (bandonéon) et Norberto Pedreira (guitarron). Ces documents sont tirés du site de William Sabatier, site où figure une bonne présentation du trio PSP, en particulier de son projet musical :

http://petardino.free.fr/

En poussant mes recherches et en utilisant différents recoupements, mon cher Watson, je trouve cette information : concert de Karin Küstner, le 17 mai 2007, à 21 heures, à Trentels.

D’autres indiscrétions, mon cher Watson, me laissent à penser que René Lacaille et son quintet pourraient bien faire eux-aussi un tour par Trentels à l’occasion de ce festival, mais rien ne le confirme que ce soit sur le site de René Lacaille ou sur Infoconcert. Attendons donc !

Le site de René Lacaille :

http://www.renelacaille.com/

L’enquête continue… Mais si les dates étaient avérées et les hypothèses confirmées, on aurait K. Küstner en ouverture, le 17 mai ; Sopa et Motion Trio le 18 ; le trio PSP et le quintet de René Lacaille, le 19… ça donne envie ! On commence à faire des prières laïques pour que les soirées soient belles, la pleine lune, le ciel étoilé, une petite brise tiède de fin de journée ensoleillée. Rien que ça !

lundi, janvier 29, 2007

mercredi 31 janvier

… séjour à Toulouse pour assurer un peu d’intendance. Route superbe de Pau à Muret, à quelques kilomètres de Toulouse. Les Pyrénées, sur notre droite, éclaboussent le ciel de leur éclat blanc. On a l’impression qu’elles sont recouvertes d’une épaisse couche de neige. Impression fausse, car nous savons par des amis skieurs que la plupart des pistes sont difficilement praticables. Même les canons à neige manquent de puissance tant l’eau fait défaut. En tout cas, trajet superbe. 11° à l’extérieur. 20° dans la voiture. Et puis, brusquement, en arrivant à Muret, changement de décor : brouillard givrant, sur les arbres, ce qui est très beau, et sur la chaussée, ce qui surprend et est dangereux. La température tombe tout d’un coup à 1°. En arrivant à la maison, nous découvrons que Charlotte et Camille sont enrhumées et un peu fiévreuses. Demain, tout le monde au chaud !

Je profite d’un moment de calme dans la soirée pour explorer un peu les sites où il est question de Richard Galliano. Je ne retrouve plus son site officiel, qui, me semble-t-il, était édité par Dreyfus. Ce site m’avait paru incomplet, ni fait, ni à faire. Du coup, j’explore ici et là… pour voir, sans intention précise. Chemin faisant, je tombe sur un site :

http://www.richardgalliano.com/

… qui me parait intéressant, même s’il est encore en construction. En le parcourant, j’ai cependant le sentiment qu’un tel site n’est pas la priorité de Richard Galliano. Je m’imagine que, pour lui, son œuvre est devant lui, son œuvre, c’est ce qu’il va faire demain, son œuvre, ce sont les multiples projets qu’il doit réaliser. S’il se retourne vers le passé, c’est pour y trouver des morceaux à relire, à interpréter de façons nouvelles, pour leur donner une nouvelle vie, pas pour les retrouver, identiques à eux-mêmes. La nostalgie n’est pas son monde. Du coup, je pense qu’il n’investira jamais autant d’énergie et de créativité dans l’élaboration d’un site consacré à sa gloire que dans des compositions nouvelles et dans des rencontres improbables. Et je trouve ça très bien.

D’autre part, je note l’annonce de la sortie d’un DVD, «Live in Marciac », autour du 12 février. Suivant les sites de vente, la description de ce disque est différente : pour certains, elle se réduit à la prestation de Tangaria , pour d’autres, il n’est question que des deux premières parties. Je continue mon exploration… en attendant le 12 février.

En explorant You Tube, je découvre à nouveau la prestation de Richard Galliano et de Tangaria au "Paris Jazz Festival 2006". Je ne me rappelle plus si j'avais noté l'adresse :

http://www.youtube.com/watch?v=Lrq1DbWjVgg

L'image me paraît meilleure que le son. Finalement, je crois que je préfère un environnement du type "New Morning" ou Théâtre de Perpignan à une scène extérieure, comme ici, ou même à un chapiteau comme à Marciac où la machinerie et le gigantisme perturbent l'attention et la détournent, à mon sens, de l'interprétation vers la performance.

dimanche, janvier 28, 2007

mardi 30 janvier

Il y a quelques jours, en allant acheter une clé USB à la Fnac, mon attention a été attirée par un disque de la collection « Jazz in Paris » (Gitanes Jazz Productions) :

- « Gus Viseur, De Clichy à Broadway »

C’est une compilation de 2002, que j’avais eu l’occasion d’emprunter à la médiathèque de Toulouse. C’est un disque plein de charme. A l’intérieur, on voit Gus Viseur avec son Fratelli Crosio. Je suis fasciné par sa main droite, par la puissance de son poignet et par la position de ses doigts dominateurs. Ce sont de véritables instruments de percussion. Autre image touchante : en couverture, une place autour de laquelle tournent des bus et des voitures que je situe plutôt dans l’entre-deux guerres. Les titres sont tirés de deux LP Barclay enregistrés respectivement en mai 1955 et juin 1962 à Paris. Les titres 01 à 12 sont référencés avec G. Viseur, à l’accordéon, et son orchestre, en particulier Boulou Ferré à la guitare et Roger Paraboschi à la batterie. Les titres 13 à 16 portent la mention : Gus Viseur, accordéon, personnel inconnu. Cette indication est à elle seule pleine du charme d’une autre époque.

J’aime bien aussi cette citation de Jo Privat : « Au Petit Jardin, arriva un soir un grand escogriffe en costume clair, sur le crane un Mossant gris, aux pieds des chaussures deux tons comme en portaient les Siciliens. Il avait de longues et fines mains : Gustave Viseur, dit Tatave dans le milieu des musiciens… La valse musette se teintait sous son doigté d’une tonalité particulière avec ce rien de swing en plus, assez pour ajouter à la valse en mineur une autre respiration. Une autre couleur ».

Autre témoignage de Louis Vola : « Un jour, à ses débuts, il (Django Reinhardt) rencontra par hasard l’accordéoniste Gus Viseur, très célèbre à l’époque. Tous deux s’enfermèrent une nuit entière dans la cave de celui-ci, barricadèrent toutes les ouvertures pour n pas être dérangés par les bruits extérieurs et jouèrent jusqu’à l’aube ».

Evidemment, après avoir lu ce portrait et ce témoignage, on n’écoute pas sans quelque émotion « Le bal du petit jardin », « Jeannette », « Ballade rabouine », « Nuages », « Lorsque Django jouait », « Swing Valse », « Flambée montalbanaise », « Geneviève », etc…

Le disque se termine par quatre titres consacrés à Paris et cela aussi est émouvant : « Paris je t’aime », « Ménilmontant », « Quel temps fait-il à Paris ? » et « Revoir Paris ». Je ne peux m’empêcher de penser que la musique de Gus Viseur, malgré « 46e avenue », est ancrée dans un territoire, qui lui donne sa force et son style. C’est une musique sédentaire. A l’inverse, je qualifierais volontiers celle de Richard Galliano de musique nomade, qui trouve son énergie et son inspiration dans le voyage, avec son corollaire, le mélange.

Je repense à ce propos de Galliano : « … pour swinguer et avoir de la dynamique, il ne faut pas que l’accordéon dépasse les dix ou onze kilos. Surtout lorsque l’on joue debout. Essayez donc de swinguer en tenant à bout de bras un buffet de cuisine avec la vaisselle à l’intérieur… ». Cette image m’amuse car chaque fois que je vois une photographie de Gus Viseur avec son accordéon je ne peux m’empêcher de penser qu’il swinguait en tenant à bout de bras un buffet avec la vaisselle à l’intérieur…

lundi 29 janvier

Hier, je m’interrogeais sur l’une des significations possibles de la figure énigmatique qui illustre le recto et le verso de « Luz Negra ». J’y voyais le symbole d’un dépassement, sinon des contraires ou des opposés, du moins des différences.

A son tour, ce titre, « Luz Negra », qui m’a paru d’emblée poétique, étrange et bien sûr culturellement situé (pourquoi pas « Lumière noire » ?), me semble énigmatique.

Dans la page de présentation de l’album, Richard Galliano évoque chaque titre comme un moment d’un voyage jusqu’à l’enregistrement, en 2006, dans des studios de Sao-Paulo. Il parle de découverte de nouveaux pays aux climats, aux rythmes et aux lumières différents. Mais, pas question de lumière noire. Il est vrai que les poètes n’ont pas à faire l’explication de texte de leurs intentions, ni l’obligation de les traduire en discours prosaïques.

Mais rien ne nous interdit à nous, auditeurs, d’essayer de donner du sens à cette énigme du titre. Comme on le sait, la lumière noire, ce sont les rayons ultra-violets que laisse passer un filtre disposé sur un néon. Or, notre œil ne perçoit pas les ultra-violets, donc ils sont invisibles. En fait, on les voit sous forme de lumière blanche restituée par les objets que cette lumière noire éclaire, au-delà de nos capacités perceptives. La lumière noire, c’est donc la transformation des ultra-violets invisibles en objets blancs visibles.

Peu importe finalement l’explication théorique du phénomène et ses applications techniques (comme dans les discothèques ou le contrôle des billes de banque), c’est la dimension poétique et suggestive qui m’intéresse. On retrouve en effet dans cette notion l’idée de dépassement des contraires : visible / invisible. Contrairement à ce que voudrait penser une conception cartésienne du monde : une chose est visible ou invisible, la lumière noire nous introduit dans un monde ou il y a des phénomènes qui sont à la fois invisibles et visibles. « Indifférence » ou la « Flambée montalbanaise », c’est de la valse musette, et sans cesser d’être de la valse musette, c’est en même temps « vénézuélien », « brésilien », « latino-jazz ». Il ne s’agit pas de choisir sur le mode dichotomique : « c’est l’un ou c’est l’autre ». On est bien dans le monde dialectique : « c’est l’un et l’autre ». Dépassement des paradoxes, créativité artistique, mais aussi, au plan moral, on dirait aujourd’hui éthique, une belle attitude d’ouverture et de tolérance. Comme quoi, la recherche de la beauté dans la création de « Luz Negra » a bien, en tant que telle, une valeur morale.

Mais, cette notion de lumière noire me suggère une autre idée : dans ce phénomène, on ne voit pas la source lumineuse, on ne voit que l’effet indirect de l’énergie qu’elle diffuse. N’en serait-il pas de même ici ? La source créatrice, l’origine de l’album nous échappera à tout jamais, car elle n’est pas perceptible, ni peut-être même compréhensible. Par contre, en l’écoutant on en perçoit les effets sous forme d’un plaisir indéfiniment renouvelé. « Luz Negra » voudrait nous dire alors qu’il ne faut pas vouloir accéder au mystère de la création artistique et que c’est déjà bien de savoir en percevoir et admirer les traces… C'est beau, savoir en saisir la beauté, c'est bien ! L'éthique est bien incluse dans l'esthétique.

samedi, janvier 27, 2007

dimanche 28 janvier

L’ordinateur de Françoise s’est mis à afficher des messages d’erreurs et à perdre certaines de ses fonctions, si bien qu’une bonne partie de la journée de samedi a été consacrée à téléphoner au service après-vente de Toshiba et à l’assistance en ligne d’Orange. On connaît bien ce genre de mésaventures, je n’insisterai donc pas. Entre les longues communications de recherche de diagnostic et d’aide, nous avons évidemment écouté autant que possible « Luz Negra ». Mais toutes les conditions d’une écoute optimale n’étaient pas réunies. Malgré cela, notre plaisir a été grand et petit à petit, au fil de la journée et de nos échanges, nous avons eu l’impression qu’une sorte de noyau dur de titres se formait ou, pour prendre une autre image, une sorte de diamants à cinq faces émergeait : nos préférences. Préférences du moment, car en la matière, autre jour, autre vérité.

- « Chat pitre », dont la filiation avec Satie nous parait toujours plus évidente... avec, dit Françoise, plus de sensualité
- « Fou rire »
- « Gnossienne n°3 »
- « Indifférence »
- « Flambée montalbanaise »

Pendant que nous écoutons une dernière fois cette sélection, qui immédiatement nous apparaît trop réduite, ce qui préfigure des changements à venir (on regrette déjà de n’avoir pas retenu « Escualo », « Sanfona » et « Sertao »), pendant cette dernière écoute donc, mon attention est attirée par la photographie du visage au verso et au recto de la pochette. Ce visage blanc, d’un ovale très pur, dont on devine la chevelure lisse, très noire, a le regard sombre, la bouche rouge et un pendentif à l’oreille. C’est un visage maquillé pour être sophistiqué. Il est interrogateur et énigmatique. Est-ce un visage d’homme ou de femme ? Le sens commun pourrait y voir un visage féminin eu égard à ses lèvres ou à ses cils, mais ce n’est pas si évident que cela. Je me dis qu’il y a là une ambiguïté, qui est peut-être emblématique du disque lui-même. Il s’agit de mixité, comme le relevait si justement Françoise, de mixité assumée et revendiquée. « Indifférence » ou la «Flambée montalbanaise », quoi de plus « parisien », oui… mais passées au filtre « sud-américain », ne prennent-elles pas une autre réalité ? La philosophie parlerait de dépassement dialectique : une musique originale, fortement ancrée dans une représentation traditionnelle, rencontre de l’autre côté de l’Atlantique une musique d’un autre monde et cette rencontre donne naissance à autre chose, quelque chose d’inouï jusqu’à ce jour, quelque chose qui n’existe que par la rencontre des membres du quartet et par le génie de leur leader.

vendredi, janvier 26, 2007

samedi 27 janvier

Depuis notre retour de Paris, nous écoutons « Luz Negra » sans discontinuer. Maintenant que le plaisir de la découverte et celui des rapprochements avec le concert sont dépassés, notre attention se porte plus sur le jeu des musiciens et sur l’articulation entre les morceaux. Sans changer de nature le plaisir de l’écoute change de points d’appui. Cette expérience m’incite à réfléchir quelque peu justement aux facteurs en jeu dans cette attitude d’écoute.

Si l’on essaie de formaliser cette attitude, l’analyse montre que la qualité de l’écoute est fonction de l’œuvre, du compositeur et des interprètes, mais aussi de l’auditeur et de son projet personnel d’écoute. Elle est aussi fonction du matériel, de la chaîne qui va de l’enregistrement à la restitution, et aussi de la situation, c’est-à-dire du lieu, du moment de l’écoute et de son environnement social. Cette troisième dimension de la situation correspond grosso modo à l'incidence de la présence d'autrui sur la qualité de l'écoute. Elle va de l'écoute solitaire à l'écoute perturbée ou contrariée, ou a contrario partagée, voire fusionnelle, avec d'autres personnes.

Cette analyse, même sommaire, suffit à montrer la complexité et donc la fragilité d’une telle attitude. Sa qualité dépend en effet du système de relations qui lie tous ces facteurs entre eux. Si ce système forme un réseau d’interactions qui se renforcent mutuellement, alors la sensation de perfection peut être éprouvée avec le plaisir qui en découle. Mais si un seul élément présente un défaut, c’est toute l’architecture qui peut s’effondrer avec la frustration qui s’ensuit. Pour être complet, encore faudrait-il ajouter un autre facteur difficile à définir, mais sans doute essentiel, à savoir le climat affectif ou la tonalité affective de l’écoute. En fait, ce que j’appelle tonalité ou climat affectif, c’est ce je-ne-sais-quoi qui fait que ça se passe plus ou moins bien pour nous, qu’on se sent plus ou moins bien. On pourrait éventuellement parler d’environnement affectif : on a ou on n’a pas de soucis, les choses que l’on entreprend réussissent plus ou moins, les derniers événements nous ont réjouis ou contrariés, on est détendu ou stressé, de bonne ou de mauvaise humeur, etc… Parfois, je sais bien que l'on peut se livrer à l’action d’écoute précisément pour apaiser ses soucis, chercher de la consolation ou de l’apaisement, ou compenser des manques, mais alors il s’agit moins de chercher un plaisir esthétique que de retrouver un équilibre menacé, voire perdu.

Si l’on essaie maintenant de dresser la liste des facteurs en interactions dans l’attitude d’écoute, il me semble que l’analyse conduit donc à dégager les éléments suivants :

- E : qualité de l’écoute
- f : fonction de…
- Su : le sujet –auditeur
- O : l’objet – œuvre
- C : le compositeur
- I : l’interprète ou les interprètes
- P : le projet d’écoute de l’auditeur
- M : la chaine matérielle de l’enregistrement à la restitution
- Si : situation, c’est-à-dire conditions spatiales, temporelles et sociales de l’écoute
- A : climat affectif

Si maintenant on essaie de formaliser cette attitude, je pense qu’en première approximation et sous réserve du travail critique, qui reste à faire, on peut écrire la formule suivante :

E = f [(Su, P),(O,C,I),(M,Si)].A

Cette formule a, me semble-t-il, un double intérêt : d’un point de vue théorique, elle met en évidence la complexité de l’attitude d’écoute, le jeu de relations nécessaires à sa (bonne) réalisation ; d’un point de vue pratique, elle nous alerte sur les éléments que nous devons nous efforcer de contrôler si l’on veut que cette attitude nous permette d’atteindre le plaisir que l’on recherche. On n’écoute pas n’importe quoi, n’importe comment, n’importe où, dans n’importe quel état d’esprit, etc… si l’on a des visées esthétiques et pas seulement de consommation. Dit d’une autre façon, cela signifie aussi que l’expérience de la beauté ne se réalise pas sans conditions. Conditions qu’il nous appartient d’aménager. Conditions qui sont de notre responsabilité d’auditeur. Ce qui suffit à montrer à quel point l’écoute est une véritable action créatrice et pas seulement un comportement de pure et simple réception.

A suivre…

vendredi 26 janvier - addenda 3


Il faut bien que le voyage se termine. Après une nuit en train, bercés par le doux tangage des couchettes, nous arrivons à Pau, vers 8h30, avec une heure de retard pour cause d’intempéries (chutes de neige abondantes autour de Poitiers). La voiture nous attend sur le parking.

Pendant le trajet jusqu’à la maison, Françoise fait cette remarque que je trouve tellement pertinente que je suis presque déçu de n’y avoir pas pensé par moi-même : « ce qui m’a frappée, particulièrement au court de ce concert, c’est le métissage revendiqué des influences. D’ailleurs, Richard Galliano, lui-même, a fait allusion au fait qu’il n’y a que de la bonne ou de la mauvaise musique, mais pas des musiques plus ou moins nobles en tant que telles… On trouve en effet l’influence italienne, la valse, le tango, le Brésil et le sanfona… et bien d’autres encore ». L’idée de musique métisse et de métissage revendiqué me plait bien par sa justesse.


vendredi 26 janvier - addenda 2







Avant d’aller au concert, nous avons fait un tour à pieds vers le canal Saint-Martin, à deux pas de notre hôtel. Depuis la passerelle piétonne, j’ai fait une photographie de « l’hôtel du Nord ». En se tournant de l’autre côté, on pouvait voir l’eau froide et noire entre les deux quais du canal, et sur les deux rives les tentes rouges et bleues des « Enfants de Don Quichotte ». Je n’ai pas fait de photographie. Cela me paraissait d’autant plus impossible que cette longue théorie d’abris précaires n’est pas dépourvue d’une certaine beauté esthétique. Il ne s’agissait pas de détourner les yeux ; il ne s’agissait pas non plus de réduire à un spectacle la déréliction de nos semblables. Pas de trace donc du canal Saint-Martin.

En revanche, j’ai photographié la table où nous avons dîné dans une brasserie, face à la gare de l’Est. Choucroutes à tous les étages. Des valises de voyageurs partout. Je ne sais pourquoi, mais cet entassement de bagages me fait penser, pendant out le repas, qu’un attentat ferait de gros dégâts. Cette idée me vient de l’observation de la présence policière, qu’on ne peut pas ne pas remarquer avec sa double composante rassurante et inquiétante. Je ne compte pas le nombre de fois où nous avons été priés d’ouvrir nos sacs pour divers contrôles. Je ne compte pas le nombre de cars de police que nous avons vu stationner…

Nous sommes allés visiter le musée du Quai Branly, qui devait s’appeler musée des Arts Premiers. Une richesse inouïe. Nous n’avons l’attention ni ethnologique, ni informative. Nous faisons trois fois le tour des objets exposés pour le plaisir des yeux. Nous passons du temps devant les tapis du Maroc. Nous en reconnaissons l’origine avec émotion. Nous avons vécu en effet quelques années à Marrakech, d’où nous avons ramené plusieurs tapis achetés dans les souks ou dans des bourgades, comme Béni-Mellal, Erfoud, Zagora, Azrou, Asni, etc… Leurs couleurs se fanent avec le temps et nos passages quotidiens. Ils auront accompagné une grande partie de notre vie. Mais il est interdit de faire des photographies dans ce musée. Pour garder trace de notre visite, je m’en tiendrai donc à une image inspirée par Marcel Duchamp et dont on pourrait dire à l’instar de Magritte : « Ceci n’est pas des vécés ! »

Françoise voulait voir la verrière du Grand Palais. Nous avons profité d’une nocturne jusqu’à vingt-deux heures pour aller voir ce chef-d’œuvre de l’art des ingénieurs du XIXe. Il y avait une exposition, fort bien documentée et présentée, sur les trésors de l’Egypte engloutie, résultats de recherches sous-marines dans le delta du Nil. Ici aussi, interdiction de photographier. Profitant d’un détour par les toilettes, j’ai donc pris une photographie, autorisée je pense, de l’arrière de l’exposition. Je trouve la construction des échafaudages d’une belle géométrie. Le formalisme de la structure et l’éclat de la lumière blanche me font penser à Mondrian ou à quelques peintures de formalistes russes.

Pendant que j’écris ces lignes, nous écoutons « Luz Negra », avec un plaisir toujours recommencé. D’écoute en écoute, « Chat pitre » me fait penser avec évidence à l’écriture de Satie. Quand je repense à l’émotion de Richard Galliano annonçant la « Gnossienne n°3 », je me dis que le rapprochement n’est peut-être pas fortuit, ni sans fondement.



vendredi 26 janvier - addenda 1














Il y a le concert, bien sûr, mais il y a aussi tout ce qui a lieu autour, ce qui le précède, ce qui le suit, le parcours aller, le retour, les faits et gestes que l’on accomplit dans ce laps de temps où tout tourne autour de ce moment magique… temps de l’attente, temps du souvenir et de la remémoration, temps de l’évocation, temps pendant lequel on fait ce que l’on a à faire tout en « y » pensant.

Lors du voyage aller, en train, entre Angoulême et Poitiers, tout à coup le paysage apparaît uniformément recouvert de neige. Les formes et les couleurs s’estompent. Les fenêtres s’embuent. Tout en regardant vers l’extérieur, on se voit dans chaque vitre comme dans un monde imaginaire. C’est comme un sas entre le monde quotidien et le concert à venir. Et puis, après un certain temps, nous allons prendre un café au bar, voiture 14. Pour moi, c’est un rituel : ce moment est en quelque sorte le signe de la coupure entre les activités habituelles et « autre chose », en l’occurrence le concert. En arrivant à Montparnasse, nous mettrons le pied sur le quai d’un autre monde…




jeudi, janvier 25, 2007

jeudi 25 janvier






















J’ai conservé sept photographies du concert. La lumière sur la scène est constante et relativement faible. C’est pourquoi d’ailleurs le grain des images est grossier. Mais la qualité technique n’est pas en l’occurrence mon but. C’est plutôt la qualité émotive que je cherche à fixer ou du moins dont je voudrais garder trace. L’aspect croquis pris à la volée, comme on note trois mots sur un carnet, me satisfait.

Cette lumière donc, discrète et constante, a pour intérêt de ne jamais détourner l’attention de l’écoute vers des aspects visuels. Elle contribue à renforcer l’impression de proximité et d’intimité que l’on éprouve en ces lieux.

Autre constante : l’attitude du quartet. Très homogène et sans éclats inutiles quant à sa posture. Un respect du public qui se manifeste dans le jeu sobre et dans les tenues noires, quasiment identiques.

A deux reprises, on voit Richard Galliano en solo : une première fois, il joue « Barbara » ; la seconde, il joue son improvisation sur « Libertango ». Sa présence me parait chaque fois plus impressionnante. Peut-être, cette fois, à cause de la fatigue lisible dans sa voix et sur sa posture, fatigue qu’il ne masque pas entre les morceaux, mais qui disparaît comme par miracle quand il joue avec son partenaire, son Victoria.

Curieusement, alors que tout en écrivant ces lignes, j’écoute « Luz Negra », j’ai l’impression d’une musique plus « douce » que dans le concert et que dans les concerts de Marciac ou de Perpignan. J’ai beau monter le son, il y a, me semble-t-il, sur le disque un velouté sud-américain, qui me paraissait moins net dans les concerts. Un charme plein de suavité.

Dernière impression enfin : tout en écoutant les morceaux du cd, je me rends compte que j’ai eu le plus grand plaisir à écouter, au cours du concert, des titres qui ne figurent pas sur celui-ci, comme « Laurita », « Tango pour Claude » ou « Libertango ». En revanche, j’aurais bien écouté la « Flambée montalbanaise »… Ce sera pour une prochaine fois. Mais c’est en cela que contrairement à la musique enregistrée, le concert me parait avoir quelque chose à voir avec la mort. Rien de moins. Chaque instant est unique. C’est ce qui lui donne sa gravité et son intensité. C’est ce qui donne au plaisir du concert sa qualité spécifique.









mercredi 24 janvier - avant après







Quelques traces "avant / après" le concert : l'entrée improbable du New Morning, les affiches qui s'accumulent sur la façade et sur la porte, comme un mur vivant, sans cesse renouvelé, la scène vide avec la formidable présence silencieuse des instruments, la pochette de "Luz Negra"... une semaine avant la sortie chez les disquaires. On y était !



mercredi 24 janvier

… ainsi donc mardi soir nous avons eu l’occasion d’écouter Richard Galliano et son Quartet Tangaria au New Morning pour la sortie de l’album « Luz Negra ».

Avant de choisir quelques photographies comme trace de notre parcours et de notre séjour à Paris, avant de laisser émerger quelques impressions, aujourd’hui, je voudrais essayer de m’en tenir aux faits.

Vers 19 heures, nous sommes allés reconnaître les lieux : quartier de la gare de l’Est, du boulevard de Strasbourg, de la rue du Faubourg Saint Denis. La rue du Château d’Eau, qui mène à la rue des Petites Ecuries, semble dédiée à la coiffure afro. Les boutiques se succèdent sans discontinuer. L’entrée du New Morning ressemble à un portail d’entrepôt couvert d’affiches de concerts. Je pousse la porte métallique et étroite qui ouvre sur un couloir étroit jusqu’à la scène déjà éclairée. Un parterre rond, une mezzanine surélevée de deux marches, quelques tables de bistrot. Ambiance « noir et rouge » avec des photographies de jazzmen aux murs. On me dit que les portes ouvriront à 20 heures. Au retour vers l’hôtel, nous sommes frappés par la présence policière.

A vingt heures donc, malgré le froid et le vent, nous sommes parmi les dix premières personnes à attendre l’ouverture des portes. Le froid est tel qu’on nous laisse entrer dans le couloir. A 20h30, ouverture de la caisse. Avec nos billets déjà en poche, nous passons dans les tout premiers et nous avons tout le temps de choisir deux places qui nous paraissent idéales. Au bord de la mezzanine, à gauche de la scène et de l’accordéon de Galliano, deux chaises et une table où nous nous faisons apporter une bière, un Martini bianco et deux sandwiches. Nous sommes à moins de dix mètres des instruments.

A 21h20, alors que la petite salle si chaleureuse est pleine comme un œuf et que les conversations font une sorte de bruissement, Richard Galliano suivi de ses trois collègues entre sur la scène. Ils s’installent, il prend son accordéon et c’est parti. Une énergie qui emporte tout sur son passage, qu’il s’agisse du leader, bien sûr, mais aussi d’Alexis Cardenas au violon, de Raphaël Mejias aux percussions, surtout au cajon, ou de Philippe Aerts à la contrebasse. Jamais nous n’avions eu un si bon son pour Mejias et Aerts. Pas d’effets de lumières, pas de poursuites lumineuses. Durant tout le concert, une ambiance intimiste : quelques projecteurs éclairent de manière égale et si j’ose dire avec discrétion la scène et les musiciens.

Après trois morceaux, Richard Galliano prend la parole pour présenter son quartet et donner les titres. Il est très essoufflé au point de ne pouvoir que difficilement articuler ses phrases. Il semble fatigué, il a quelques trous de mémoire sur les titres et même sur le nom de son violoniste. Il s’en amuse. « C’est ma journée Alzheimer », dit-il. Mais dès qu’il reprend son instrument, le corps à corps recommence et jusqu’à la fin du concert la prestation ne laissera jamais apparaître cette fatigue. Tout au plus, une confidence : « je crois que je suis fatigué et puis j’ai mal au dos ». J’avoue que je suis touché par cette sorte de double face : l’homme fatigué, essoufflé, qui cherche ses mots entre les morceaux, et puis, sans transition, cette manière d’empoigner son Victoria et de lui faire rendre tout ce qu’il a dans le ventre avec la complicité des trois autres. Je note trois mouvements des pieds de Richard Galliano : posés bien à plat, avec le pied gauche qui marque la mesure, ou bien sur les talons, comme pour s’enraciner dans le sol et y puiser l’énergie nécessaire, ou encore sur la pointe des pieds, comme pour monter encore plus haut…

Je reviendrai sur le répertoire.
Final à 23h30, après trois rappels. On reste évidemment sous le coup de l’émotion. Pour en garder une trace matérielle, outre les photographies, nous achetons en avant-première le cd, « Luz Negra », pour la somme de 20 euros.

Vers 23h45, nous commandons une dernière bière dans un bistrot, dont le patron apprécie le jazz et Galliano. Il ouvre la salle de restaurant à des groupes de jazz, tous les dimanches soirs. Il nous invite à venir. Nous le remercions sans lui dire que depuis Pau, ça fait un peu loin. En tout cas nous parlons du disque et le moment est sympathique.

Pendant le concert, j’ai pu noter le programme qui, bien évidemment ne reprend pas exactement l’album. Au sujet de l’album précisément, Galliano insiste sur son titre qui court-circuite « Tango et Aria, dans le style de Bach » et sur la variété, voire l’éclectisme, des morceaux choisis. Il me semble qu’il y a comme une relecture de son parcours et de ses influences à travers le prisme de la musique sud-américaine.

Le programme donc :

- Tangaria
- Laurita
- Fou rire
- Chat pitre
- T
ango pour Claude
- Barbara (en solo)
- Une interprétation « vénézuélienne » de Bach (une gigue) par Cardenas et Mejias
- Libertango (improvisation en solo)
- Spleen (accordina, puis accordéon, et contrebasse de Philippe Aerts)
- Luz Negra
- Gnossienne n°3
- Indifférence
- Sanfona
- Escualo
- New York Tango (premier rappel)
- Les forains (deuxième rappel)
- Fou rire (troisième rappel)

Un dernier mot pour noter la tenue noire des quatre musiciens. Très classe !

Ce concert fera partie, c’est certain, de mes souvenirs, mais bien plus encore de ce que j’appelle des « moments incorporés ». La différence est la suivante : un souvenir est toujours un « objet » par rapport à nous. Même si c’est de nous qu’il s’agit, même s’il s’agit de souvenirs heureux, le seul fait de les évoquer les met à distance de l’instant présent. Se les rappeler, c’est en même temps savoir qu’ils ne sont plus et ne seront plus jamais. Un moment incorporé, c’est un moment vécu avec une telle intensité qu’il fait partie à tout jamais de soi-même. Il est présent, physiquement, corporellement, de toute éternité, même si on ne l’évoque pas consciemment, mentalement. Il fait partie intégrante et indissociable de notre vie même. Il y a des moments ainsi qui donnent forme et tonalité à notre vie.

dimanche, janvier 21, 2007

mardi 23 janvier



Si tout se passe comme prévu, départ mardi matin, à 08h09, de la gare de Pau. TGV, direction Montparnasse. A 21 heures, concert au New Morning, 7-9 rue des Petites Ecuries, dans le 10e. « Richard Galliano Tangaria Quartet », sortie du disque « Luz Negra ». Retour à Pau par le train de nuit, le 25 à 7h20.

Nous avons déjà eu l’occasion de voir et d’écouter le quartet, à Marciac, puis à Perpignan, où la sortie du disque avait été annoncée. Evidemment, on attend beaucoup de cette présentation.

En explorant le site de la Fnac, on trouve les quatorze titres qui constituent l’album et je dois dire que le programme excite l’envie de les écouter, surtout qu’il faut le préparer un peu.

- 1. Tangaria
- 2. Luz Negra
- 3. Guarda che Luna
- 4. Chat Pitre, que nous avions entendu, pour la première fois, à Trentels, en mai 2006
- 5. Fou rire. Penser à écouter la version de « New York Tango » et celle de « Blues sur Seine » avant de partir.
- 6. Gnossienne n°3 en écho à la Gnossienne n°1 du « New York Trio ». Ecouter les versions données par Anzellotti dans son disque consacré à Satie
- 7. Escualo. Ecouter la version du « Richard Galliano Septet » pour « Piazzolla Forever »
- 8. Indifférence. Ecouter le titre 10 du « Michel Portal – Richard Galliano, Concerts »
- 9. Sanfona. Ecouter la version de « French Touch » avec Galliano à l’accordina, André Ceccarelli à la batterie, Rémi Vignolo à la contrebasse et Jean-Marie Ecay à la guitare acoustique.
- 10. Des voiliers. Ecouter la version du « Richard Galliano Quartet, New Musette » et celle de « Panamanhattan » avec Ron Carter
- 11. Barbara
- 12. Sertao. Ecouter le titre dans « New York Tango »
- 13. Flambée montalbanaise. Ecouter la version 1940, Gus Viseur et son orchestre, donnée dans le cd « Les valses des pionniers », bonus du disque de David Rivière, «From valse to swing »
- 14. Les forains. Ecouter la version de « Blues sur Seine ».


En fait, ce séjour à Paris sous le signe de l’accordéon, c’est le cadeau que nous ont fait « les petits » pour Noël. On peut dire qu’ils savent viser juste ! En attendant, au petit matin, j'ai découvert l'affiche que je m'étais faite pendant mon sommeil !




lundi 22 janvier

Message personnel à Jacques P. : message bien reçu. Je n'y avais pas prêté attention, mais il est vrai que dans "la guerre des boutons" il y a beaucoup d'accordéons... de chaussettes en accordéon !


… écouté maintes fois le « Romancero gitano ». Maintes fois, ça veut dire en continu. C’est en quelque sorte ma phase d’imprégnation, d’immersion, d’apprivoisement. Mais, si j’y réfléchis quelque peu, je me rends compte que cette écoute n’est pas toujours la même ; tout au contraire, de manière plus ou moins délibérée et volontaire, j’adopte des attitudes différentes en fonction de mes intentions qui, d’écoute en écoute, se déplacent.

Au début, écoute globale en parcourant en diagonale le livret de présentation : texte explicatif, textes des poèmes en espagnol et en français, photographies des chanteurs et danseurs. Livret en rouge et noir. Au passage, je note que Vicente Pradal parle «de tragédies musicales ». Je retiens aussi quelques mots sur Federico Garcia Lorca, sur l’Andalousie, les gitans, la culture flamenca et la répression franquiste ; l’assassinat de Lorca. L’énergie gitane a toujours quelque chose de tragique. Sol y sombra.

Puis, une écoute globale sans autre intention que de me laisser flotter au rythme de la musique et du chant, je devrais dire des chants tant les voix sont diverses. Le temps que je vis est celui de l’œuvre. Les psychanalystes parlent d’attention flottante. C’est exactement de cela qu’il s’agit : une acuité d’attention extrême qui ne cherche rien de défini, mais qui est disponibilité pure. Travail difficile. Rien n’est plus difficile que d’arriver à se rendre disponible à ce qui advient, simplement. Se rendre disponible et le rester…

Ensuite, une écoute focalisée sur les poèmes et, pendant qu’ils se succèdent, lecture du texte bilingue. Va-et-vient d’une langue à l’autre avec sa diction. Plaisir du texte, incarné dans les voix des chanteurs. Des mots comme des eaux-fortes, des voix comme des cailloux éclatés en fragments multiples.

Enfin, écoute focalisée de manière délibérée sur l’accordéon de Jean-Luc Amestoy, écoute dédiée à l’accordéon… à laquelle s’ajoute, spontanément, l’écoute du violoncelle. Vicente Pradal parle du dialogue de ces deux instruments avec les guitares et, à cette occasion, il qualifie leurs sonorités de « décalées ». Je trouve le mot très juste : ils sont à la fois « dedans et dehors ». Ils dialoguent vraiment avec le monde flamenco, mais on sent bien qu’il s’agit de la rencontre de cultures différentes. C’est ainsi que l’accordéon rencontre la valse, le tango ou la rumba, qu’il connaît bien, mais aussi la sévillane, la buleria, la rondena ou la jabera… et chaque fois, il n’y a que l’accordéon de Jean-Luc Amestoy pour dire ce qu’il a à dire.

J’allais oublier une autre modalité d’écoute, celle que je pratique en accompagnement de l’écriture de ce texte. Spirale : l’écoute déclenche le désir d’écriture qui, à son tour, déclenche le désir d’une autre écoute, et ainsi de suite.

Finalement, en relisant ces quelques paragraphes, je me rends compte d’une forte analogie entre ces différentes modalités d’écoute du «Romancero gitano » et mon expérience de la photographie. Photographier un objet, c’est en effet choisir une focale, choisir un cadrage, choisir un point de vue, choisir un plan de mise au point, choisir de multiplier ou non les vues. J’oublie sans doute d’autres choix. Prendre une photographie est toujours nécessairement le résultat de choix multiples. On est loin d’une simple opération d’enregistrement automatique et passif. Il me semble que ces choix, ou du moins des choix analogues, se retrouvent dans l’écoute musicale et que finalement, du moins en ce qui me concerne, écouter un disque ou un album, c’est toujours l’appréhender à travers plusieurs perspectives. Pour l’instant, celles-ci sont plutôt successives ; j’imagine qu’il doit être possible de les « tenir ensemble » sans les confondre, comme on peut contempler, en même temps, dans un tableau ou dans une photographie, l’ensemble et le détail, la structure et les éléments. Pour y parvenir, il me faudra encore un peu de temps jalonné de beaucoup d’écoutes… Bien du plaisir en perspective.

samedi, janvier 20, 2007

dimanche 21 janvier - autoportrait







Mon toubib m'a dit que le traitement serait long et compliqué si je voulais me débarrasser de tous mes boutons. Selon son diagnostic, il s'agit d'une forme assez rare d'allergie. Mais justement, je lui ai dit que je ne souhaitais pas m'en débarrasser, tout au contraire. Il n'a pas bien compris ce que je voulais. Il n'apprécie que le violoncelle et la viole de gambe. Ce qui m'arrive n'est pour lui qu'une amusette. Tu parles ! Plutôt une crise de "musette", oui ! Mais comment lui faire comprendre ça ?








vendredi, janvier 19, 2007

dimanche 21 janvier


… mon médecin, que je suis allé consulter hier, est un généraliste. Il ne s’occupe pas de psychologie, mais tout de même je trouve que les autoportraits que j’ai tirés en attendant mon tour évoluent de manière bizarre. Je les avais laissées sur le disque dur de mon ordinateur et voilà que je les retrouve imprégnés d’imaginaire d’accordéon, comme dans un rêve. A moins que mon fidèle Nokia ne capte aussi des images de mon inconscient, à mon insu.

… hier soir, Françoise et moi, nous sommes allés à l’espace culturel de l’hypermarché pour acheter quelques cartes pour répondre à des courriers de vœux. Evidemment, il n’est pas question de quitter cet espace sans jeter un coup d’œil du côté des polars pour Françoise et du côté des disques pour moi. La période ne me parait pas très riche en accordéon, ni en bandonéon, du moins dans mes domaines de prédilection. Un disque cependant attire mon attention, un disque que j’avais repéré il y a longtemps, mais qui avait disparu des rayons :

- « Romancero Gitano », Lorca – Pradal, EMI – Virgin, 2004.

Ce disque est la mise en musique des poèmes de Federico Garcia Lorca par Vicente Pradal. On est dans l’univers de l’Andalousie et du flamenco. Six chanteurs, dont deux danseurs ; cinq instrumentistes : deux guitares, des percussions outre les palmas des chanteurs, un violoncelle et… l’accordéon de Jean-Luc Amestoy. Il faut s’appeler Varis ou Amestoy pour s’aventurer sur un tel terrain. En écoutant ce disque, dont la passion évoque pour moi, dans un autre registre, le monde du tango, un monde en noir et rouge, en écoutant ce disque je ne peux m’empêcher de « voir » la longue silhouette d’Amestoy. Je suis plein d’admiration pour la façon dont il trouve sa place dans ces poèmes. Son toucher est toujours aussi fin et son phrasé inscrit sa présence de manière paradoxalement discrète et indispensable. Son dialogue avec le violoncelle dans le titre 3, « La monja gitana » m’a paru tout en nuances et très émouvant. Il intervient sur dix des douze titres. Jean-Luc Amestoy : l'accordéon flamenco !
"Serafines y gitanos
tocaban accordeones"
Muerto de Amor (titre 6)



samedi 20 janvier




J’avais rendez-vous à 18 heures chez mon médecin. Quand je suis arrivé, à moins cinq, la salle d’attente était pleine d’enfants, de papas et de mamans. Plus une chaise libre, des jouets partout, des cris et des pleurs… J’ai donc attendu mon tour, debout, dans le couloir, dont un mur est tapissé géométriquement de seize miroirs carrés, égaux. L’occasion était tentante : j’en ai profité pour « me tirer le portrait ». Ce faisant, j’ai retrouvé le plaisir que j’avais, il y a aujourd’hui longtemps, à me photographier dans les cabines « Photomaton ». Je ne sais plus où j’ai rangé les bandes de quatre photographies en noir et blanc qui sortaient de la machine après une attente de plusieurs minutes. Elles ont dû vieillir. Comme moi.

… Mais revenons à notre recherche. En consultant l’article « musique » de « L’Encyclopedia Universalis », j’ai trouvé un développement qui a attiré mon attention et mon sens critique. L’auteur évoque deux moments, entre autres, de la diffusion de la musique :

- la coupure créateur / exécutant avec l’écriture musicale et l’existence de la partition
- la coupure exécutant / consommateur avec les moyens techniques d’enregistrement, de reproduction et de diffusion de la musique vivante

L’analyse est fort intéressante, mais le vocabulaire, chargé d’a priori idéologiques, demande à être mis en question. On pourrait en effet faire cette même analyse et y adhérer mais en utilisant d’autres termes. Dire compositeur au lieu de créateur, interprète au lieu d’exécutant, auditeur au lieu de consommateur. Dans la première série, on présente la diffusion de la musique comme un flux qui va d’un émetteur à un récepteur par le canal d’une exécution. La communication est à sens unique. Le sens est à l’origine. Il se matérialise, il se diffuse en se transmettant, mais il est déjà tout entier à l’origine et l’ensemble du processus n’apporte aucune plus-value en termes de signification. Tout au contraire, la deuxième série : compositeur / interprète / auditeur, insiste sur le travail de mise en forme et d’écriture de l’auteur, mais elle reconnaît tout le travail de traduction de l’interprète et son rôle dans l’émergence de sens, qui n’étaient pas forcément contenus dans l’œuvre sortie de l’imagination de son auteur. Quant à l’auditeur, le seul fait de le désigner par ce terme marque qu’il n’existe que par son activité d’écoute et que son rôle ne peut se cantonner à une présence passive, comme un récipient que l’on remplit. Cette deuxième série me semble mieux rendre compte du fait que la création musicale implique l’action des trois « pôles » : auteur / interprète / auditeur… et qu’elle ne saurait se réduire à n’exister que par l’un d’entre eux.

J’ajoute que le terme « consommateur » connote une curieuse conception de la diffusion des œuvres musicales. Consommer en effet, c’est littéralement détruire, consumer, c’est-à-dire faire un usage des choses tel qu’on les rend inutilisables. Ecouter un disque ou de la musique téléchargée sur un disque dur, ce n’est pas, que je sache, les détruire ipso facto. Il est toujours possible d’écouter à nouveau et mieux (techniquement ou avec une plus grande attention) ce que l’on vient d’écouter. En revanche, il est vrai que participer à un concert pourrait être assimilé à un véritable processus de consommation en ce sens qu’au fur et à mesure qu’il se déroule, un concert disparaît à jamais, se consume… sauf à continuer à exister mentalement en chacun de ses participants. C’est dire l’enjeu d’un concert ! On comprend en quoi c’est toujours un moment unique et pourquoi écouter un morceau en concert n’a rien à voir avec l’écoute de ce même morceau par l’intermédiaire d’un enregistrement reproductible. Le plaisir du concert a toujours quelque chose à voir avec le sentiment de fragilité de l’instant présent, son caractère irréversible.





vendredi 19 janvier

… les premiers crocus émergent entre les troncs des bouleaux. Il fait 18° dans les rues de Pau en début d’après-midi et les feuilles tourbillonnent sur les trottoirs, emportées par une sorte de vent du sud, sec et chaud. Je continue mes recherches à la bibliothèque municipale. Il s’agit toujours d’examiner quelles sont les définitions du mot « accordéon » que l’on trouve dans les dictionnaires usuels. J’ai pris quelques notes. Elles sont forcément incomplètes étant donné que les usuels ne sont disponibles que dans leurs dernières éditions. Je découvre d’une part que les achats ne sont pas toujours actualisés, d’autre part que les éditions anciennes sont parfois passées au pilon. Je ne tirerai donc aucune conclusion de mes notes ; tout au plus quelques enseignements et quelques réflexions sur la place faite à l’accordéon dans ces ouvrages d’usage courant. Chemin faisant, j’ajouterai des notes prises dans des corpus de référence, car ils donnent souvent le ton aux ouvrages courants qui s’en inspirent et parfois même s’en tiennent à une copie pure et simple.

Le « Petit Larousse en couleurs » de 1990 (on voit bien qu’il ne s’agit pas de l’édition la plus récente) présente les données suivantes :

- accordéon, 4 lignes ; accordéoniste, 1
- piano, 9 + photographie + schéma légendé ; pianiste, 2. On y trouve aussi piano-bar et piano-forte
- violon, 21 + schéma légendé ; violoniste, 1 ; violoneux, 1
- viole, 9 + reproduction peinture ; violiste, 1
- bandonéon, 3 ; bandonéoniste, absent
- clarinette, 3 + schéma légendé ; clarinettiste, 1
- saxophone, 7 + schéma légendé ; saxophoniste, 1
- guitare, 5 + schéma légendé ; guitariste, 1
- banjo, 3 + photographie ; banjoïste, 1

On ne peut pas dire que l’accordéon soit bien traité, en particulier si l’on considère l’absence de photographie ou de schéma légendé pour l’illustrer.

Le « Petit Larousse illustré », édition 2007, 1918 pages apporte quelques modifications et, dirais-je, améliorations :

- accordéon, 4 lignes + photographie légendée
- piano, 17 + schéma + photo
- violon, 17 + schéma légendé, suivi de violoncelle, 5 + schéma légendé
- saxophone, 6 + schéma légendé
- banjo 3 + schéma légendé.

A noter que « banjo » est sur la même page que « bandonéon » où l’on peut lire ceci : « du nom de H. Band, qui l’a diffusé. Petit accordéon possédant un soufflet de section carrée utilisé notamment dans les orchestre de tango ».

A noter aussi que dans aucun dictionnaire les définitions des notions de « chromatique » et « diatonique » ne sont référées à l’accordéon.

Le dictionnaire « Hachette » de 2007 apporte un élément nouveau : l’accordéon est défini en trois lignes comme un « instrument de musique portatif à soufflet et à anches métalliques, muni de touches » et l’article renvoie à une planche « musique » où, à côté d’autres instruments, figure en petit, en bas, à droite un Piermaria rouge à boutons.

Le « Dictionnaire historique de la langue française – Le Robert », édition 2006, confirme l’introduction du mot « accordéon » en français dans les « Mémoires d’Outre-Tombe », vers 1835. il précise : «Le mot désigne… un instrument de musique à anches métalliques, à boutons ou à clavier, et à soufflet, devenu très populaire dans quelques cultures. En France, il est au centre de la musique de danse et notamment du « musette » surtout dans la première moitié du XXe siècle ». Bon, mais qu’en est-il de la seconde moitié de ce siècle : il a disparu ou tout au contraire il s’est répandu dans d’autres domaines ? Il serait intéressant de le savoir.
A propos du « bandonéon », le même ouvrage précise que son origine vient du nom de son inventeur, H. Band, que la terminaison « eon » a été faite sur le modèle du mot « orphéon » et, plus bizarre, que le groupe « on » est sans doute une simple syllabe de renforcement. Sans cette complication, peut-être simplement euphonique, on pourrait avoir affaire au « bandéon » ? Pourquoi faire simple, puisqu’on pouvait faire compliqué ?

Dans ce dictionnaire, on trouve :

- accordéon, 13 lignes
- piano, 50
- bandonéon, 10
- banjo, 15
- violon, 16, avec ce commentaire étonnant : « les contextes usuels vont de la musique noble (« classique » et jazz) à la danse et à la musique rurale ». On imagine en souriant un commentaire du même type pour l’accordéon…

Dans « Le Robert, dictionnaire de la langue française », 1985, on trouve ces trois exemples :

- « jouer de l’accordéon dans un bal musette »
- « la musique populaire russe fait grand usage de l’accordéon »
- « musique d’accordéon. On entendait un accordéon lointain, plaintif »

Pourquoi ne pas imaginer des exemples « alternatifs » ? Par exemple :

- « jouer de l’accordéon en improvisant sur un standard de jazz »
- « les accordéonistes russes de concert sont très réputés »
- « musique d’accordéon. On entendait un accordéon puissant et festif »

Ces phrases ne me semblent pas moins pertinentes que les exemples donnés.

Quand on pousse l’investigation, on trouve dans l’ouvrage de référence, « Trésor de la langue française, dictionnaire de la langue du XIXe siècle et XXe siècle », édition de 1971 (impossible d’avoir plus récent !) des informations bien intéressantes :

- accordéon, instrument de musique, populaire, portatif, dont le son est produit par l’action simultanée d’un soufflet et d’un clavier sur des anches métalliques.
- première occurrence en français : Chateaubriand, « Mémoires d’Outre-Tombe », tome 4, 4e partie, 1, 9, 481. Entre 1833 et 1848. « Le maître de poste de Schlan venait d’inventer l’accordéon ».
- article « remarques » : dans la littérature noble l’instrument ne passe pas pour particulièrement musical, comme en témoignent des syntagmes fréquents à connotation péjorative : accordéon geignard, vulgaire, grêle musique d’accordéon, etc… et les exemples du dictionnaire de l’académie de 1878, maintenus en tome 1 de l’édition de 1932 : le son de l’accordéon a peu de volume. Les accordéons sont plutôt des jouets que des instruments de musique. Syntagmes plus récents : accordéon plaintif, touchant… et, dans « Larousse encyclopédie » : L’accordéon s’améliora et, grâce à des virtuoses, acquit le droit de compter dans l’art musical ».

Rien n’est perdu donc, puisque l’on termine sur une note de reconnaissance de l’accordéon comme un instrument qui compte dans l’art musical. Reste qu’un travail de dépoussiérage s’impose et que des « syntagmes » nouveaux pourraient remplacer les anciens et donner ainsi à l’accordéon sa juste place dans le monde musical… et dans le monde tout court.

jeudi, janvier 18, 2007

jeudi 18 janvier




… aller-retour Pau / Hossegor pour régler quelques affaires. Départ de Pau à 8 heures ; température : 3°. Durant le parcours, les Pyrénées, sur notre gauche émergent de la brume au fur et à mesure que le soleil, rouge, monte au-dessus de l’horizon. Quand nous traversons le pont de Lamarquèze sur l’Adour, il éclabousse le rétroviseur comme une orange sanguine.

Entre 13 et 14 heures, après un repas « plat du jour » dans une pizzeria d’Hossegor, nous faisons quelques pas dans le sable humide du bord du lac. Sa surface, à la rencontre du soleil et de l’eau, est comme du métal en fusion. Les ombres s’allongent démesurément et je ne résiste pas au plaisir de photographier la rencontre de ma tête avec une bouée, rouge, de mareyeur. Je trouve ce goût pour mon ombre en forme d’auto-portrait tout à fait puéril et donc je n’ai aucune raison de ne pas y céder. Sur le bord du lac envasé, il fait 18°.

Durant le parcours du retour, les Pyrénées, sur notre droite, se confondent plus ou moins avec le ciel dans une brume indistincte bleue et grise. A la sortie de certains virages, on croirait voir un paysage imaginaire. Il fait 16°.

A l’aller comme au retour, contrairement à notre habitude de ne pas écouter de musique en voiture, nous n’avons pas cessé de « faire tourner » l’album « Vagabondages » du duo Baïkal. Nous l’avons finalement écouté trois fois en totalité. Sur l’autoroute, avec une circulation fluide, à une vitesse régulière de 130, et avec les Pyrénées comme environnement, nous prenons grand plaisir à cette écoute. Quelques mots échangés au début de chaque morceau, quelques mots échangés à la fin… à notre retour à Pau, nous nous rendons compte que nous connaissons par cœur la liste des douze titres et que nous trouvons à chacun des qualités diverses et particulières, qu’il s’agisse de l’introduction avec « Détournement roumain » de Castiello, de la conclusion avec « Eleanor Rigby », des morceaux d’Ennio Morricone ou de Nino Rota, des interprétations de Piazzolla (« Tanguedia », « Oblivion », Libertango » ou « Biyuya ») ou encore des compositions originales de Jacques Pellarin, « Série Noire » et « Vagues à lames ». Sans oublier « Isalou » de Claude Hazan et Tony Colls ou « Pas si simple » de Sébastien Lehuic, compositeurs que nous ne connaissions pas.

En fin de journée, je suis revenu à la bibliothèque municipale pour continuer ma recherche sur la définition du mot « accordéon » dans les dictionnaires usuels. J’ai eu quelques difficultés à faire comprendre mon projet et donc mon objet. C’est ainsi par exemple qu’une bibliothécaire voulait à tout prix me donner un dictionnaire étymologique puisque je cherchais selon elle l’histoire du mot. Une autre m’a apporté un exemplaire du dictionnaire de l’Académie Française antérieur au XIXe pour vérifier que le mot que je cherchais n’y apparaissait pas encore… Bref, j’apprends ainsi beaucoup de choses que je ne cherchais pas à savoir… et je n’arrive pas à savoir ce que je cherchais. Tout de même, j’ai appris, mais c’est à vérifier, que le mot « accordéon » semble avoir été introduit en français par Chateaubriand dans ses « Mémoires d’Outre-Tombe », dans les années 1830. J’aimerais bien retrouver le texte original. Je présume, étant donné les milieux fréquentés par Chateaubriand, qu’il doit s’agir de l’apparition de l’instrument dans des milieux de la « haute société », peut-être dans quelque salon « snob »…

En attendant les ouvrages que l’on m’a ainsi apportés avec beaucoup de gentillesse, j’ai pu consulter quelques usuels, j’ai pris quelques notes, mais je pense les avoir oubliées sur un coin de table. Je ne les retrouve pas. Mais je reviendrai. En attendant, la consultation à la maison du « Petit Robert », un dictionnaire que j’apprécie beaucoup pour son sérieux, me donne quelques indications que je pourrai comparer à celles que proposent d’autres dictionnaires courants. Je m’en tiens aux aspects quantitatifs et à des traits de surface. J’ai comparé les définitions de quatre instruments choisis de manière intuitive au départ : piano, violon, saxophone et accordéon. Je n’ai retenu que le nombre de ligne consacré à leur définition, à l’exclusion des expressions imagées comme « les chaussettes en accordéon », « le chef devant son piano » ou « passer la nuit au violon ». Résultats :

- piano : 22 lignes ; pianiste : 8. Il faut y ajouter piano-bar et piano-forte, qui augmentent le nombre des lignes
- violon : 27 lignes ; violoniste : 3.
- saxophone : 4 lignes ; saxophoniste : 2.
- accordéon : 4 / 5 lignes ; accordéoniste : 2. A noter que la définition du mot renvoie vers bandonéon, signalé comme un mot ayant un grand rapport de sens avec accordéon. C’est en cela que je parle du sérieux de ce dictionnaire, d’autres ne donnant pas ce lien, un autre encore proposant bandonéon comme un synonyme d’accordéon, ce qui est plutôt de nature à introduire de la confusion dans l’esprit de celui qui cherche à s’informer.

Notons enfin que le « Petit Robert » définit le terme « accordéoniste » comme désignant une « personne qui joue de l’accordéon » et l’illustre par l’exemple suivant : « une excellente accordéoniste ». Bel hommage rendu aux femmes. On trouvera de même « une grande violoniste » ou « elle est une très bonne pianiste ». L’hommage à la gent féminine n’était donc pas un hasard, ni un fait isolé. Preuve du sérieux que j’attribue à ce dictionnaire. En revanche, pas de trace du mot « bandonéoniste », ce qui peut laisser penser qu’on a un instrument mais pas de musicien pour en jouer.

Dernier point, qui ne me parait pas anodin. Pour préciser la définition du terme « accordéon », on trouve ceci : « accordéon à clavier, à touches, à boutons. Accordéon chromatique, diatonique. L’accordéon du bal musette ». Ce qui m’intéresse et qui justement me parait d’importance, c’est que l’on puisse lire « l’accordéon du bal musette », ce qui est conforme à une vision commune et fondée de l’instrument, mais que l’on ne trouve pas, par exemple, « l’accordéon de concert », qui aurait ouvert un autre horizon et d’autres pistes d’information. D’autant plus que l’on trouve, sous la rubrique « piano », des expressions présentées comme familières et construites par analogie, à savoir «piano à bretelles » ou « piano du pauvre » qui désignent l’accordéon. On a pu parler de l’accordéon comme d’une sorte d’orgue portatif, pourquoi cela n’apparaît-il nulle part ? La relation accordéon / orgue serait pourtant de nature à changer son image telle qu’elle est véhiculée par un dictionnaire courant à travers une définition qui est lue comme vraie, objective et indubitable, alors qu’elle est incomplète et non exempte de choix idéologique. Et encore, je parle ici d’un bon dictionnaire, exact dans ce qu’il donne… même s’il ne donne pas tous les renseignements utiles.






mardi, janvier 16, 2007

mercredi 17 janvier

Je suis allé cet après-midi, entre deux soldes avec Françoise, faire une petite recherche à la bibliothèque municipale de Pau. Ma demande était la suivante : je souhaitais pouvoir consulter les versions successives d’un dictionnaire usuel de grande diffusion, comme par exemple le « Larousse » ou le « Littré ». D’abord ma demande n’a pas été comprise et l’on m’a orienté vers des dictionnaires historiques, expliquant par exemple l’origine et l’histoire d’un mot. J’ai donc précisé mon projet : je souhaitais consulter les versions successives d’un dictionnaire d’usage courant et largement répandu, par exemple les différentes éditions du « Larousse » au cours du XXe siècle, pour voir quelles étaient les définitions du mot « accordéon ». Je voulais voir ainsi quelle(s) définition(s) et donc quelle(s) conception(s) commune(s) de l’accordéon avait(avaient) été transmise(s) aux générations de ce siècle et en même temps vérifier si celles-ci avaient changé ou non au cours des années. Aux dernières nouvelles, juste avant la fermeture de la bibliothèque, il semble que je pourrai consulter certaines de ces éditions, mais il n’est pas certain que toutes aient été archivées. Mon information sera certainement lacunaire. En fait, ne sont conservées et mises à disposition du public que les éditions les plus récentes. Mais je reviendrai. Je pense en effet que ce projet pourrait nous en apprendre beaucoup sur la place et l’image de l’accordéon dans la conscience sociale commune, et bien entendu, du même coup, sur leur évolution éventuelle. Je fais en effet l’hypothèse que la définition que l’on trouve dans un dictionnaire usuel et non spécialisé traduit la conception commune, à un moment donné, de la notion ou de la chose correspondante.

En tout cas, en consultant quelques dictionnaires courants, « Larousse », « Petit Robert », « Littré », etc… j’ai pu me convaincre de la pauvreté des définitions données (souvent une à deux lignes), de leur caractère incomplet (l’accordéon est un instrument de bals populaires, un point c’est tout), des erreurs qu’elles contiennent (synonyme d’accordéon : bandonéon), etc… Au fond, j’ai le sentiment que l’accordéon, ça n’est pas très important et qu’il n’a pas été fait appel à des spécialistes pour documenter sa définition.

Je pense ici au projet initié par Sylvie Jamet de contribuer à documenter l’encyclopédie Wikipedia pour ce qui concerne l’accordéon et les accordéonistes. C’est un beau projet, mais je me dis que la consultation des usuels, que j’envisage, pourrait être assez édifiante sur ce qu’ils transmettent comme image de l’accordéon et à terme que cela pourrait donner lieu à une action auprès des éditeurs pour les inciter à « se mettre à jour »…

lundi, janvier 15, 2007

mardi 16 janvier

Pour peu que l’on y réfléchisse un tant soit peu, le projet de fixer avec des mots et des phrases le plaisir éprouvé à l’écoute de morceaux d’accordéon ou de bandonéon apparaît comme une bien étrange entreprise. Le principe même de la création musicale et de son interprétation n’est-il pas en effet d’explorer des territoires que les mots sont impuissants ou inadéquats à décrire. Sinon, pourquoi recourir à un tel langage au lieu de dire ce qu’il y a à dire avec les outils de tout le monde ? Et, si les mots peuvent exprimer exactement ce que l’on veut exprimer, ne réduit-on pas alors la musique à une simple illustration, à une redondance vide de signification ou du moins dont la signification est ailleurs ? Réciproquement, comment traduire avec des mots la sensation, l’impression, le sentiment ressentis immédiatement sans les dissoudre dans l’analyse et sans les mettre à distance de l’émotion corporelle en les réduisant à une traduction abstraite, c’est-à-dire finalement détachée de la vie sensible, telle qu’elle est vécue dans l’instant ?

C’est pour éviter ces écueils que j’essaie de louvoyer en permanence entre les tentations de l’analyse et la tentative assez vaine de dire, avec les mots de la tribu, pour paraphraser Mallarmé, ce qui est de l’ordre de la pure subjectivité : le plaisir de l’écoute et son évidence. On sait bien en effet, quoi que l’on puisse en penser, qu’il n’y a rien finalement de moins évident et de plus construit que ce qui nous parait évident. Finalement, tous ces mots, toutes ces phrases, c’est peut-être pour tourner autour de cette formidable évidence du plaisir, pour essayer en quelque sorte de l’apprivoiser ; de l’apprivoiser pour mieux savoir ce qu’il est, alors même que je sais que sa nature ne relève pas d’un savoir quelconque. Il est là ou il n’est pas là. C’est tout.

Mais comme ni les contradictions, ni les apories ne sont de nature à me décourager, au contraire, je continue mon chemin dialectique entre l’écoute de l’accordéon et les mots.

Pour la nième fois depuis ce matin et alors même que j’écris ces lignes, « Sous d’autres jazzitudes » tourne, non pas en boucle, mais en spirale, chaque nouveau passage suscitant chez Françoise ou chez moi de nouvelles réflexions et, entre nous, de nouveaux échanges. A l’instant par exemple, l’écoute de « Milong jazz » nous fait penser à quelque titre de Daniel Mille ; mais lequel ?

Pendant que ce cd tourne donc, j’ai posé sur mon bureau les quatre albums du duo Baïkal et je laisse émerger quelques associations d’idées, sans aucun souci discursif :

- « Eclectismes ». J’ai déjà eu l’occasion de noter que ce titre m’intrigue. L’éclectisme est en effet une école philosophique et une plus généralement une méthode de pensée qui recommande d’emprunter à divers systèmes leurs meilleures thèses, quand elles ne sont pas contradictoires, plutôt que d’essayer d’édifier un nouveau système qui essaie d’en faire une synthèse cohérente. Il s’agit bien d’une attitude d’ouverture et de refus du sectarisme. L’éclectisme, par définition, inclut la diversité, la variété, l’hétérogénéité. Du coup, parler d’éclectisme au pluriel, c’est insister sur une pensée plurielle et, ici en l’occurrence, sur le souci de pluralité qui a présidé au choix des œuvres interprétées. D’une certaine façon, ce titre se démarque de l’image qu’aurait pu suggérer la référence d’une part au monde slave dans le nom du duo, d’autre part aux accordéons « Bayan » du duo, chargés de symbolique. De ce point de vue, la rencontre entre les deux concertistes – Bayan et nœuds papillon – et « Piccolo Rag » de Baselli et Rossi me parait bien signifier le « s » d’éclectismes.
- « Souffle et souffle » est un beau titre. Enigmatique, même si l’accordéon est naturellement associé au souffle. On peut aussi entendre dans ce titre, « Soufflet souffle ». Je pense aux propos de Richard Galliano disant que le son vient du ventre, que c’est là que toute la sonorité de l’accordéon prend sa force. Et puis, ce redoublement, c’est aussi symbolique du duo : le même et l’autre. Un souffle et un souffle, ça ne fait pas deux souffles, ça fait un souffle qui les transcende. Un plus un égale un, mais cet un est d’une autre nature. Dialectique du quantitatif (un plus un) et du qualitatif (cette « addition » produit autre chose, qui n’existe que par leur rencontre, leur tension, leur complémentarité). Mais encore : l’un n’existe que par l’autre, et réciproquement.
- « Vagabondages ». Encore un titre au pluriel. Ce titre connote le déplacement incessant, la circulation sans but apparent, à l’aventure. On pense à un refus de se fixer dans un lieu circonscrit, à une manière d’aller voir ailleurs. Aller voir ailleurs ce qui a lieu ; aller voir ailleurs si j’y suis. « Je est un autre » disait Rimbaud. On pourrait dire aussi que « Je est ailleurs ». Quête d’identité dans la recherche des différences. Finalement, il n’y a que des différences. Le vagabondage, c’est aussi le travail de l’imagination qui s’en remet, pour cheminer, aux associations d’idées. La liste des compositeurs de cet album suffit pour donner une idée de ces vagabondages. De même, cinq titres font intervenir le bandonéon. C’est déjà un autre monde. Coexistence.
- « Genesia ». Un beau titre, qui m’a intrigué. Il fait évidemment penser à « genèse », qui désigne l’ensemble des éléments qui ont contribué à la production de quelque chose mais aussi la manière dont une chose s’est formée. En grec ou en latin, d’où procède le français « genèse », on trouve le mot « genesis ». Je n’ai pas trouvé « genesia ». Néologisme poétique ou mot importé d’une autre langue ? En tout cas, ce qui est sûr, c’est que dix titres sur douze sont composés par J.-L Brunetti et J. Pellarin. On peut penser que le titre de l’album n’est pas sans rapport avec le travail nécessaire pour les mettre à jour.
- je ne peux dissocier ces quatre albums de « Sous d’autres jazzitudes », car il y a certes rupture, mais aussi continuité entre ce cinquième album et les quatre précédents. J’avais noté par exemple que deux titres se retrouvent sur « Sous d’autres jazzitudes » et sur « Genesia ». il s’agit de « Tang’Astor » et de « Free Tango ». Le titre de cet album sonne pour moi de manière très poétique : j’entends « latitudes » et « attitudes » dans le mot « jazzitudes ». J’imagine qu’il s’agit de continuer le vagabondage vers d’autres latitudes où l’on rencontre du jazz et, chemin faisant, de découvrir d’autres attitudes que l’on rencontre dans le monde du jazz. Lorsque le mot « jazzitude » est passé sous le contrôle du correcteur orthographique de mon ordinateur, il m’a fait signe que ce mot était inconnu. Je l’ai donc ajouté au dictionnaire… et la machine le reconnaît maintenant. « Jazzitude », mot nouveau, représentation nouvelle. C’est ainsi que le monde se complexifie.
- j’ai noté enfin deux « rapprochements » que je trouve pleins d’intérêt. Le titre 10 de « Vagabondages », qui est une composition de J. Pellarin, a pour titre, « Vagues à lames ». « Vague à lames » est aussi le titre d’un album de Jean-Marc Fabiano. D’autre part, le titre 7 de « Sous d’autres jazzitudes » est « Le swing des Carpates ». C’est le nom d’un album de Roberto de Brasov. Il faut croire qu’il doit y avoir quelques affinités entre ces trois accordéonistes.

dimanche, janvier 14, 2007

lundi 15 janvier

Avant de mettre noir sur blanc quelques notes d’écoute, je relève un commentaire de Sylvie Jamet en date du vendredi 12 janvier. Je le trouve en effet intéressant par la netteté de sa formulation qui, en quelques lignes, énonce toute une conception (je ne dis pas théorie, notion trop abstraite) de la création artistique. Conception où l’on voit bien à quel point, me semble-t-il, l’art, la musique en particulier, est de l’ordre du vital. C’est vital parce que c’est de l’ordre de l’idéal et que l’idéal est nécessaire. Du coup, me semble-t-il encore, on est, quant à l’artiste, dans le registre de la vocation, et quant à l’œuvre elle-même dans le registre de quelque chose, qui n’existe pas hic et nunc, mais que l’art a pour mission de faire advenir. Où l’on voit bien que la création artistique comme la contemplation esthétique, en l’occurrence l’écoute musicale, ne sont pas simples suppléments d’âme, mais nécessité spirituelle.

Et cette réflexion ne me parait pas anodine, car elle met en jeu rien moins que la fonction, la place et le rôle de l’éducation artistique et esthétique dans notre société…


J’en viens à présent à l’écoute de deux albums de Daniel Brel, albums que j’ai découverts aujourd’hui :

- l’un en solo, comme son nom l’indique, « Bando solo »
- l’autre en trio, le trio Contratiempo, « Autour du tango ». Ce trio est composé de Daniel Brel, bandonéon, Patrick Le Junter, piano, Jean-Michel Hequet, contrebasse.

L’album solo évoque pour moi, immédiatement, des gravures en noir et blanc avec d’infinies gradations de gris. Nuances et subtilité. C’est une musique de méditation, qui ne livre à l’écoute que les fruits d’une longue réflexion. Musique qui se développe au fil du temps, comme on parle du fil de l’eau, ligne directrice, ligne de pente, autour de laquelle se déploient de multiples ondulations. Le « phrasé » de Daniel Brel rompt avec le style le plus fréquent du bandonéon, fait de ruptures et de stridences. Musique tendue certes, mais sans la crispation et la sensibilité qui s’exhibent habituellement dans le tango. Par rapport à l’expressionnisme extraverti, à fleur de peau et excessif du monde du tango, je trouve qu’on a affaire ici à un style marqué par la retenue, la pudeur et l’intériorité. Je retrouve avec bonheur le son du bandonéon que j’avais tant apprécié dans les « Quatre chemins de mélancolie ».

Deux choses encore dont j’ai l’intuition qu’elles sont liées :

- Daniel Brel est d’abord un compositeur et cela apparaît avec évidence dans l’unité des différentes pièces de « Bando solo ». On sent bien, à travers celles-ci, la consistance d’une vision du monde
- l’enregistrement du disque a eu lieu dans une chapelle, près de Pau. Choisir une chapelle plutôt qu’un studio me parait significatif ; choisir comme environnement un lieu de spiritualité plutôt qu’un lieu technologique, c’est choisir de privilégier un certain type de résonances.


L’album du trio est composé de deux volets :

- cinq compositions originales, quatre de Daniel Brel et une de P. Le Junter
- deux arrangements inédits de thèmes traditionnels du tango

J’ai écouté les différentes pièces de cet album comme une autre réflexion sur le tango, si j’ose dire, sur l’âme du tango. J’ai bien apprécié le jeu souvent subtil entre les instruments, deux à deux. Piazzolla insistait sur la précision de son travail d’écriture ; il m’a semblé retrouver, dans cet album, cette exigence dans toute sa rigueur. J’ai pensé à plusieurs reprises à un travail de traduction de l’esprit du tango dans une langue personnelle, parlée par les trois membres du trio. Et, comme on le sait bien, la traduction, par ses écarts mêmes, est productrice de sens nouveaux et insoupçonnés.